Bon nombre de projets de création d’activité des « transitionneur.es » consistent à se lancer « en solo », ou avec un.e, voire deux associé.es. Bien souvent, les modèles économiques de ces projets demeurent extrêmement fragiles. L’illusion d’une plus grande « liberté » en étant seul.e est un sérieux frein pour développer les structures économiques dont nous aurions réellement besoin pour augmenter, comme nous l’avons vu, la résilience de nos territoires.

Alors ? La réponse est relativement simple : s’associer au sein d’une coopérative (existante ou à créer) !
Le modèle coopératif répond à de nouvelles attentes, en créant un cadre égalitaire et juste entre les coopérateurs. Il évite l’isolement (cette solitude épuisante, à terme, de l’indépendant.e…). Il permet de rompre avec le modèle dominant de l’économie de profit car il s’agit avant tout de répondre à des besoins communs et à faire prévaloir le service rendu.
Cela étant dit, la création d’une coopérative comporte des difficultés de différents ordres, juridiques, organisationnels et humains, avec moult dérives possibles, comme nous le verrons !
Le cadre juridique
La principale caractéristique d’une coopérative est que chacun participe à égalité à la décision et la richesse créée est partagée entre les membres et la coopérative. Le cadre juridique est fixé par la loi du 10 septembre 1947. Mais les choses se compliquent ensuite, puisqu’il n’existe pas moins d’une vingtaine de statuts particuliers et des « familles » de coopératives.
Pour faire simple, la coopérative est, certes, une société (SA, SARL, SAS, etc.) (1) mais avec un fonctionnement bien spécifique. Quel que soit le statut choisi, le principe général demeure le même : chacun participe à la décision sur la base de la règle « une personne, une voix » quel que soit son poids économique (la quotité du capital détenue). Le pouvoir est donc donné à la personne et non au Capital. Par ailleurs, la répartition du résultat (excédent) est strictement encadrée par la loi. Une part des résultats est affectée, en général, à la coopérative sous la forme de réserves collectives (ce qui permettra d’augmenter le patrimoine propre et de consolider l’œuvre collective). Une autre part peut être redistribuée aux membres en fonction de leur « apport d’activité » (la même si on estime que toutes et tous ont le même « apport » J).
(1) Une coopérative ne peut pas être constituée sous une autre forme de groupement (notamment, association ou GIE).
Les statuts particuliers
En fonction du type de coopérative, les textes de référence ne seront pas identiques. Les coopératives de commerçants détaillants sont régies par les articles L124-1 et suivants du Code de commerce, les sociétés coopératives de consommation sont régies par loi du 10 mai 1917, la coopérative de consommateurs découle de la loi du 7 mai 1917 Article L.412-1 du code de la consommation, etc. En fonction des caractéristiques des futurs associé.e.s et de l’objet, il conviendra de bien vérifier si le projet coopératif relève ou non d’un statut particulier (auprès de l’URSCOP et voir le Guide pratique de la création coopérative ).
Les difficultés organisationnelles et politiques
L’organisation du travail et de la gestion interne d’une coopérative ne peut être que fondée sur le principe de la démocratie (pour être en cohérence avec la nature même de la structure !). Mais la démocratie, de type autogestionnaire, au quotidien, ce n’est pas simple ! En lieu et place des « hiérarchiques » qui exercent leur autorité dans le cadre d’un contrat de subordination (le contrat de travail salarié), il faut parvenir à substituer une démocratie du « mandat », indispensable pour prendre les décisions courantes (les membres de la coopérative ne vont pas se réunir en AG à chaque fois qu’une question se pose !). Malheureusement, c’est là que l’on voit les importantes dérives. Par facilité, les coopérateurs élisent un Président, qui va finir par se comporter comme un authentique dirigeant, organiser ses réseaux de soutien, choisir ses affidés pour finir par éliminer les opposants… (chassez, non pas le naturel, mais « le construit social »… et il revient au galop !). Ainsi, on peut citer le contre-exemple de la méga-coopérative Mondragon, que plus rien ne distingue d’une entreprise purement capitaliste. Il faut se souvenir du conflit des Fagor à Lyon, en 2013, sacrifiés sur l’autel de la rentabilité à tous crins. Il faudra donc inventer des modalités de contrôles et de « contre-pouvoirs » précises pour bloquer les dérives.

Le « facteur humain »
Vous vous en doutiez : le « facteur humain » est à l’origine de la plupart des échecs et pas seulement pour les coopératives ! Dans ce cas, nous sommes dans le registre des conflits interpersonnels, mais qui sont aussi articulés avec des rapports « politiques » internes. Généralement, il s’agit à la fois d’une question de maturité du groupe, des personnes ET d’un contexte créé. Tout cela relève d’une multitude de facteurs : personnalité de chacun, définition suffisamment claire – ou non – des rôles et des « places » dans le groupe, « non-dits » qui s’accumulent… C’est souvent lorsque les cadres sont « confusionnés » que des conflits apparaissent. Mais des techniques existent. Elles peuvent être appliquées ou encore retravaillées par le collectif lui-même, qui devient alors l’artisan de sa paix sociale interne.
Notes complémentaires :
La pratique des « cercles restauratifs »
Les Cercles Restauratifs favorisent l’accueil et l’écoute en profondeur d’un conflit, au sein d’un groupe.
On peut lire sur le site www.cerclesrestauratifs.org :
« Un Cercle Restauratif est un processus communautaire pour apporter du soutien aux personnes en conflit. Il regroupe les trois parties d’un conflit — ceux qui ont agi, ceux qui sont directement touchés et la communauté élargie — dans un contexte systémique choisi, pour dialoguer d’égal à égal. Les participants s’invitent les uns les autres et participent volontairement. Le processus de dialogue utilisé est partagé ouvertement avec tous les participants (…).
Les Cercles Restauratifs sont facilités en 3 étapes conçues pour identifier les facteurs clefs du conflit, arriver à des accords sur les prochaines étapes et évaluer les résultats. » Les trois étapes sont : 1 ) identifier les facteurs clés du conflit, 2 ) parvenir à des accords sur les prochaines étapes, et 3 ) évaluer les résultats.
Un « bémol » sur les cercles restauratifs
La difficulté principale est sans doute d’éviter un « consensus de façade » dans une « bienveillance » (terme à la mode) souvent de bon aloi mais en trompe-l’œil (c’est le cas dans de nombreux collectifs pensant qu’ils avaient trouvé la solution idéale dans les préceptes de la « sociocratie » ou pire de « l’holacratie »…).
Les apports des recherches en psychosociologie sont fortement utiles pour aller plus en profondeur et réellement analyser ce qui se joue psychiquement dans le groupe. Il faut comprendre ce qu’est « l’illusion groupale » (D. Anzieu) et donc pourquoi le « porteur du conflit » est perçu comme un élément dangereux parce qu’il va attaquer l’image du « bon groupe » (alors qu’il ne fait peut-être que… se révolter contre une injustice ou demande à ce que le groupe change !).
Une lecture conseillée, pour acquérir une vision systémique du « conflit » (Palo Alto) ICI.