Retour au menu

L’ESSENTIEL
Sous l’effet du changement climatique, les océans deviennent à la fois plus chauds, plus acides, plus salés et moins riches en oxygène. Leur rôle d’absorbeur carbonique s’en trouve de plus en plus affecté, limitant leur action bénéfique et aggravant encore le bilan carbone mondial. La capacité du puits de carbone de l’océan austral est par exemple dix fois inférieure aux précédentes estimations.
Et les choses ne vont pas en s’arrangeant. L’anomalie de température des océans a été brutale en 2023 et se poursuit.
En mars 2024, la température des océans a atteint un nouveau record absolu en mars, avec 21,07°C de moyenne mesurés en surface.
« La température des océans, qui recouvrent 70% de la Terre et jouent un rôle clé dans la régulation du climat mondial, a atteint un nouveau record absolu en mars, avec 21,07°C de moyenne mesurés en surface, hors zones proches des pôles, selon l’observatoire européen Copernicus. Cette surchauffe, qui ne cesse mois après mois de s’aggraver depuis un an, menace la vie marine et entraîne une humidité plus importante dans l’atmosphère, synonyme de conditions météorologiques plus instables, comme des vents violents et des pluies torrentielles.« (source)
« L’augmentation vertigineuse de la température des océans alarme les scientifiques, qui appellent à renforcer la recherche sur les changements à l’œuvre et craignent des effets dévastateurs sur le climat dans son ensemble. « Les changements se produisent si rapidement que nous ne sommes pas en mesure d’en suivre l’impact », reconnaît Vidar Helgesen, secrétaire exécutif de la Commission océanographique intergouvernementale de l’Unesco » (ibid)

Ce réchauffement a un impact direct sur la circulation des courants océaniques dans l’Atlantique, qui contribuent à la régulation du climat mondial. Ils sont à leur plus faible niveau depuis 1.600 ans.
Deux études parues dans la revue Nature (avril 2018) viennent valider l’hypothèse d’un affaiblissement de la circulation de ces courants connus sous l’acronyme d’AMOC (circulation méridienne de retournement de l’Atlantique).
Les conséquences possibles seraient plus de tempêtes l’hiver en Europe ou un déplacement vers le Sud de la ceinture tropicale de pluies.
Par ailleurs, le climat étant une machinerie hyper-complexe, il est aussi envisager que si les courants marins perdent encore en force, cela conduirait à « laisser plus de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, où il contribue au réchauffement climatique » (David Thornalley, de l’University College London), ce qui va renforcer le réchauffement global (ce qui n’empêchera des évènements hivernaux extrêmes) (voir l’interview de Julie Deshayes en bas de page).
Il faut être aujourd’hui très prudent sur la question d’un possible effondrement de l’AMOC. Nous indiquons ci-dessous plusieurs sources qui s’inscrivent dans des controverses scientifiques en cours.
Explications sur Gulf Stream et Amoc
Ne l’appelez plus jamais Gulf Stream (CNRS, juin 2021)
À l’école, le Gulf Stream était ce courant chaud qui traversait l’Atlantique Nord. Faux, nous dit l’océanologue Julie Deshayes, qui évoque les nombreux tourbillons convergeant vers l’Europe. La question demeure : ces courants s’affaiblissent-ils, et avec quelles conséquences pour le climat ?
Extraits :
Que disent les mesures indirectes, antérieures à 2004 donc, sur ce possible ralentissement ?
L’article publié récemment dans Nature Geoscience, qui balaie le dernier millénaire, évoque un ralentissement depuis la fin du XIXe siècle – qui correspondrait donc à l’essor de nos sociétés industrielles et à l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. S’il convient de prendre ces résultats provenant de travaux et méthodes hétérogènes avec beaucoup de prudence, le ralentissement de l’Amoc dans les cent ans qui viennent est néanmoins possible, et a peut-être déjà commencé. Il est d’ailleurs envisagé par un certain nombre des modèles climatiques actuels ; quelques scénarios évoquent même l’arrêt total de la circulation de retournement atlantique. Mais, encore une fois, il faut que les scientifiques continuent d’accumuler des données pour affiner ces projections.
Dans le cas où la circulation de retournement atlantique venait à ralentir, voire à s’arrêter, quelles conséquences cela aurait-il sur le climat en Europe ?
Il faut d’abord préciser que l’Amoc n’est pas directement responsable de nos hivers relativement doux, comparés aux hivers du Canada situé aux mêmes latitudes. L’Amoc, et plus en amont encore, le Gulf Stream, se contentent de réchauffer l’océan Atlantique Nord ; ce sont les vents dominants d’ouest qui passent au-dessus de ce dernier et se réchauffent à son contact qui nous apportent un air moins froid qu’il le devrait.

Quant aux conséquences d’une baisse d’intensité de l’Amoc sur le climat européen, là encore c’est difficile à dire, car il y a énormément de variables en jeu. Une chose est sûre : il ne provoquera pas un refroidissement de l’Europe, le réchauffement global produit par les activités humaines étant bien trop important pour que le simple ralentissement d’un courant marin vienne le contrecarrer sous nos latitudes. Un ralentissement de l’Amoc pourrait en revanche provoquer plus d’épisodes rigoureux en hiver, associés à des sécheresses très intenses et des canicules l’été.
Pour aller plus loin : la planche illustrée « Gulf Stream et climat »
La circulation de l’océan Atlantique à son point le plus faible depuis 1 600 ans (Woods Hole Oceanographic Institution (WHOI), Avril 2018)
Traduit par nos soins :
De nouvelles recherches menées par l’University College London (UCL) et la Woods Hole Oceanographic Institution (WHOI) démontrent qu’un rouage essentiel du système de circulation océanique mondial n’a pas fonctionné à son maximum depuis le milieu des années 1800 et qu’il est actuellement à son point le plus faible depuis 1 600 ans. Si le système continue de s’affaiblir, il pourrait perturber les conditions météorologiques des États-Unis et de l’Europe jusqu’au Sahel africain, et provoquer une augmentation plus rapide du niveau de la mer sur la côte est des États-Unis.

La circulation de l’océan Atlantique joue un rôle clé dans la régulation du climat mondial. Le système de circulation des eaux profondes en mouvement constant, parfois appelé « Global Ocean Conveyor Belt », envoie l’eau chaude et salée du Gulf Stream vers l’Atlantique Nord, où elle libère de la chaleur dans l’atmosphère et réchauffe l’Europe occidentale. L’eau plus froide s’enfonce ensuite dans de grandes profondeurs et se déplace jusqu’à l’Antarctique pour finalement remonter jusqu’au Gulf Stream.
« Notre étude fournit la première analyse complète des relevés de sédiments océaniques, démontrant que cet affaiblissement du retournement de l’Atlantique a commencé vers la fin du Petit Âge glaciaire, une période froide de plusieurs siècles qui a duré jusqu’à environ 1850 », a déclaré le Dr Delia Oppo, scientifique senior du WHOI et co-auteur de l’étude publiée dans le numéro du 12 avril de Nature.
L’auteur principal, le Dr David Thornalley, maître de conférences à l’University College de Londres et adjoint au WHOI, pense que lorsque l’Atlantique Nord a commencé à se réchauffer vers la fin du Petit Âge glaciaire, l’eau douce a perturbé le système, appelé la circulation méridionale de retournement de l’Atlantique (AMOC). La glace de mer arctique, les calottes glaciaires et les glaciers entourant l’Arctique ont commencé à fondre, formant un énorme robinet naturel d’eau douce qui s’est déversé dans l’Atlantique Nord. Cet énorme afflux d’eau douce a dilué l’eau de mer de surface, la rendant plus légère et moins capable de couler en profondeur, ralentissant ainsi le système AMOC.
Pour étudier la circulation atlantique dans le passé, les scientifiques ont d’abord examiné la taille des grains de sédiments déposés par les courants des grands fonds marins ; plus les grains sont gros, plus le courant est fort. Ils ont ensuite utilisé diverses méthodes pour reconstituer les températures océaniques proches de la surface dans les régions où la température est influencée par la force de l’AMOC.
« Combinées, ces approches suggèrent que l’AMOC s’est affaibli au cours des 150 dernières années d’environ 15 à 20 pour cent », explique Thornalley.
Selon le co-auteur de l’étude, le Dr Jon Robson, chercheur principal à l’Université de Reading, les nouvelles découvertes laissent entrevoir une lacune dans les modèles climatiques mondiaux actuels. « La circulation nord-atlantique est beaucoup plus variable qu’on ne le pensait auparavant », a-t-il déclaré, « et il est important de comprendre pourquoi les modèles sous-estiment les diminutions de l’AMOC que nous avons observées. » Cela pourrait être dû au fait que les modèles ne tiennent pas compte des calottes glaciaires actives, ou peut-être qu’il y a eu plus de fonte de l’Arctique, et donc plus d’eau douce entrant dans le système, que ce qui est actuellement estimé.
Une autre étude publiée dans le même numéro de Nature, dirigée par Levke Ceasar et Stefan Rahmstorf de l’Institut de recherche sur l’impact climatique de Potsdam, a examiné les données des modèles climatiques et les températures passées de la surface de la mer pour révéler que l’AMOC s’affaiblit plus rapidement depuis 1950 en réponse au récent réchauffement climatique. Ensemble, les deux nouvelles études fournissent des preuves complémentaires que l’AMOC actuel est exceptionnellement faible, offrant à la fois une perspective à plus long terme et un aperçu détaillé des changements décennaux récents.
« Ce qui est commun aux deux périodes d’affaiblissement de l’AMOC – la fin du Petit Âge glaciaire et les dernières décennies – est qu’elles ont toutes deux été des périodes de réchauffement et de fonte », a déclaré Thornalley. « Le réchauffement et la fonte devraient se poursuivre à l’avenir en raison des émissions continues de dioxyde de carbone. »
Oppo est d’accord, tous deux notant cependant que tout comme les changements passés de l’AMOC les ont surpris, il pourrait y avoir des surprises inattendues à l’avenir. Par exemple, jusqu’à récemment, on pensait que l’AMOC était plus faible pendant le Petit Âge glaciaire, mais ces nouveaux résultats montrent le contraire, soulignant la nécessité d’améliorer notre compréhension de cet important système.
La Woods Hole Oceanographic Institution est une organisation privée à but non lucratif située à Cape Cod, dans le Massachusetts, qui se consacre à la recherche marine, à l’ingénierie et à l’enseignement supérieur. Créée en 1930 sur recommandation de l’Académie nationale des sciences, sa mission première est de comprendre l’océan et son interaction avec la Terre dans son ensemble, et de communiquer une compréhension fondamentale du rôle de l’océan dans l’évolution de l’environnement mondial. Pour plus d’informations, veuillez consulter le site http://www.whoi.edu.
Lettre ouverte de scientifiques concernant le risque d’effondrement de l’AMOC
En octobre 2024, une lettre ouverte a été adressée aux décideurs politiques des pays nordiques. Un consortium de 44 des plus éminents climatologues au monde a publié une lettre ouverte exhortant les décideurs politiques des pays nordiques à engager des actions urgentes contre l’effondrement imminent de la circulation méridionale de retournement atlantique (AMOC). Des études menées au cours des dernières années indiquent notamment que ce risque a jusqu’à présent été largement sous-estimé. Les scientifiques misent sur l’influence géopolitique de ces pays pour accélérer les prises de décisions fermes à l’échelle internationale.
Source
AMOC: Point de bascule imminent ? Avec Julie Deshayes (CNRS, octobre 2024)
Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi des villes comme New York et Madrid, situées à la même latitude, connaissent des climats si différents ? Une des raisons réside dans les courants océaniques, qui transportent la chaleur des tropiques jusqu’en Europe. Mais ces courants, connus sous le nom d’AMOC (Atlantic Meridional Overturning Circulation), ralentissent sous l’effet du changement climatique. Ce phénomène pourrait créer une situation paradoxale où, malgré le réchauffement global, l’Europe subirait un refroidissement – un scénario digne du film Le Jour d’après. Certains médias affirment que nous nous approchons dangereusement d’un point de bascule, où l’effondrement de ce courant deviendrait inévitable. Exagération médiatique ou menace réelle ?
Julie Deshayes souligne l’insuffisance actuelle des éléments qui nous conduiraient à être trop affirmatifs.
Source
Shutdown of northern Atlantic overturning after 2100 following deep mixing collapse in CMIP6 projections (28 août 2025)
(Arrêt du retournement de l’Atlantique Nord après 2100 suite à l’effondrement du mélange profond dans les projections CMIP6)
Résumé
Plusieurs projections plus récentes du réchauffement climatique, issues du projet d’intercomparaison de modèles couplés 6, prévoient des extensions au-delà de 2100–2300/2500. La circulation méridionale de retournement atlantique (AMOC) dans ces projections montre des transitions vers un retournement extrêmement faible sous la couche de mélange superficielle (< 6 Sv ; 1 Sv = 106 m³/s−1) dans tous les modèles, forcé par un scénario à fortes émissions (SSP585) et parfois aussi forcé par un scénario à émissions intermédiaires (SSP245) et faibles (SSP126). Ces états de retournement extrêmement faibles sont caractérisés par un retournement maximal peu profond à des profondeurs inférieures à 200 m et un arrêt de la circulation associé à la formation d’eaux profondes dans l’Atlantique Nord. Le transport de chaleur vers l’Atlantique Nord à 26°N diminue de 20 % à 40 % de la valeur observée actuellement. Le dégagement de chaleur vers l’atmosphère au nord de 45°N diminue à moins de 20 % de sa valeur actuelle et disparaît complètement dans certains modèles, ce qui entraîne un fort refroidissement dans l’Atlantique Nord subpolaire et le nord-ouest de l’Europe. Dans tous les cas, ces transitions vers un AMOC faible et peu profond sont précédées par un effondrement de la profondeur maximale de la couche de mélange au milieu du XXIe siècle dans les mers du Labrador, d’Irminger et du Nord. Cet effondrement de la convection est principalement causé par un adoucissement de la surface dû à une diminution de l’advection de sel vers le nord due à l’affaiblissement de l’AMOC, mais il est probablement initié par un réchauffement de surface. Les profondeurs maximales de la couche de mélange observées sont toujours dominées par la variabilité interne, mais présentent notamment des tendances à la baisse au cours des 5 à 10 dernières années dans toutes les régions de mélange profond pour tous les produits de données analysés. Il pourrait s’agir simplement de variabilité, mais cela concorde également avec le déclin du mélange profond prédit par le modèle.
Source
Océan et climat : un équilibre fragile (CNRS, Août 2025)
Régulateur du climat mondial, l’océan absorbe chaleur et dioxyde de carbone, notamment celui émis par les humains depuis l’ère industrielle. Ce rôle vital est menacé par le réchauffement, l’acidification et la modification des courants. Que se passera-t-il si ce milieu cesse d’amortir nos excès ?
Source