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L’ESSENTIEL
Nous sommes entrés dans l’ère des « zoonoses » et des maladies vectorielles.
Les termes « zoonose » et « maladie vectorielle » se réfèrent à deux types différents de maladies infectieuses, mais ils peuvent parfois se chevaucher.
Une zoonose est une maladie infectieuse qui est transmise des animaux aux humains. Les agents pathogènes peuvent être des bactéries, des virus, des parasites ou des champignons. A titre d’exemples, nous pouvons citer la rage, la fièvre de la vallée du Rift, la tuberculose bovine, la grippe aviaire, la maladie de Lyme (transmise par des tiques qui sont également considérées comme des vecteurs).
Les maladies vectorielles sont des maladies infectieuses qui sont transmises par un vecteur, souvent un arthropode comme un moustique, une tique, une puce ou un phlébotome. Les vecteurs transportent l’agent pathogène d’un hôte (souvent un animal) à un autre (souvent un humain). Nous pouvons ranger parmi elles la malaria (transmise par les moustiques Anopheles), la dengue (transmise par les moustiques Aedes), la maladie de Lyme (transmise par les tiques), et la maladie de Chagas (transmise par les punaises triatomines).
Certaines maladies peuvent donc être à la fois des zoonoses et des maladies vectorielles comme la maladie de Lyme.
Le réchauffement climatique peut aggraver à la fois les maladies vectorielles et les zoonoses.
Les dernières décennies ont vu l’apparition de nombre de zoonoses (Jones et al., 2008) et une multiplication par 4 du nombre d’épidémies (Smith et al., 2014).
Pour l’épidémiologiste Arnaud Fontanet (Institut Pasteur) : « La déforestation en lien avec le réchauffement climatique va avoir comme conséquence des échanges accélérés de virus entre animaux et va donc augmenter le risque de pandémies ». L’urbanisation croissante et l’augmentation des déplacements de population vont aussi favoriser la transmission des maladies émergentes (source).
Selon une étude de 2022, la perte de biodiversité et nos modes de vie constituent un prélude aux émergences virales : « Aujourd’hui, l’émergence de zoonoses est un phénomène des plus préoccupants. Avec les exemples récents du virus Ebola, des virus responsables des grippes aviaires, ou des coronavirus, cette menace s’intensifie et fait craindre des pandémies de la même ampleur que celle de la Covid-19. Dans cette synthèse, nous dressons l’état des connaissances sur les mécanismes impliqués dans ces émergences, que ce soit l’impact de l’homme sur les écosystèmes, l’élevage intensif d’animaux domestiques (1), ou encore le commerce de la faune sauvage. Nous concluons sur l’importance d’adopter une réelle approche intégrée « Une seule santé » (One health) afin d’implémenter des solutions au début de ce processus d’émergence et ainsi de prévenir de nouvelles catastrophes. »
Le rapport de l’IPBES met également en garde contre « l’émergence de maladies infectieuses potentiellement plus nombreuses et plus mortelles dans les années à venir », en lien direct avec la dynamique d’effondrement du vivant. À travers ses actions et en s’appropriant des territoires jusqu’alors sauvages, l’être humain est davantage en contact avec des espèces auxquelles il n’était auparavant pas confronté. La prédominance de l’être humain modifie ainsi les dynamiques des agents infectieux, perturbe la répartition et la composition des communautés végétales et animales et fragmente les habitats.
Concernant les maladies vectorielles, les températures plus élevées peuvent accélérer le cycle de vie des vecteurs, augmentant leur taux de reproduction et la fréquence de leurs piqûres. Cela peut augmenter la transmission de maladies.
De plus, des changements dans les saisons et des hivers plus doux permettent aux vecteurs de survivre plus longtemps, prolongeant ainsi la saison de transmission.
Des foyers de dengue, de chikungunya, de fièvre du Nil occidental (qui est aussi une zoonose) et même de paludisme transmis localement se sont déclarés dans le sud et le sud-est de l’Europe ces dernières années (principalement depuis 2010). L’encéphalite à tiques (ETC) et la borréliose de Lyme (maladie de Lyme) sont les deux principales maladies transmises par les tiques en Europe, qui sont toutes deux principalement transmises par Ixodes ricinus. Des tendances à la hausse peuvent être observées pour tous les pays de l’UE. (Source).
L’impact du trafic aérien
Le trafic aérien a transformé notre monde, rapprochant des continents et des cultures autrefois isolés par des distances vastes. Cependant, cette interconnectivité mondiale a un revers important : elle augmente considérablement le risque de propagation des maladies infectieuses, transformant des épidémies locales en pandémies mondiales.
Les aéroports internationaux sont des carrefours majeurs où des milliers de personnes se croisent chaque jour, venant de régions diverses avec des niveaux de santé publique variables. Une personne infectée peut voyager d’un continent à un autre en moins de 24 heures, portant avec elle des agents pathogènes qui peuvent se propager rapidement à une population non immunisée.
Plusieurs épisodes viennent renforcer ce constat :
– En 2003, le SRAS (Syndrome Respiratoire Aigu Sévère) , maladie respiratoire apparue en Chine, s’est rapidement propagée à plus de 30 pays en quelques mois, principalement par des voyageurs aériens. Les efforts de surveillance et de quarantaine dans les aéroports ont été cruciaux pour contenir l’épidémie.
– En 2009, la Grippe A(H1N1), identifiée initialement au Mexique, a fait le tour du monde en quelques semaines. Le trafic aérien a joué un rôle clé dans sa diffusion rapide, touchant des populations sur tous les continents avant que des mesures de vaccination ne soient largement disponibles.
En 2019, le coronavirus SARS-CoV-2, à l’origine de la pandémie de COVID-19, est un exemple frappant de la manière dont le trafic aérien peut accélérer la propagation d’un virus. En quelques mois, le virus s’est répandu de Wuhan, en Chine, à presque tous les pays du monde, entraînant des confinements massifs et une crise sanitaire mondiale sans précédent.
L’impact de l’urbanisation
L’urbanisation rapide entraîne une concentration massive de populations. Cette situation crée des conditions idéales pour la propagation des maladies infectieuses. Les transports en commun bondés et les lieux de travail densément occupés facilitent la transmission rapide des agents pathogènes.
En France, lors de la pandémie de COVID19, près de 80 % des cas officiellement recensés de coronavirus par Santé Publique France se situaient dans les régions les plus densément peuplées comme l’Ile-de-France, Grand Est, Auvergne Rhône-Alpes, Hauts-de-France, Provence-Alpes-Côte-D’azur.
A l’opposé, dans le Centre Val-de-Loire et les Pays de la Loire ou encore en Bretagne et en Normandie, ce sont 7 % des cas recensés, pour une part de la population nationale (20 %) bien moins urbainement concentrée puisque 5 métropoles officielles y sont présentes contre 12 dans les 5 Régions les plus urbanisées, et qu’elles sont de taille bien plus modeste (moins de 8 % de la population totale de ces aires urbaines) (source).
(1) Les animaux sont souvent élevés dans des espaces restreints, augmentant la densité de population animale. Cette promiscuité facilite la transmission rapide des agents pathogènes entre les animaux. Par ailleurs, les conditions de surpeuplement et de stress peuvent affaiblir le système immunitaire des animaux, les rendant plus susceptibles aux infections.
Maladies à transmission vectorielle (European Climate and Health Observatory, Juillet 2024)
Les conditions climatiques (température, humidité et niveaux de précipitations) limitent la répartition géographique et saisonnière des maladies infectieuses, et les conditions météorologiques influent sur le moment et l’intensité des épidémies. Les vecteurs porteurs de maladies revêtant une importance particulière pour l’Europe sont les moustiques Aedes albopictus (un vecteur pour le chikungunya, la dengue et la dirofilariose), les moustiques Aedes aegypti (un vecteur pour le chikungunya, la dengue, la fièvre jaune et le zika), les moustiques Culex (un vecteur pour la fièvre du Nil occidental), les phlébotomes (un vecteur pour la leishmaniose) et les tiques Ixodes ricinus (un vecteur pour la borréliose de Lyme et l’encéphalite transmise par les tiques). Outre les facteurs climatiques, les risques régionaux de maladies sont également affectés par des facteurs tels que l’utilisation des terres, la lutte antivectorielle, le comportement humain, le commerce et les voyages mondiaux et les capacités de santé publique.
Virus « exotiques » en France : un sujet plus que jamais d’actualité (The Conversation, Août 2022)
Virus Usutu, virus Zika, virus du chikungunya ou de la dengue… Au cours des dernières années, ces noms aux consonances exotiques se sont fait une place dans les médias français.
Et pour cause : responsables de maladies qui ne sévissaient jusqu’à présent que dans des régions éloignées, ces virus sont en train de s’extraire des régions où ils ont longtemps été endémiques pour partir à la conquête de notre planète. La France n’est pas à l’abri de cette menace, ni dans les outre-mer ni dans les régions métropolitaines, comme en témoignent les implantations en cours de certains de ces virus autour de l’arc méditerranéen.
Alors que l’année 2022 a vu exploser en France métropolitaine les infections de dengue « autochtones » (autrement dit contractée en métropole), et que 8 cas d’infection par le virus du Nil occidental – elles aussi autochtones – ont été détectés pour la première fois en Nouvelle-Aquitaine (ainsi que 3 cas d’infection par le virus Usutu), où en est la situation ? Quels sont les virus à surveiller en priorité ?

Adaptabilité climatique pour la transmission de la dengue – Modification de la capacité vectorielle pour la transmission de la dengue à partir d’une ligne de base 1950-1959, par vecteur Source : Watts, N., et al., 2021 Note: Les données se réfèrent à la Région européenne de l’OMS
La fabrique des pandémies (note de lecture, APESA, 2021)
Préserver la biodiversité, un impératif pour la santé planétaire
Marie Monique Robin, Editions La découverte, 2021
Ce livre peut être considéré comme une externalité positive de la pandémie de COVID 19. Comme une grande partie de la population, Marie-Monique Robin était enfermée chez elle au printemps 2020. Après avoir lu un article du New York Times « We made the coronavirus epidemic », elle commence par contacter Serge Morand, chercheur au CNRS et au CIRAD, pour essayer de comprendre la relation entre l’activité humaine et les pandémies. Il réagit très positivement à sa demande «Ça fait longtemps que j’attends …de réunir dans un même film tous les scientifiques qui, comme moi, essaient de tirer la sonnette d’alarme en montrant par leurs travaux qu’il y a un lien direct entre crise de la biodiversité et crise sanitaire ». Il l’aide à contacter 62 scientifiques du monde entier. Et Marie-Monique Robin va passer 5 mois à échanger (à distance) sur le sujet des pandémies avec ces scientifiques. Ce sont ces échanges qu’elle nous retranscrit de manière très vivante dans un livre, avant de pouvoir en faire un film.
Les soixante-deux scientifiques qu’elle a interviewés sont unanimes pour affirmer que la solution n’est pas de courir après un énième vaccin, censé protéger d’une énième maladie infectieuse, au risque d’entrer dans une ère de confinement chronique de la population mondiale, mais de s’interroger sur la place des humains sur la planète, sur leur lien avec le monde vivant, dont ils ne représentent qu’une espèce parmi d’autres.
Ce message unanime est clair : il faut « Préserver la biodiversité pour la santé planétaire ».
C’est aussi ce que dit Serge Morand dans la préface « La solution n’est pas de se préparer au pire d’une prochaine pandémie , mais de l’éviter en s’attaquant aux causes, c’est-à-dire aux dysfonctionnements des relations entre les humains et les non humains ».
« La fabrique des Pandémies » nous fait ainsi découvrir pour quoi nous sommes au début d’une « épidémie de pandémies » et nous donne des pistes, autres que le vaccin, pour en sortir.
Le premier chapitre, « Le retour des pestes » pose les bases : avec la grande victoire que fut l’éradication de la variole, l’homme avait l’impression qu’il était capable d’éradiquer toutes les maladies infectieuses. Et puis sont apparues de nouvelles maladies infectieuses EBOLA, Fièvre de Lassa, SRAS et maintenant COVID, et surtout le « coup de tonnerre du SIDA » . Et malheureusement, faute d’avoir compris les causes profondes, nous ne sommes pas vraiment préparés à les affronter.
Le deuxième chapitre « Les activités humaines provoquent l’émergence des maladies infectieuses » analyse les 3 grands facteurs qui contribuent à l’émergence de nouvelles pestes. Il y a d’abord la déforestation : « quand on compare les données spatiales et temporelles de la déforestation avec celles des maladies infectieuses émergentes, on voit clairement qu’elles sont corrélées ». Les animaux domestiques servent de pont entre faune sauvage et humains, en particulier les élevages industriels. Enfin la mondialisation des échanges, si bien illustrée par le cas de la diffusion extrêmement rapide du COVID 19 sur toute la planète.
Le troisième chapitre « Les liens entre la biodiversité et les maladies infectieuses émergentes » revient d’abord sur l’importance de l’érosion de la biodiversité « les trois quart de la planète sont sous domination humaine et en état de dégradation avancées ». Les échanges avec plusieurs scientifiques illustrent le besoin de rétablir le lien entre santé et environnement « les épidémies de choléra, comme celles de maladies infectieuses zoonotiques et vectorielles sont liées aux altérations de l’environnement naturel et à des processus biologiques sur lesquels les humains ont une influence grandissante ».
Le chapitre «Comment la biodiversité protège la santé » revient sur ce paradoxe apparent «plus de biodiversité signifie plus de pathogènes, mais moins de biodiversité signifie plus d’épidémies infectieuses » à travers des exemples concrets comme celui de la maladie de Lyme qui se développe dans les environnements perturbés (forêts fragmentées pour l’agriculture, zone urbaines) en raison de la prolifération de souris à pattes blanches, ou celui des vautours qui protègent les humains de la rage.
« L’effet dilution nous dit qu’en préservant la biodiversité, nous protégeons la santé des écosystèmes, des animaux, des plantes et des humains ». Et quand il y a une biodiversité riche, il y a beaucoup plus d’effet dilution que d’augmentation du risque.
Le cinquième chapitre « Les maladies non transmissibles : l’hypothèse de la biodiversité » nous montre que «le contact avec l’environnement naturel enrichit le microbiome humain, promeut l’équilibre immunitaire et protège des allergies et des désordres inflammatoires ». Un contact précoce avec l’environnement naturel explique pourquoi les Africains n’ont pas ou peu d’allergies. La déconnection de notre mode de vie occidental de la biodiversité engendre plus de fragilité «L’aseptisation du mode de vie occidental fait le lit des maladies allergiques, auto-immunes et inflammatoires en raison de la réduction drastique de l’exposition aux agents infectieux ». Cette fragilité se combine à une exposition plus importante : « La perte de biodiversité est une arme à double tranchant : d’un côté, elle favorise le contact avec des agents pathogènes que l’homme n’avait jamais rencontrés ; de l’autre , elle rend les humains plus susceptibles d’être affectés profondément par ces micro-organismes infectieux ».
Le sixième chapitre « Vers une écologie planétaire de la santé » et le septième « bien être humain et santé des écosystèmes : les peuples indigènes montrent la voie » montrent que la réponse passe par une conception globale de la santé, à l’interface hommes-animaux-écosystèmes. Une première réponse « One Health » c’est de refaire le lien entre santé animale et humaine, mais il faut aller plus loin et raisonner en terme de « Planetary Health » en intégrant le dérèglement climatique, la production d’aliments, la pêche industrielle, l’aménagement des villes et plus globalement la protection des écosystèmes.
Un ouvrage très riche en témoignages qui s’entrecroisent et se confortent. Il est difficile d’en rendre compte exhaustivement dans une chronique. Toutefois la conclusion s’impose d’elle-même : « Si nous voulons éviter un effondrement global de nos conditions de vie, les politiques doivent prendre de toute urgence des mesures pour arrêter l’érosion des écosystèmes et réduire drastiquement les inégalités sociales ».
Autrement dit la préservation de la biodiversité et la lutte contre la pauvreté sont notre « assurance vie » en tant qu’espèce.