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L’ESSENTIEL
Il ne faut pas se leurrer : il n’y aura pas de « transition douce », tant le retard pris est important. Comme nous allons le voir, il nous faut atteindre un plafond de 2 tonnes d’émissions par an et par personne (tous GES confondus, et en intégrant les consommations importées) avant 2050 pour assurer la neutralité carbone. Il nous faut assumer notre dette envers les pays du Sud et nous engager sur la voie de la décroissance.
Ce qui veut dire, tout à la fois, déconstruire les dangereuses illusions du technosolutionnisme, définir ce que nous entendons par « décroissance » et, au bout du compte, en tirer une conclusion claire quant au système économique actuel. Celui-ci, intrinsèquement conçu pour tout sacrifier au profit, ne pourra jamais être régulé.
C’est l’intégralité de notre mode de vie qui doit commencer changer, pas dans dix ou vingt ans, mais immédiatement. Même si le chemin pour parvenir aux objectifs de « viabilité écologique » peut se faire (relativement) de manière progressive, nous n’avons plus d’autres choix que d’aller très vite, sous peine de devoir tirer un trait sur la possibilité d’un XXIIème siècle.
Et il n’y a, malheureusement, aucune exagération dans ce propos.
Un modèle décroissant
Pour beaucoup, la « décroissance » est synonyme d’appauvrissement et même de misère, et ce serait, pour reprendre une expression très usitée (y compris au plus haut sommet de l’Etat !), un retour à la bougie ou un mode de vie « amish » !
En mai 2023, Bruno Le Maire, en visite à la Guadeloupe, fustigeait ainsi la « décroissance » : « Certains disent que la meilleure façon de lutter contre le réchauffement climatique, c’est la décroissance. Je n’y crois absolument pas » (…). « La décroissance, ça veut dire être moins bien soigné, ça veut dire se déplacer moins, ça veut dire une qualité de transport moins bonne et ça veut dire moins de prospérité pour nos enfants. Moi je refuse avec beaucoup de clarté cette voie de la décroissance ».
Cette rhétorique caricaturale est parfaitement révélatrice du « malentendu », volontairement entretenu, sur le vocable de décroissance. Car la décroissance peut signifier bien d’autres choses.
Tout dépend de ce que l’on estime être le « bonheur », le « bien-être », le « confort », etc. Nous le savons : le PIB ne mesure que la somme des valeurs ajoutées. Ainsi, raser une forêt, construire une autoroute, accroitre le trafic aérien, sont des activités qui boostent le PIB. De la même manière et pour forcer le trait, nous pourrions creuser des trous pour les reboucher ensuite, la croissance en bénéficierait ! Il serait bien plus intéressant de raisonner sur la base d’autres indicateurs comme l’IDH ou de l’ISS (’Indice de Santé Sociale), l’Indice Canadien du Mieux-Être (ICME), etc. (voir note du CEPAG). De même, dans une approche sociale et solidaire de la décroissance, la remise en cause des inégalités reviendrait à amortir considérablement le choc de la « sobriété » pour une grande partie de la population.
Pour Serge Latouche, la question n’est pas de conserver notre modèle économique en lui appliquant un taux de croissance négatif, ce qui serait une absurdité (source) : « On sait que le simple ralentissement de la croissance plonge nos sociétés dans le désarroi en raison du chômage et de l’abandon des programmes sociaux, culturels et environnementaux, qui assurent un minimum de qualité de vie. On peut imaginer quelle catastrophe serait un taux de croissance négatif ! ». Par conséquent, la décroissance n’est envisageable que dans une société de décroissance.
Ce modèle à faire émerger repose sur plusieurs principes forts :
– Faire les arbitrages nécessaires et des priorisations sur des critères d’utilité sociale et de développement du mieux-être (éducation, aide aux personnes âgées, service public de la petite enfance, système de santé, accès aux services publics…) ;
– La relocalisation maximale des productions et des consommations ;
– Le primat donné à la coopération entre les collectifs de production en lieu et place d’une concurrence fratricide ;
– Une très forte réduction du temps de travail (ce qui libère autant de possibilités de créer),
– Et enfin, une « gouvernance citoyenne », indispensable pour dépasser la démocratie représentative actuelle sans verser dans un centralisme bureaucratique aussi mortifère qu’inefficace.
Néanmoins, si un tel futur peut être désirable, il ne faut pas se tromper : il comprend un cheminement qui peut être douloureux. En finir avec une addiction n’est jamais chose simple !