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L’ESSENTIEL
Le principe de précaution :
Nous avons une fâcheuse tendance à prendre les chiffrages projectifs du GIEC en omettant les degrés de confiance indiqués.
N’oublions pas que lorsque le GIEC évoque la possibilité, y compris dans les modèles les plus optimistes, de rester en deçà des +1,5 degrés (même avec des dépassements temporaires et limités), c’est avec une probabilité « d’au moins 50% »
Donc, « au moins », une chance sur deux sans certitude aucune que ce degré puisse être plus élevé.
Autant dire que nous en tenir à ce qui constituerait des objectifs minimalistes, aux résultats très incertains, revient indubitablement à jouer à la roulette russe.
Le budget carbone restant
Pour bien comprendre ce point, il nous faut revenir sur celui de la neutralité carbone. Le mieux est alors de reprendre directement les explications du GIEC, ce qui va également nous permettre d’aborder l’épineuse (et inquiétante) problématique des « puits carbone ».
Reprenons : le réchauffement global est déterminé par l’accumulation dans notre atmosphère des gaz à effet de serre. Il découle donc de nos émissions passées comme future.
Ainsi, « Pour chaque 1000 GtCO2 émis par l’activité humaine, la température moyenne mondiale augmente probablement de 0,27°C à 0,63°C (meilleure estimation de 0,45°C). Cette relation implique qu’il existe un budget carbone fini qui ne peut être dépassé afin de limiter le réchauffement à un niveau donné. » (IPCC, GW1, p 46).
Si nous voulons freiner le réchauffement global, il nous faut donc atteindre, le plus rapidement possible, le « net zéro » ou « zéro émission nette » (autrement dit, à minima, stopper le mouvement d’accumulation). En simplifiant, ce net zéro est le point où les émissions de gaz à effet de serre, produites par l’activité humaine (« anthropiques ») sont contrebalancées par l’absorption de puits carbones supplémentaires.
Cela veut dire que si nous devons continuer à émettre « X tonnes de carbone et autres GES, nous devrons pouvoir mettre « en face » de nouveaux puits carbone, en régénérant les sols, en aménageant de nouvelles zones humides, en choyant nos prairies, en soignant et en étendant nos forêts, sans compter sur des « solutions » technologiques plus qu’hypothétiques et potentiellement dangereuses. Mais force est de constater que nous allons plutôt dans la direction opposée.
Quel est le budget carbone restant à la date d’aujourd’hui ?
Le dernier rapport du GIEC fait un point sur notre budget carbone, avec différents scénarios d’émissions.
Les estimations du rapport actuel sont beaucoup plus précises que dans le précédent rapport du GIEC. Nous savons que le réchauffement climatique est quasiment proportionnel à la quantité totale de CO2 émise, comme indiqué dans le graphique suivant :

Comme nous pouvons l’observer sur ce graphique, les futures émissions cumulées de CO2, qui varient d’un scénario à l’autre, ont un impact direct sur l’ampleur du réchauffement climatique à venir. Nous pourrions donc limiter le réchauffement climatique en limitant nos émissions de CO2. Il faut cependant noter que le scénario SSP1-1.9 des émissions, le plus optimiste, suppose une quantité énorme d’émissions négatives au cours du 21ème siècle (source).
Entre le rapport SR15 (le rapport spécial sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C) et le nouveau rapport AR6, les éléments du budget carbone ont tous été réévalués :
– Le réchauffement passé, qui a été mis à jour pour inclure toutes les tonnes émises ;
– Le niveau de réchauffement par tonne de CO2 ;
– Le réchauffement hors CO2 projeté ;
– Le réchauffement qui se produirait une fois le niveau net zéro de CO2 atteint ;
– Les réactions du système terrestre non couvertes par ailleurs.
La bonne nouvelle est que, malgré ces mises à jour, les estimations du budget carbone restant de ce rapport AR6 sont très similaires à celles qui avaient été formulées dans le rapport SR15. D’après ces estimations, notre budget carbone restant est assez bas, si nous voulons éviter d’atteindre le seuil réchauffement mondial de +1,5 °C (ibid).

NB : Les budgets carbones restants estimés sont calculés depuis le début de 2020 et étendus jusqu’à ce que le seuil du strict zéro émission de CO2 soit atteint. Ils se réfèrent aux émissions de CO2 tout en prenant en compte les effets des émissions autres que le CO2 dans le calcul des effets du réchauffement climatique. Le réchauffement climatique dans ce tableau fait référence aux augmentations de température de surface induites par l’activité humaine, ce qui exclut l’impact de la variabilité naturelle des températures pour chaque année prise à part (source).
Le tableau ci-dessus reprend différents scénarios de budget carbone restant, si nous voulons éviter d’atteindre différents stades de réchauffement climatique (+1,5, +1,7 et +2 °C). Il indique cela en termes de budgets carbone restants, à partir de début 2020, et la probabilité de limiter le réchauffement climatique à un certain degré, en fonction du budget carbone à respecter. Par exemple, si nous respectons un budget carbone de 300 GtCO2 d’ici la fin du siècle, nous avons une probabilité de 83% de ne pas dépasser le seuil de réchauffement de +1,5 °C (source).
Comme on peut le constater, les budgets restants sont faibles, et ce peu importe le scénario. Nos émissions actuelles sont d’environ 40 GtCO2/an, elles restent donc trop élevées par rapport aux budgets carbone limitant au maximum le réchauffement climatique. Sans une réduction rapide, nous dépasserons largement les budgets dans un avenir proche (et donc les limites de +1.5°C et +2°C) (ibid).
Un budget carbone encore moindre ?
Les prévisions changent en fonction de ce qu’il advient des gaz à effet de serre autres que le CO2, comme le méthane et l’oxyde d’azote, et du rythme de réduction des aérosols qui refroidissent le climat.
il existe plusieurs façons de calculer la quantité que nous pouvons encore émettre. Les estimations du GIEC sont fondées sur les modèles dits « de système Terre » (ESM, Earth System Model).
Critique des modèles ESM : Ils accroissent les émissions jusqu’à ce que les températures progressent de 1,5C et supposent qu’elles cessent immédiatement une fois ce seuil atteint, ce qui est bien sûr impossible dans le monde réel.
Certaines études estiment ainsi que le budget carbone restant pour maintenir le réchauffement « nettement en dessous » de 1,5C pourrait avoir déjà été dépassé, tandis que d’autres estiment qu’il nous reste jusqu’à 15 années supplémentaires d’émissions au rythme actuel.
ATTENTION : DERNIERE MISE A JOUR. Rester en-deçà des + 1.5°C est désormais « officiellement » hors de portée !
Post Linkedin de Valérie Masson-Delmotte, juin 2025 :
Avec 60 scientifiques de 54 institutions et 17 pays, nous avons réactualisé le suivi des indicateurs clés du changement climatique et de l’influence humaine jusqu’à fin 2024, sur la base des réactualisations des jeux de données et méthodes évalués dans le 6ème rapport du GIEC (2021) qui portaient souvent jusqu’à fin 2019.
Les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuent à augmenter, et donc leurs concentrations augmentent dans l’atmosphère, ajoutant à l’accumulation de chaleur dans le système climatique. Depuis une vingtaine d’années, les politiques publiques pour améliorer la qualité de l’air ont permis de réduire certaines émissions de particules, et la réduction de leur effet « parasol » ajoute au réchauffement.
Le forçage radiatif dû aux activités humaines atteint quasiment 3 W/m2 au-dessus du niveau 1750, soit 9% de + en 5 ans. Le déséquilibre du bilan d’énergie de la Terre (forçage + réponse du climat) atteint 1 W/m2 en 2012-2024, 25% de + qu’en 2006-2018 et 2 x + qu’en 1970-1980.
Cette accumulation d’énergie conduit au réchauffement de surface, et à la montée du niveau de la mer. Le niveau de la mer a monté de près de 23 cm par rapport à 1901, et son rythme accélère, pour atteindre près de 4 mm/an sur la dernière décennie. Le niveau de la mer a monté de 26 mm de 2019 à 2024.
Le réchauffement observé atteint 1,24°C au-dessus de 1850-1900 en 2015-2024, dont 1,22°C dû aux activités humaines. Il est plus prononcé au-dessus des continents (1,8°C) que de l’océan (1°C), et la température des extrêmes chauds augmente + que le réchauffement moyen.
Le réchauffement dû aux activités humaines se produit à un rythme + rapide, atteignant + 0,27°C sur 2015-2024, et atteint 1,36°C en 2024. A ce rythme, un niveau de réchauffement de 1,5°C sera atteint d’ici 5 ans.
En 2024, la variabilité spontanée du climat (El Nino, Atlantique nord) s’est superposée temporairement à celui-ci, et la température a dépassé pour la première fois 1,5°C au-dessus du niveau 1850-1900.
Cette année record est une année banale dans un monde 1,36°C plus chaud (1 chance sur 6 de se produire, 1 chance sur 2 en cas d’évènement El Nino + Atlantique nord chaud).
Le budget carbone résiduel pour limiter le réchauffement à 1,5°C avec 50% de chance s’épuise rapidement (-74% par rapport à l’évaluation faite en 2021) et correspond à environ 3 ans d’émissions de CO2 au niveau actuel (130 Gt).
C’est un rappel à la réalité des faits : les efforts engagés depuis l’Accord de Paris (il y a 10 ans) n’ont pas été suffisants pour limiter le réchauffement à 1,5°C.
Mais la suite va dépendre des choix qui vont être faits, et il est possible, en réduisant fortement les émissions de gaz à effet de serre, de freiner le réchauffement à venir, et limiter l’ampleur des risques associés.
Lire l’étude : https://essd.copernicus.org/articles/17/2641/2025/essd-17-2641-2025.html
Indicators of Global Climate Change 2024: annual update of key indicators of the state of the climate system and human influence (juin 2025)
Indicateurs du changement climatique mondial 2024 : mise à jour annuelle des indicateurs clés de l’état du système climatique et de l’influence humaine
Résumé
Dans un contexte climatique en évolution rapide, la prise de décision fondée sur des données probantes bénéficie d’informations actualisées et actualisées. Nous compilons ici des ensembles de données de surveillance (publiés sur https://doi.org/10.5281/zenodo.15639576 ; Smith et al., 2025a) afin de produire des estimations actualisées d’indicateurs clés de l’état du système climatique : émissions nettes de gaz à effet de serre et de facteurs de forçage climatique à courte durée de vie, concentrations de gaz à effet de serre, forçage radiatif, déséquilibre énergétique de la Terre, variations de la température de surface, réchauffement attribuable aux activités humaines, bilan carbone restant et estimations des extrêmes de température mondiale. Cette année, nous incluons également des indicateurs d’élévation du niveau de la mer et de variation des précipitations terrestres. Nos méthodes sont aussi proches que possible de celles utilisées dans le rapport du Groupe de travail 1 du sixième rapport d’évaluation du GIEC (AR6).
Les indicateurs montrent que les activités humaines accentuent le déséquilibre énergétique de la Terre et accélèrent l’élévation du niveau de la mer par rapport à l’évaluation AR6. Pour la moyenne de la décennie 2015-2024, le réchauffement observé par rapport à la période 1850-1900 était de 1,24 [1,11 à 1,35] °C, dont 1,22 [1,0 à 1,5] °C d’origine anthropique. La meilleure estimation de la température de surface mondiale observée en 2024 (1,52 °C) est bien supérieure à la meilleure estimation du réchauffement d’origine anthropique (1,36 °C). Cependant, le réchauffement observé en 2024 peut encore être considéré comme une année typique, compte tenu du niveau de réchauffement d’origine anthropique et de l’état de variabilité interne associé à la phase d’El Niño et à la variabilité atlantique. Le réchauffement d’origine anthropique a augmenté à un rythme sans précédent dans les données instrumentales, atteignant 0,27 [0,2-0,4] °C par décennie sur la période 2015-2024. Ce réchauffement rapide est dû à la fois à des émissions de gaz à effet de serre atteignant un niveau record de 53,6 ± 5,2 Gt CO2e an-1 au cours de la dernière décennie (2014-2023), et à une diminution de l’intensité du refroidissement par aérosols. Malgré cela, des données indiquent que le taux d’augmentation des émissions de CO2 au cours de la dernière décennie a ralenti par rapport aux années 2000. Selon les choix sociétaux, une série continue de ces mises à jour annuelles au cours de la décennie critique des années 2020 pourrait suivre une diminution ou une augmentation du rythme des changements climatiques présentés ici.