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L’ESSENTIEL
Le coût économique des chocs climatiques est un sujet à la fois majeur et étonnamment mal quantifié : comme pour la question des migrations, la mesure précise reste difficile. Un rapport de l’ONG britannique Christian Aid publié en décembre 2020 intitulé Counting the cost 2020 : A Year of Climate Breakdown fait état d’un premier repère : en 2020, les dommages assurés liés aux catastrophes météo-extrêmes sont estimés à environ 150 milliards de dollars. (voir https://www.actu-environnement.com/media/pdf/dit-aujourdhui/951-rapport-christian-aid-catastrophes-climatiques-2020.pdf)
Le rapport mentionne que dix des catastrophes les plus coûteuses de cette année-là ont chacune dépassé 1,5 milliard de dollars de pertes et que neuf d’entre elles ont dépassé 5 milliards. (voir https://mediacentre.christianaid.org.uk/extreme-weather-driven-by-climate-change-cost-the-world-billions-in-2020-report/) Ces chiffres sont déjà impressionnants mais doivent être interprétés avec prudence : ils ne concernent que les pertes assurées, dans des contextes où dans de nombreux pays à faibles revenus, la couverture d’assurance est très faible.
En effet, selon la même méthode, le réassureur allemand Munich Re estimait pour 2020 les coûts à environ 250 milliards de dollars, ce qui confirme que l’écart entre estimations varie fortement et que le “coût réel” est sans doute bien plus élevé. Une donnée frappante : dans les pays à faibles revenus, seules 4 % des pertes économiques dues aux événements extrêmes liés au climat étaient assurées, contre environ 60 % dans les économies à revenus élevés. Le coût “non assuré” — invisible dans de nombreux bilans — s’avère donc immense.
Une autre référence incontournable est la comparaison réalisée par la United Nations Office for Disaster Risk Reduction (UNISDR) dans son rapport Economic Losses, Poverty & Disasters 1998–2017. Pour la première période 1978-1997, les pertes directes liées aux catastrophes physiques atteignaient 1 313 milliards de dollars, dont 895 milliards attribuables à des phénomènes climatiques extrêmes (soit environ 68 % du total).
(voir https://www.unisdr.org/2016/iddr/IDDR2018_Economic%20Losses.pdf)
Pour la période suivante, 1998-2017, les pertes ont quasiment doublé : 2 908 milliards de dollars, dont 2 245 milliards liés à des phénomènes climatiques (soit ~77 % du total) — soit une augmentation d’environ 1 350 milliards sur vingt ans. (voir https://reliefweb.int/report/world/economic-losses-poverty-disasters-1998-2017)
Ce rapport met aussi en évidence que le nombre de catastrophes naturelles a été multiplié par quatre depuis 1970, et que le coût moyen par événement a été multiplié par environ 2,2 fois. (voir https://www.weforum.org/stories/2018/10/climate-disasters-cause-global-economic-losses-un/)
Ces données permettent de dégager plusieurs enseignements essentiels :
1. Le poids actuel des coûts est déjà très élevé.
Même sans retenir tous les « coûts cachés », les montants recouvrent des milliers de milliards de dollars. Le fait que les pertes assurées seules atteignent des centaines de milliards souligne que l’économie globale est déjà lourdement impactée par les aléas climatiques.
2. L’accélération est nette.
L’augmentation des pertes entre les deux périodes 1978-1997 et 1998-2017 montre non seulement un accroissement du nombre d’événements, mais aussi une augmentation de leur gravité et/ou de leur exposition économique. L’étude de UNISDR montre donc un double mouvement : plus d’événements + coûts plus élevés par événement.
3. L’inégalité de couverture accentue les inégalités globales.
Le fait que seules 4 % des pertes soient assurées dans les pays à faibles revenus (contre ~60 % dans les pays riches) signifie que ce sont les populations déjà vulnérables qui paient le plus, sans filet. Cela pose une question de justice climatique. (Voir Christian Aid et données de Munich Re)
4. Les coûts ne se réduisent pas aux dommages matériels.
Il faut aussi considérer les pertes de productivité, les coûts de relèvement, les pertes immatérielles (santé, éducation, déplacement des personnes). Par exemple, des rapports se penchent sur l’effet des catastrophes sur les chaînes de valeur globales, sur la dépendance accrue aux importations alimentaires après des sécheresses ou inondations, et sur les services publics affaiblis.
5. Des exemples précis illustrent l’ampleur.
Le rapport de Christian Aid, par exemple, recense des événements comme les feux de forêt australiens 2019-20, l’ouragan de 2020 aux États-Unis, ou les inondations en Chine et en Inde — chacun générant des coûts estimés de plusieurs milliards. Ces “cas-phares” montrent que les pertes ne sont pas seulement liées aux régions riches, mais que l’ensemble du système économique mondial en subit les effets.
6. Implications macro-économiques et structurelles.
Quand des catastrophes se multiplient et coûtent des milliards, les effets macro-économiques deviennent flagrants : budget national impacté, infrastructures endommagées, effets sur la croissance, sur les investissements, sur l’assurance. Même pour les pays développés, des événements extrêmes deviennent des risques systématiques pour les finances publiques.
7. La question de l’enregistrement et des données reste un défi.
Les statistiques sont souvent incomplètes, mal comparées dans le temps ou entre pays, surtout pour les pertes non assurées. Les données montrent des ordres de grandeur mais les chiffres réels pourraient facilement être plus élevés de plusieurs centaines de milliards.
En résumé, même en ne prenant pas en compte les coûts prospectifs, les estimations disponibles suggèrent un ordre de grandeur déjà élevé, une croissance franche dans le temps et des écarts importants entre ce qui est assuré et ce qui est vécu. Le coût économique des impacts climatiques est loin d’être marginal : il constitue un enjeu structurant pour les politiques de résilience, de financement international, de couverture d’assurance et de justice climatique.
Peut-on assurer un monde qui s’effondre ? (Etude initiée et conduite par Sinon virgule, 2023)
« D’une part, il s’agit de s’interroger sur les effondrements des régimes assurantiels, c’està-dire sur les vulnérabilités d’un secteur face à l’Anthropocène. Cette première voie revient donc à s’intéresser à l’assurance comme un monde déjà en prise avec une telle mécanique. Une telle posture ne revient pas à poser sur le secteur un regard pessimiste mais cherche au contraire à être aussi réaliste que possible et à étudier le monde tel qu’il est, débarrassé des discours de gestionnaires qu’il produit pour se rassurer. Envisager l’assurance comme un véhicule effondré, c’est ainsi accepter des phénomènes capables de la déstabiliser en profondeur, donner a pleine mesure des ruptures auxquelles nous faisons face, et donc s’autoriser à penser des pistes radicalement différentes pour y faire face.
D’autre part, cette articulation entre effondrement et assurance pose la question des futurs régimes assurantiels de l’effondrement, c’est-à-dire les possibles façons de se protéger du risque dans un monde effondré, et donc complètement reconfiguré.
Ici, il s’agit donc d’étudier les différentes raisons de croire à un Effondrement (majuscule et global donc), aux dynamiques d’un monde effondré et à la façon dont nous pourrions y vivre. Car après l’Effondrement, le risque ne disparaît pas (bien au contraire), et il restera essentiel pour les communautés humaines de se protéger et de se sentir en sécurité ».