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L’ESSENTIEL
En lieu et place d’une attente de « redirection écologique » de la ville, une autre approche, plus radicale, consiste à renoncer à la ville métropole, pour opérer la transition au niveau de villes moyennes ou de la revitalisation des territoires ruraux.
Nous avions, en septembre 2023, publié dans Récits de l’Anthropocène, une note de lecture à propos du livre de Dominique Faburel, auteur que nous trouvons particulièrement pertinent.
Nous la republions ci-dessous :
Guillaume Faburel est professeur en géographie, urbanisme et science politique. Il est l’auteur de « Les métropoles barbares », en 2018. En 2020, il publie « Pour en finir avec les grandes villes », une critique radicale du « modèle » de la grande ville et de la métropole. G. Faburel dresse un plaidoyer en faveur de la construction, dès aujourd’hui, d’une société hors des grandes villes, seul futur viable. Ce livre, illustré de nombreux témoignages, a été un point de départ pour le « mouvement du Post Urbain », fin 2020 (voir ICI).
Ce manifeste pour une société écologique posturbaine va passer en revue toutes les conséquences hautement néfastes de la « vampirisation » du monde par les aires urbaines.
Elles épuisent l’environnement écologique dans lequel elles se déploient. Elles y exploitent l’intégralité des ressources naturelles, colonisent la totalité des espaces plus ou moins proches et détruisent systématiquement les habitats naturels du vivant, bouleversent l’ensemble des écosystèmes avoisinants voire plus lointains par l’intensification de l’agriculture, l’industrialisation de l’énergie, la massification des loisirs ou encore l’accroissement des circulations à grande vitesse.
La globalisation du béton est responsable à elle seule de 9% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. En France, elle sert d’abord à ériger, pour moitié, des grandes surfaces commerciales, des zones d’activités économiques, des espaces logistiques, des routes… Or, 20% des émissions de C02 du pays pourraient être éliminées si l’on changeait en France les matériaux et les systèmes de construction (bois, fibre, terre, paille…).
La pollution est également et étroitement liée aux villes. Emanant principalement des transports et du confinement des logements, les particules fines sont classées cancérigènes par les différents organismes de santé. Quant aux oxydes d’azote, ils sont responsables de 50 000 morts chaque année, si bien que le Conseil d’Etat a ordonné aux autorités françaises de prendre quelques mesures pour les métropoles de Grenoble, Lyon, Marseille-Aix, Strasbourg ou encore Toulouse.
Avec le réchauffement climatique, les choses s’aggravent. Les différences de températures entre les fournaises des cœurs métropolitains et les campagnes alentours en période estivale, sont conséquentes et peuvent atteindre les 8 degrés.
Enfin, le milieu urbain incite à l’hyperconsommation et à une véritable débauche d’énergie. Des études comparatives européennes montrent qu’une organisation territoriale plus équilibrée, structurée autour d’un réseau dense et relié de petites villes, consomme jusqu’à 40% moins d’énergie, à superficie et population comparables.
Sur les questions de résilience alimentaires, la balance des avantages / inconvénients ne penche pas non plus en faveur de la ville. L’autonomie alimentaire des 100 plus grandes villes françaises est en moyenne de trois à cinq jours. A Paris, si l’on utilisait tous les toits plats de la capitale, ce qui représente une superficie de 80 hectares, et si l’on obtenait des niveaux élevés de production, celle-ci couvrirait un peu moins de 7% de la consommation de fruits et légumes des Parisien-nes.
Les villes favorisent aussi l’expansion des épidémies. Si le Covid-19 a pu émerger et se diffuser à l’échelle mondiale à une vitesse jamais connue jusqu’alors, c’est bien du fait de la conjonction de facteurs qui caractérise la métropolisation du monde.
Politiquement et socialement, la ville est l’espace privilégié des processus de gentrification, de ségrégation, d’évincement des classes populaires. A Paris, plus de 55% des actif.ves occupé.es sont aujourd’hui des cadres et des entrepreneur.ses ! A Lille ou Bordeaux, la croissance des « catégories supérieures » est en augmentation de 1% par an, en moyenne et depuis dix ans. Les petites gens doivent faire de la place pour ces publics, cibles privilégiées des politiques de la ville.
Comme l’écrit G. Faburel, nous avons donc un « petit » problème ! L’urbanisation est très directement responsable de l’écocide engagé tout en éloignant toujours plus les citoyens des cercles de pouvoir locaux et en sacralisant un mode de vie fait d’artifices et de gadgets.
Pourtant, seul.es 13% des Français-es considèrent la grande ville comme un lieu de vie idéal. Pollutions, stress, mobilité incessante et connexion permanentes sont devenues une norme que beaucoup ne parviennent plus à supporter.
Etouffante, la ville bétonne, cloisonne et nous coupe du Vivant. En Réaction, d’autres perspectives se sont lentement mais sûrement ouvertes à cette démesure. Un nombre grandissant d’alternatives se déploient dans les marges des grandes villes et dans les « périphéries » plus ou moins reculées, d’abord dans les campagnes et les espaces ruraux des petites villes et hameaux. Elles sont l’occasion de mettre en œuvre des formes de coopérations nouvelles ainsi
que des fonctionnements démocratiques moins grandiloquents… mais plus directs.
L’ouvrage va donc bien plus loin qu’un simple constat du marasme des villes, en tant que proposition civilisationnelle. Il porte une critique politique, une exigence de justice sociale, de « bouleversement démocratique » et d’autogestion, de renoncement au productivisme, et de confédéralisme communaliste.
Pour finir, nous nous permettrons un petite critique (constructive) : il serait souhaitable de pousser plus loin le raisonnement sur la problématique de l’occupation des sols. Car dans l’imaginaire pro-urbain entretenu par la pensée dominante, les villes seraient tout simplement nécessaires par faute d’espace. Autrement dit, en renonçant aux villes, nous irions massacrer ce qui reste « d’espaces naturels ». Ce qui se révèle absolument faux. D’une part, les problèmes majeurs posés par l’urbanisme actuel sont le « mitage » (c’est-à-dire l’éparpillement largement désordonnées et aléatoires des habitats et des bâtiments), et surtout une absence de bon sens assez effarante dans les plans d’occupation des sols.
Si l’on prend, par exemple, une ville moyenne comme Villefranche sur saône, un survol de la ville met immédiatement en évidence un grand nombre d’aberrations. Et les inégalités sociales sautent aux yeux (entre le secteur résidentiel et les immeubles de plusieurs étages ou s’entassent les moins bien lotis).
Un rapide calcul nous remet les ordres de grandeur en tête. Avec une population de 36 009 habitants et une surface de 9,5 km2, la densité est de 3 789 h / km2 en 2020. Ainsi, en imaginant que toute la population soit logée dans ces conditions, l’espace d’habitat occupé (dont les entreprises, commerces, services publics, etc.), serait de 17 881 km2 soit 1, 788 millions d’hectares (contre les 2,4 millions d’hectare actuel !). Il serait par conséquent tout à fait possible d’envisager en théorie, quelques 1890 villes (sur la base de 36 000 habitant.es), tout en occupant moins de place qu’aujourd’hui ! C’est un chiffre à mettre en regard des surfaces agricoles utiles : 26,8 millions d’hectares de terres arables, dont 70 % (18,76 millions d’hectares) sont consacrées, directement ou indirectement à l’élevage (pâturages, cultures pour le bétail…). Si l’on imagine baisser, à minima, notre consommation de viande de moitié, cela laisse entrevoir de toutes nouvelles possibilités.
Non seulement nous pourrions faire de la ville petite et moyenne, le standard, mais nous aurions encore de quoi (et largement) reboiser et réensauvager de vastes zones.
Autre remarque qui nous semblait importante : lorsque l’on regarde les chiffres des densités urbaines, on s’aperçoit très vite qu’il n’y a pas de corrélation entre la hauteur des immeubles et ladite densité. La ville doit développer de multiples infrastructures qui prennent un espace considérable ! Ce faisant, si l’on réduit la surface des logements en conformité avec des objectifs de sobriété (BL Evolution et d’autres avancent le chiffre de 30 m2 par personne maximum), si l’on repense la répartition du bâtis, pour réduire le mitage, si l’on raisonne sur des villes moyennes libérées du tout voiture mais dotées de système de transports collectifs (bus, tram, et flotte de véhicules partagées, mobilités douces), et si l’on réutilise les logements vacants (sur notre exemple de Villefranche sur saône, ils représentent tout de même près de 10 % !), les 67 millions de francais.es pourraient largement faire de la place au Vivant !
Au final, et même si nous sommes un peu resté sur notre faim en raison des éléments précédemment évoqués, c’est un excellent livre, à même de « booster » la réflexion sur l’urbain. A dévorer sans modération !