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L’ESSENTIEL
L’état actuel des forêts et leur capacité de puits carbone
Les forêts mondiales continuent de jouer un rôle important comme puits de carbone, mais la trajectoire récente montre que leur capacité d’absorption est en perte de vitesse, voire menacée dans certaines régions.
Selon une analyse globale fondée sur des mesures terrain couvrant trois décennies, la capacité moyenne de puits des forêts mondiales (tous biomes confondus) est estimée à environ 3,6 ± 0,4 PgC/an (soit ≈ 13,2 GtCO₂/an) sur la période récente. US Forest Service
Cependant, derrière cette moyenne stable se cachent des dynamiques préoccupantes : les forêts boréales voient leur puits décliner (–36 ± 6 % dans les dernières décennies) et les forêts tropicales intactes également (–31 ± 7 %) à cause de l’augmentation des perturbations et de la perte de surface intacte. US Forest Service
Parallèlement, une étude publiée par World Resources Institute (WRI) indique que pour l’année 2023, les forêts ont absorbé seulement un quart du CO₂ qu’elles absorbent en “année normale”, en raison des feux extrêmes et pertes de biomasse. World Resources Institute
Ces faits combinés indiquent que bien que les forêts demeurent un puits, leur efficacité est déjà voyamment réduite, et certaines régions basculent progressivement vers un bilan carbone neutre ou même source.
Pressions récentes et facteurs de perte
Plusieurs facteurs expliquent la détérioration de la capacité d’absorption :
- Les feux de forêt de plus en plus fréquents, intenses et étendus réduisent directement la biomasse stockée et affectent le bilan carbone. (voir WRI)
- La déforestation, l’exploitation forestière non durable et les dégâts liés aux ravageurs ou maladies affaiblissent les forêts matures, et réduisent la superficie et la qualité des forêts “puits”.
- Le changement climatique (sécheresses, élévation des températures, stress hydrique) affaiblit la croissance végétale, augmente la mortalité d’arbres, et modifie le fonctionnement des forêts, ce qui limite leur capacité à absorber du CO₂.
- La variabilité interannuelle liée notamment à des phénomènes comme El Niño / La Niña accentue les pertes de puits terrestres. Une étude “low latency” indique qu’entre juillet 2023 et juillet 2024, la réduction du puits de la terre (dont les forêts font partie) est estimée à ~2,24 GtC/an, en grande partie dans les tropiques. arXiv
Zones géographiques contrastées
- Les forêts tempérées et celles issues de régénération affichent quelquefois des gains (+30 ± 5 % pour certaines forêts tempérées) selon l’analyse globale. US Forest Service
- En revanche, les forêts boréales et tropicales intactes montrent une forte dégradation de leur puits. US Forest Service
- Des données récentes de surveillance par satellite et inventaires forestiers montrent également que l’incertitude reste élevée pour les flux de carbone dans les forêts tropicales, ce qui rend difficile une estimation précise de leur bilan net. globalforestwatch.org
Implications pour la capacité de puits carbone
Le constat est le suivant : même si les forêts continuent d’absorber du carbone, leur marge d’absorption disponible se réduit. Leur capacité ne peut pas être considérée comme un “réservoir extensible à l’infini”. En pratique :
- Le ralentissement ou l’inversion du puits dans certains biomes signifie que la contribution future des forêts au stockage de carbone pourrait diminuer.
- L’augmentation des perturbations rend probable que certaines forêts deviendront neutres ou émettrices plutôt que puits.
- La surveillance et les inventaires doivent être renforcés, car certaines dynamiques (mortalité, feux, dégradation) ne sont pas encore entièrement intégrées dans les bilans mondiaux.
- Dans un contexte où les émissions fossiles restent élevées, la contribution des forêts (quelque GtCO₂/an) apparaît insuffisante pour contre-balancer ces flux massifs.
À l’état actuel, les forêts restent un puits de carbone, mais un puits qui s’affaiblit, qui est sous forte pression, et qui pourrait basculer dans certaines régions. Le défi n’est plus simplement de “maintenir” ce puits, mais de limiter sa perte, d’en préserver la résilience, et de l’intégrer dans une stratégie globale qui reconnaît ses limites. En d’autres termes : on ne peut plus compter sur une croissance continue ou automatique de la capacité forestière à absorber le carbone — il faut agir sur les émissions, protéger les forêts existantes, et réduire les risques de dégradation.
The enduring world forest carbon sink (Pan et al., 2024)
Cette méta-analyse fondée sur des données in situ sur trois décennies (forêts boréales, tempérées, tropicales) conclut que le puits global des forêts est resté “stable” à ~3,5-3,6 Pg C/an (≈ 13 GtCO₂/an) au cours des années 1990-2000 vs 2010-2019, mais avec des variations fortes selon les biomes : +30 % pour les forêts tempérées, −36 % pour les forêts boréales, −31 % pour les forêts tropicales intactes. Accéder à l’étude
Revised and updated geospatial monitoring of 21st century global forest CO₂ fluxes (Gibbs et al., 2024)
Une étude récente fondée sur l’analyse satellitaire et la modélisation globale des flux de carbone (Gibbs et al., 2024/2025 – ESSD) montre que les forêts mondiales constituent encore un puits net d’environ –3,6 GtCO₂/an.
Autrement dit, si l’on considère l’ensemble du système forestier mondial — des forêts intactes aux forêts exploitées, en passant par les zones dégradées ou touchées par les feux — le bilan final est encore légèrement négatif : les forêts retirent plus de CO₂ qu’elles n’en émettent.
Cependant, ce chiffre de –3,6 GtCO₂/an peut être mal interprété si l’on ne comprend pas sa structure interne. En réalité, ce puits net résulte d’un équilibre fragile entre des flux très importants :
- D’un côté, les forêts absorbent environ –14,5 GtCO₂/an grâce à la photosynthèse et à la croissance des arbres.
- De l’autre, elles réémettent +9 GtCO₂/an, via la déforestation, les incendies, la dégradation, la mortalité d’arbres, les maladies, les ravageurs et la décomposition.
Le puits net est donc la somme de deux flux gigantesques mais opposés.
Ce n’est pas que les forêts absorbent “seulement” –3,6 GtCO₂/an ; c’est qu’elles absorbent énormément (–14,5), mais que les perturbations humaines et climatiques en détruisent une grande partie (+9).
Ce point est crucial :
le puits forestier mondial ne diminue pas parce que les arbres ont cessé d’absorber — mais parce que les pertes, elles, augmentent.
Cet équilibre instable explique pourquoi certaines régions ont déjà basculé hors du statut de “puits” :
dans plusieurs zones tropicales, notamment en Amazonie sud-est, les émissions (incendies, sécheresses, déforestation) dépassent désormais la capacité d’absorption, transformant ces forêts en sources nettes de CO₂.
Il faut aussi comprendre que ce –3,6 GtCO₂/an représente une moyenne mondiale qui masque de grandes disparités :
les forêts tempérées présentent un puits renforcé, tandis que les forêts boréales (avec l’explosion des feux et du dépérissement) et les forêts tropicales intactes (avec les sécheresses et la dégradation diffuse)
connaissent un fort déclin. Plusieurs études récentes — notamment Pan et al., 2024 (Nature) — montrent une chute de 30 à 40 % du puits dans ces biomes.
Enfin, même si ce puits mondial restait stable (ce qui est loin d’être garanti), il resterait quantitativement minuscule face aux émissions humaines actuelles, qui dépassent 40 GtCO₂/an.
Cela signifie que le puits forestier — qui n’absorbe qu’environ 9 % de ces émissions — est totalement incapable de compenser la poursuite de l’usage des combustibles fossiles.
En résumé, le chiffre de –3,6 GtCO₂/an ne signifie ni que les forêts vont bien, ni qu’elles peuvent stabiliser le climat. Il signifie seulement que, pour l’instant, malgré les pertes croissantes, les forêts retirent encore un peu plus de CO₂ qu’elles n’en relâchent.
Mais ce puits est fragile, en contraction, régionalement effondré, et dérisoire face au flux massif des émissions fossiles.
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