Retour au menu

L’ESSENTIEL
Climat, désertification et violences : comprendre le rôle environnemental dans la crise du Darfour
La crise du Darfour, qui éclate ouvertement en 2003 mais trouve ses racines bien plus en amont, est souvent décrite comme l’un des premiers conflits où les dynamiques environnementales liées au changement climatique ont joué un rôle structurant. Dès les années 1970, la région a subi une dégradation environnementale rapide : baisse durable des précipitations, avancée du désert, raréfaction des points d’eau. Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) a documenté très tôt cette tendance, montrant une diminution continue des pluies sahéliennes et une désertification rapide du nord du Darfour (PNUE, Sudan Post-Conflict Environmental Assessment, 2007 (https://www.unep.org/resources/assessment/sudan-post-conflict-environmental-assessment ).
Les sécheresses sévères des années 1980, dont celle de 1983–1984, ont marqué un tournant majeur. Une étude de l’Université Columbia montre que la chute des précipitations sahéliennes à la fin du XXᵉ siècle est en grande partie liée aux perturbations climatiques globales, notamment à l’influence du réchauffement anthropique sur les circulations atmosphériques régionales (Giannini et al., Science, 2003 : https://www.science.org/doi/10.1126/science.1089357). Cette baisse pluviométrique a eu des conséquences directes : épuisement des sols, effondrement des rendements agricoles, disparition de pâturages et multiplication des déplacements de populations.
À mesure que le nord s’aridifiait, les éleveurs nomades ont été contraints de descendre vers le sud, entrant en compétition avec des communautés agricoles déjà fragilisées. Ce déplacement écologique, documenté par une analyse du PNAS montrant comment la raréfaction de l’eau dans le Sahel modifie les mouvements humains et les usages du territoire (Fishman, PNAS, 2016 : https://www.pnas.org/doi/full/10.1073/pnas.1521354113 ), a contribué à exacerber les tensions foncières. Les points d’eau se sont raréfiés, les terres cultivables se sont fragmentées, et les systèmes traditionnels régulant les accès aux ressources ont progressivement perdu leur efficacité.
Ce terreau environnemental a rencontré un contexte socio-politique instable. Le gouvernement soudanais, marginalisant politiquement les régions périphériques, a instrumentalisé les tensions entre groupes sédentaires et nomades en armant certaines milices, notamment les Janjawid. L’environnement n’a donc pas « causé » la guerre, mais il a fourni un terrain d’exacerbation des conflits. Le Conseil de sécurité de l’ONU a d’ailleurs officiellement reconnu dès 2007 le rôle du changement climatique comme « facteur aggravant » de la crise du Darfour (UN Security Council Report S/2007/15 : https://documents.un.org/doc/undoc/gen/n07/218/25/pdf/n0721825.pdf ).
Le PNUE a qualifié le Darfour de cas exemplaire d’un « multiplicateur de menaces » climatiques : un territoire déjà marqué par la pauvreté structurelle et la marginalisation a vu ses tensions sociales amplifiées par un choc écologique profond (PNUE, “Livelihood Security: Climate Change, Migration and Conflict in the Sahel”, 2011 :
https://environmentalmigration.iom.int/sites/g/files/tmzbdl1411/files/documents/2023-06/unep_sahel_en.pdf).
D’autres études, notamment publiées dans Nature Climate Change, ont confirmé que le réchauffement de la Méditerranée et de l’Atlantique tropical a influencé la diminution des pluies sahéliennes depuis les années 1960, renforçant les risques de sécheresses prolongées (Anthropogenic Mediterranean warming essential driver for present and future Sahel rainfall, Nature Climate Change : https://ideas.repec.org/a/nat/natcli/v6y2016i10d10.1038_nclimate3065.html ).
La crise du Darfour doit donc être comprise comme l’interaction de plusieurs facteurs : un choc climatique durable, une pression démographique croissante, l’effritement des institutions locales, la concurrence pour des ressources vitales et la manipulation de groupes armés. Le climat ne déclenche pas les conflits, mais il redessine profondément les contraintes matérielles qui pèsent sur les sociétés, et dans le cas du Darfour, il a déplacé les équilibres territoriaux jusqu’au point de rupture.
Aujourd’hui encore, même si le conflit a évolué et connu diverses phases, les facteurs environnementaux restent déterminants. La variabilité accrue des pluies, l’appauvrissement continu des sols et la fragilité hydrique demeurent des éléments de vulnérabilité centrale. Le Darfour constitue ainsi un avertissement clair : dans des régions où pauvreté, marginalisation politique et pression démographique se combinent, le changement climatique peut devenir un amplificateur de tensions et un facteur de déstabilisation à long terme.
Précision importante : La crise du Darfour est un conflit multicausal où le climat n’est qu’un accélérateur
La guerre du Darfour est souvent présentée comme l’un des premiers conflits liés au changement climatique. En réalité, si la dégradation environnementale y a joué un rôle important, elle n’est qu’un élément d’un ensemble de causes bien plus complexes. Les tensions écologiques n’auraient pas dégénéré sans un contexte politico-social explosif.
Aux facteurs évoqués précédemment s’ajoute une dimension géopolitique. Le Soudan possède des ressources stratégiques (pétrole, or, chrome, uranium) et s’inscrit dans une zone où s’affrontent intérêts régionaux et internationaux. Dans les années 2000, la Chine est devenue le principal partenaire économique du régime, tandis que les États-Unis cherchaient à isoler Khartoum ; plusieurs puissances occidentales et du Golfe ont manifesté un intérêt croissant pour l’or et d’autres minerais soudanais. Cette compétition géopolitique a contribué à rigidifier les positions et à renforcer certains acteurs locaux, ajoutant une couche de complexité au conflit.
La France n’a pas été un acteur direct du conflit du Darfour, mais elle a joué un rôle régional important à travers son soutien militaire au Tchad, acteur clé des dynamiques transfrontalières. En maintenant le régime d’Idriss Déby au pouvoir, Paris a indirectement influencé l’équilibre entre les rébellions darfouriennes et Khartoum, car nombre de groupes armés circulaient entre les deux pays. Cette présence française s’inscrivait aussi dans une stratégie plus large de protection de sa zone d’influence sahélienne