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L’ESSENTIEL
On sait à quel point les algorithmes [des] plateformes sont conçus pour favoriser « l’engagement », c’est-à-dire les contenus qui généreront le plus d’émotions, donc le plus de « j’aime » et de « partages ». Pour trois chercheurs britanniques qui écrivaient à ce sujet en 2020, les « biais algorithmiques » qui créent des « chambres d’écho » rendent leurs usagers « plus susceptibles de consommer, accepter et répandre de la désinformation » sur les changements climatiques (source) .
En février 2023, une étude française du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), s’appuyant sur plusieurs années de données de Twitter (la plateforme aujourd’hui appelée X) conclut que, parmi les comptes qui ont abordé la question du climat, environ 30% nient la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique. Ces comptes ont fortement tendance à être reliés entre eux, c’est-à-dire à former des « communautés » qui partagent les mêmes informations. Les chercheurs notent des pics d’activité correspondant à l’approche des rencontres annuelles sur les changements climatiques (comme la COP27 en novembre 2022) ou à des événements d’actualité (feux de brousse en Australie, canicules, sécheresses). (ibid).
Lire l’article ICI.
Les nouveaux fronts du dénialisme et du
climatoscepticisme (CNRS, mars 2023)
Résumé exécutif :
Dès 1912, certains ont mis en garde contre les effets d’émissions massive de CO2 dans l’atmosphère par la nouvelle ère industrielle. Dès la fin des années 1970, les études internes des industries fossiles ont établi des projections précises liant le réchauffement de la planète aux émissions de CO2, prédisant à la même occasion des “effets environnementaux dramatiques à venir avant l’année 2050”. Pendant ce temps, ces mêmes entreprises, et en particulier ExxonMobil, ont tenté de convaincre le public qu’il était impossible d’établir un lien de causalité entre l’utilisation de combustibles fossiles et le réchauffement climatique parce que les modèles utilisés pour modéliser la réponse du climat étaient trop incertains (…).
Depuis les années 1970, les avancées des sciences du climat n’ont cessé de dresser un constat de plus en plus clair sur la réalité du réchauffement climatique (voir le rapport du groupe I du GIEC, chapitre 1), tandis que le rapport du GIEC de 2021 indique qu’“il est sans équivoque que l’influence humaine a réchauffé l’atmosphère, l’océan et les terres”.
Alors que le réchauffement climatique s’intensifie dans chaque région du monde (l’année 2022 étant emblématique) et que ses impacts s’aggravent, cette décennie est critique pour engager résolument une baisse des émissions de gaz à effet de serre. Malgré cela, nous assistons à une intensification de l’activité de groupes dénialistes et climatosceptiques en ligne et à une révision à la hausse des objectifs d’émission de la plupart des majors pétrolières qui viennent pourtant d’annoncer des bénéfices annuels records (ex. BP).
En France, l’intensification du militantisme dénialiste a été particulièrement marquée depuis juillet 2022 avec une triple actualité climatique : une série d’événements extrêmes, la tenue de la COP27 avec un poids fort des industries fossiles, et enfin la convergence des enjeux du réchauffement climatique avec ceux de la sécurité d’approvisionnement en pétrole et en gaz du fait de la guerre en Ukraine.
Cette étude décrit certaines des stratégies mises en oeuvre par les militants climatosceptiques et dénialistes sur Twitter (X), quantifie leurs effets et met en avant de potentielles motivations géopolitiques aux côtés des dimensions politiques et économiques déjà présentes.
Elle s’appuie sur les méthodologies développées au CNRS au CAMS et à l’Institut des Systèmes Complexes de Paris.
Au-delà du “fact-checking”, cette étude vise à une meilleure compréhension de la circulation des différents narratifs liés au changement climatique et en particulier ceux relevant de la désinformation.
En voici les principaux résultats et conclusions.
Au niveau mondial :
— Le débat mondial sur le changement climatique sur Twitter est fortement bipolarisé avec environ 30% de climato-denialistes parmi les comptes Twitter qui abordent les questions climatiques.
— La pandémie de COVID-19 a détourné l’opinion publique des questions relatives au changement climatique pendant plusieurs mois.
— Les experts du GIEC et des communautés pro-climat concentrent leurs prises de parole sur leurs domaines d’expertise alors que la communauté dénialiste présente des formes inauthentiques d’expertises : un noyau dur de comptes qui s’expriment sur une multitude de sujets, concentrent une présumée expertise et fabriquent la majorité des narratifs en circulation. Certains sujets de prédilection des dénialistes révèlent une planification de mise à l’agenda public décorrélée de l’actualité.
— Les échanges sur les questions liées au le changement climatique sont très largement organisés autours d’interactions entre humains. Cependant la proportion de comptes Twitter aux comportements inauthentiques dans les échanges connaît une forte augmentation depuis 2019 à l’échelle mondiale, pointant vers de possibles opérations d’astroturfing.
— La communauté dénialiste comporte une surreprésentation de comptes aux comportements inauthentiques de +71% par rapport aux communautés pro-climat, avec 6% de comptes “probablement bot”.
Pour la France :
— Une importante communauté dénialiste française s’est structurée à l’été 2022 sur Twitter.
— Une plus forte portion de comptes “probablement bots” : la proportion de comptes inauthentiques au sein de la communauté dénialiste française est 2,8 fois supérieure à celle de la communauté française du GIEC. La proportion de comptes suspendus par Twitter est quant à elle dix fois supérieure.
— La communauté dénialiste produit ou relaie 3,5 fois plus de messages toxiques que la communauté GIEC.
— Le principal influenceur de la communauté dénialiste française est nouvellement acquis à cette cause après avoir été antivax. La transition s’est faite au moment de l’invasion de l’Ukraine et il a un temps relayé la propagande pro-Poutine.
— mise à part une proportion non négligeable de comptes impliqués dans la sphère informationnelle de Reconquête !, la communauté dénialiste n’est pas composée a priori de militants politiques relevant des partis traditionnels (LFI, PS, EELV, Renaissance, LR ou RN).
— La communauté dénialiste sur Twitter est composée majoritairement de comptes ayant participé à de nombreuses campagnes de contestation antisystème/antivax pendant la pandémie. De plus, sur 10 000 comptes, près de 6000 ont relayé la propagande du Kremlin sur la guerre en Ukraine.
— la question de la lutte contre le réchauffement climatique et les caractéristiques des militants dénialistes font de cet enjeu sociétal un terrain particulièrement favorable à des opérations d’ingérence étrangère de type subversion.
— Une analyse de causalité montre que sur le moyen terme, la publication des synthèses du GIEC mènent le débat sur Twitter autour des questions climatiques.
— les discours sur Twitter des communautés dénialistes et technosolutionnistes freinent probablement la dissémination des connaissances scientifiques et des conclusions du GIEC en agissant de manière négative sur l’activité en ligne des scientifiques des sciences du climat et du changement climatique.