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L’ESSENTIEL
Nous savons combien le débat est tendu sur le sujet ! Pour les uns, le nucléaire est la seule solution pour produire de l’électricité bas carbone et pour répondre à nos besoins. Pour d’autres, cela reste une énergie dangereuse, et pas seulement en raison des risques d’accidents majeurs. Mais sur cette question des risques, on en arrive vite à comparer des choux et des carottes… On peut effectivement comparer l’historique des accidents majeurs et constatés que la rupture d’un barrage peut être bien plus meurtrière qu’un Fukushima. Si le barrage de Vouglans (Jura) cède, ce qui entrainera une hauteur d’eau de 7 à 8 mètres place Bellecour au centre de Lyon, cela sera bien entendu dévastateur et dramatique. A s’égarer dans des comparaisons douteuses, on peut, à l’instar de sieur Jancovici constater que « le sucre tue plus que le nucléaire ». Ce qui, sur le papier, est tout à fait exact. Avec ce paralogisme, nous pourrions aussi dire que la mort subite du sportif cause plus de décès que les chasseurs, donc que la chasse, comme sport, ne pose aucun problème ! Nous pourrions aussi polémiquer à l’infini sur les coûts comparés, hors ou avec subventions, entre le nucléaire et les EnR (Energies renouvelables). Et tous nous y perdre, y compris en raison du parasitage découlant de la fameuse loi de Brandolini et des « experts » autoproclamés sur les réseaux sociaux. Nous pourrions débattre sans fin sur la question du refroidissement des centrales et des pénuries d’eau…
Sauf que les vrais problèmes ne sont pas là. Pour beaucoup (pas toutes/tous) la magie nucléaire est surtout un formidable espoir de… continuer comme avant, en maintenant le même niveau de débauche énergétique ! Et cela n’est pas compatible avec une réduction de notre empreinte écologique. Mais passons encore… Pour concentrer notre critique et notre opposition au développement du nucléaire sur cinq points principaux :
1 ) Voyons d’abord celui du « timing ». Il faut entre 10 et 19 ans pour construire et mettre en service une centrale. Or, les émissions de CO2 doivent être divisées par deux d’ici 2030 avant de tomber à « zéro net » au plus tard au milieu du siècle. Conclusion : les nucléocrates oublient de dire que les délais sont désormais trop courts pour leur « solution ». Par contre, il reste possible de construire assez d’EnR pour un mix sobre.
2 ) La question des déchets. Elle n’est pas du tout résolue que ce soit en France, en Europe ou dans le monde. Accumuler ces déchets, c’est faire peser des risques inadmissibles sur les générations futures.
3 ) Le nucléaire n’est pas une énergie renouvelable. L’uranium n’est pas inépuisable. Au 1er janvier 2019, les ressources d’uranium classiques répertoriées dans le monde s’élevaient à 8 070 400 tonnes d’uranium métal (tU). L’extraction a atteint 54 224 tU la même année (1). Au rythme actuel, cela permet de fonctionner uniquement 148 ans.
4 ) Le nucléaire n’est pas une technique de production d’énergie généralisable à l’ensemble à l’ensemble de la planète. C’est, à nos yeux, l’un des arguments les plus forts : une solution qui n’est pas valable pour toute l’humanité n’en est pas une ! La complexité et le coût de cette technologie font qu’elle demeurera inaccessible à la plupart des pays. Il y a aujourd’hui 438 réacteurs nucléaires dans le monde. Fournir la quantité d’électricité actuelle en nucléaire signifierait déjà multiplier par 10 le parc nucléaire ! Par ailleurs, le niveau d’électrification requis pour une transition énergétique, même sobre – en réduisant la consommation finale par 4, conduirait à une multiplication des installations par un facteur 13 ! Soit 5694 réacteurs au lieu des 438 ! Ce qui, bien entendu, épuiserait les réserves connues d’uranium en… une douzaine d’années ! (2)
5 ) Cinquième et dernier argument, à égalité avec le précédent : le Nucléaire n’est pas une question de technique d’ingénieur, c’est une question politique. Ce qui nous intéresse c’est l’énergie gouvernée et gérée par les citoyens (ce qui n’empêche aucunement l’existence de grands réseaux). Le nucléaire en est aux antipodes (voir notre interview d’Energie partagée).
Un mot tout de même sur le grand rêve de la « fusion nucléaire » : c’est le retour au point 1, car le temps que cette technologie soit opérationnelle (si elle l’est un jour…), nous serons largement toutes et tous grillé.es !
L’énergie nucléaire est donc bel et bien une énergie du passé et il nous faut nous opposer à tout nouvel investissement dans ce domaine pour nous concentrer sur les EnR (3).
(1) Ce chiffre correspond à toutes les ressources d’uranium dont l’existence est certaine ou raisonnablement supposée qui pourraient être récupérées à des prix du marché allant de 40 à 260 $ É.-U./KgU). Source Agence Internationale de l’Energie Atomique.
(2) En 2021, le parc nucléaire mondiale a fourni 2 653,1 TWh. Remplacé ne serait-ce qu’un quart de l’énergie produite à base d’énergie fossile (80% de l’énergie mondiale, soit 136 000 TWh), c’est trouvé 34 000 TWh d’origine nuclaire, soit multiplier le parc nucléaire par 12,815.
(3) Nous constatons toutefois qu’il vaut peut-être mieux laisser quelques centrales actuelles en service (tant qu’elles ne présentent pas de risques) pour diminuer le poids des efforts à faire. C’est la question du rythme de sortie du nucléaire, qui ne change rien au fond.
Nuclear energy : a necessary evil to face the climate emergency? (Greenpeace, 2020)
« L’énergie nucléaire : un mal nécessaire pour faire face à l’urgence climatique ? »
La crise climatique nous oblige-t-elle à investir dans le nucléaire et à construire de nouvelles centrales en France et dans le monde ? En France, pays le plus nucléarisé au monde par habitant, le rôle essentiel de l’énergie nucléaire face à la crise climatique française, européenne et mondiale est de plus en plus évoqué : pour certains, c’est une solution née du progrès scientifique ; pour d’autres, le nucléaire serait un mal nécessaire, voire un engagement irrévocable. Nombreux sont ceux qui hésitent à prendre position, principalement parce qu’il peut paraître difficile de s’approprier le sujet. Le débat sur le nucléaire s’est réduit à néant : que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans les déclarations officielles, toute critique est systématiquement balayée d’un revers de main au motif qu’il s’agit d’une énergie bas carbone. Pour ses partisans, bas carbone rime avec vert, vertu, bienfait et essentiel pour le climat. Les opposants au nucléaire sont donc, de fait, des opposants à la lutte contre le changement climatique. Cette stratégie de communication très agressive des gouvernements et de l’industrie nucléaire exige une réponse argumentée de notre part. Heureusement, malgré les complexités apparentes et l’urgence de la situation, chacun a le droit et la capacité de se forger une opinion éclairée sur l’énergie nucléaire et le rôle qu’elle pourrait jouer, ou non, face à la crise climatique. Ce document s’efforce de replacer la question nucléaire dans un contexte plus large afin d’évaluer sa contribution actuelle et potentielle à la lutte contre le changement climatique. Il examine l’énergie nucléaire sous différents angles : faisabilité industrielle et économique, résilience climatique, durabilité écologique et comparaison avec d’autres solutions bas carbone. Nous concluons que l’énergie nucléaire est bas carbone, mais qu’elle ne constitue pas une solution réaliste et efficace au changement climatique. Pire encore, sa mise en œuvre est trop lente face à l’urgence climatique, elle est trop vulnérable aux impacts du réchauffement climatique et aux risques naturels, trop dangereuse pour un développement massif à travers le monde et trop coûteuse par rapport aux autres options bas carbone dont nous disposons pour réduire rapidement les émissions mondiales de gaz à effet de serre. La France, pays fortement nucléarisé, ne fait pas exception : le maintien obstiné de l’énergie nucléaire et la construction de nouveaux réacteurs ne sont ni les moyens les plus rapides, ni les moins coûteux, ni les plus durables d’atteindre la neutralité climatique ; au contraire, ils nous détournent des véritables enjeux et investissements climatiques.
France, showcase for the limitations of nuclear power (Global Chance (association française indépendante d’experts sur l’énergie et l’environnement), 2008)
La France, vitrine des limites de l’énergie nucléaire.
En résumé, ces modèles, élaborés dans le cadre de politiques énergétiques axées sur l’offre et fondées sur des technologies centralisées, ne présentent pas une représentation fidèle des alternatives énergétiques. L’ironie du rapport du CAS, qui conclut que la France ne pourrait atteindre ses objectifs énergétiques et climatiques à long terme sans une part importante d’énergie nucléaire (alors que les scénarios démontrent justement l’échec de cette approche), illustre comment l’importance accordée au nucléaire fige la politique énergétique française à long terme. L’idée d’une concurrence entre le système énergétique actuel et une nouvelle politique fondée sur l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables est ainsi dévalorisée. Au contraire, les autorités françaises mettent en avant la complémentarité des énergies renouvelables et du nucléaire pour constituer un mix énergétique décarboné. Elles affirment que leur soutien au nucléaire n’empêche pas d’autres développements. Or, l’évolution récente du débat énergétique français sur certaines questions clés révèle qu’avec les projets nucléaires, il est évident qu’il faut faire des choix contre les énergies renouvelables ou l’efficacité énergétique. Cela se manifeste par exemple par le très faible développement, comparé au potentiel, de la cogénération ou d’énergies renouvelables éprouvées comme l’éolien.40 Le développement de la cogénération s’est pratiquement arrêté en 2002 avec la fin des subventions publiques, et aucun plan de soutien n’est prévu pour cette technologie. Un rapport commandé par le ministère de l’Industrie en 2007 concluait que tout développement de la cogénération devait être prudemment limité aux centrales les plus performantes et soulignait un gaspillage potentiel de deniers publics, estimant qu’il serait plus rentable d’investir dans de nouveaux réacteurs nucléaires.41 Le développement décentralisé de l’éolien est limité par l’instabilité qu’il peut engendrer sur le réseau électrique français, fortement centralisé. De plus, toute augmentation de la production d’énergie éolienne, qui doit être utilisée uniquement lorsque le vent souffle, réduirait la part de la demande d’électricité de base couverte par les centrales nucléaires et, par conséquent, leur rentabilité. L’intention du gouvernement est clairement de limiter le développement de l’énergie éolienne à un nombre restreint et contrôlable de grandes centrales, au lieu d’exploiter tout le potentiel du territoire français (estimé comme le deuxième plus important d’Europe). Il existe des effets cachés encore plus importants de la concurrence entre l’énergie nucléaire et l’efficacité énergétique. Cela est particulièrement vrai pour les choix à faire en matière de chauffage dans les secteurs résidentiel et tertiaire. Les besoins en chauffage des bâtiments représentent plus de 20 % des émissions de CO2 françaises et un consensus clair s’est dégagé ces dernières années : l’objectif du facteur 4 implique des changements profonds dans la consommation de ce secteur, dont l’évolution est très lente. Cela comprend à la fois un vaste programme de rénovation des performances thermiques du parc immobilier existant et l’introduction de nouvelles contraintes de performance thermique strictes pour les bâtiments neufs. En octobre 2008, l’introduction, dans un projet de loi, d’un plan visant à imposer un niveau de 50 kWh/m²/an d’énergie primaire pour le chauffage des locaux dans les bâtiments neufs a suscité des réactions politiques en faveur de l’industrie nucléaire : ce niveau ne pouvait être atteint dans les bâtiments neufs utilisant le chauffage électrique issu de centrales thermiques (nucléaires et fossiles), dont le rendement global est le plus faible. Le débat a mis en lumière la contradiction entre l’urgence d’une politique visant à réduire le gaspillage énergétique considérable dans ce secteur et la volonté de maintenir une politique d’offre favorisant l’énergie nucléaire. Les analyses historiques et prospectives des politiques énergétiques et climatiques françaises montrent clairement que, pour atteindre les objectifs à moyen et long terme du pays, il est indispensable de développer d’autres priorités que le maintien d’une position inflexible sur le nucléaire. Toutefois, cette analyse révèle également que l’importance disproportionnée accordée au nucléaire rend difficile l’identification de ces véritables priorités. De plus, elle suggère que, sous l’influence du nucléaire, l’ensemble de la politique énergétique est prisonnière de mécanismes et de contraintes qui entravent les évolutions nécessaires du système énergétique, conduisant irrémédiablement le pays à ne pas respecter ses propres engagements. Si le niveau actuel d’émissions de CO2 donne l’illusion d’une politique réussie, l’absence de réduction supplémentaire est un signal d’alarme. La France semble bien partie pour démontrer que les conséquences négatives à long terme de cette dépendance au nucléaire l’emportent sur les bénéfices de la substitution nucléaire.