Retour au menu

L’ESSENTIEL
L’impasse du « modèle » actuel
Non seulement notre agriculture produit 20 % des émissions de gaz à effet de serre, mais en moins de trois générations, la fertilité pourtant réputée des sols français, a été en grande partie dégradée à cause de pratiques culturales intensives qui s’appuient sur une productivité maximale. Sur l’ensemble de l’Europe, au moins 70% de l’activité biologique des sols cultivés a été détruite (FAO, voir le lien ICI). La crise climatique vient considérablement aggraver les problèmes liés à la destruction biologique des sols, à leur dégradation chimique, à leur érosion. Ces vingt dernières années ont été les plus sèches depuis trois mille ans. Ce qui fait peser une lourde menace de crise alimentaire tant notre capacité de résilience est faible.
Terre et liberté
Un fort mouvement de concentration des terres à eu lieu.
La France compte 389 000 fermes selon le dernier recensement agricole de 2020, soit environ 100 000 de moins qu’en 2010, une baisse de 20% en dix ans.
Dans le même temps, la taille moyenne des fermes a augmenté de 25% pour atteindre 69 ha. Elle a plus que doublé en 30 ans.
Les grandes exploitations d’une surface moyenne de 136 ha, quasi inexistantes il y a 60 ans, représentent aujourd’hui une ferme sur cinq et couvrent 40% du territoire agricole métropolitain.
Même tendance au niveau européen : Entre 2005 et 2016, l’Union européenne a ainsi perdu plus de quatre millions de fermes. Les fermes de plus de 100ha représentent 3% du total des fermes européennes mais la moitié de la surface agricole utile.
Ce mouvement de concentration des terres va de pair avec l’agriculture intensive, contre le redéveloppement d’une agriculture paysanne.
Une règlementation dépassée (ou plutôt au service des investisseurs capitalistes)
Si le statut du fermage (1946) qui protège le fermier, locataire de terres, face aux propriétaires, le contrôle des structures (qui fixe un cadre ayant pour objectif d’assurer que les fermes sont économiquement viables) et les SAFER (qui ont pour rôle d’encadrer l’acquisition du foncier agricole sur le marché des ventes de terres.notamment avec le droit de préemption) on pu assurer une certaine régulation foncière, ces dispositifs ne sont plus opérants.
Les commissions départementales d’orientation agricole (CDOA) délivrent des autorisations d’exploiter mais justifient les agrandissements au nom de la rentabilité économique, en étant aux mains des représentants du monde agricole ayant des intérêts directs à la reproduction des systèmes agricoles pré-existants, et écartant donc des projets différents.
Le contrôle des structures peut également être contourné par le rachat de parts sociales d’une société.
En effet l’autorisation d’exploiter n’est pas remise en cause lors d’un transfert partiel de parts, et jusqu’à 99% de la propriété d’une ferme ! Il peut être également contourné en faisant appel à une entreprise de travaux agricoles, par exemple par de jeunes retraités qui, au lieu de transmettre leur ferme, complètent une retraite trop faible en conservant quelques années leur foncier, pour pouvoir continuer à bénéficier des aides de la politique agricole commune. Enfin, le dispositif actuel ne permet pas de refuser une autorisation s’il n’y a pas de demande concurrente dans les huit mois de l’instruction du dossier et il existe de nombreuses dérogations à son application, ce qui limite drastiquement l’efficacité du contrôle.
Contournement des missions des SAFER
Dans son rapport de 2018, le Groupe Safer alerte sur les nombreux contournements de ces instruments de contrôle et sur le développement rapide du marché des parts sociales de sociétés, qui échappe pour l’essentiel aux réglementations en place. Les contournements prennent globalement trois grandes formes :
- la location des terres (3 ans minimum) avant leur vente, en s’appuyant sur le droit de préemption du fermier en place, qui prime sur celui de la Safer ;
- le démembrement de propriété, consistant en une vente de la terre agricole «en deux temps», avec la vente de la nue-propriété suivie de la vente de l’usufruit, forme de transaction dans le cadre de laquelle la Safer ne peut pas exercer son droit de préemption;
- la vente partielle de part sociale de société qui contrôle du foncier par la propriété ou la location.
Enfin, comme pour le contrôle des structures, les prérogatives de la Safer sont nulles s’il n’y a pas de projet d’installation alternatif au projet d’agrandissement au moment où les terres sont mises en vente
Redonner un véritable pouvoir de contrôle et de régulation aux CDOA et SAFER, en associant, de façon MAJORITAIRE, citoyens et collectivités locales est une priorité.
Des initiatives foncières citoyennes
À contre-pied de ce «fait sociétaire» capitaliste, on observe un foisonnement d’initiatives portées par la société civile qui visent à favoriser l’installation de paysans sur des terres acquises collectivement et dont ces derniers deviennent les locataires.
Exemples : les SCIC Passeurs de terres et Terres citoyennes albigeoises, la SCA Lurzaindia, le fonds de dotation La terre en commun, l’association Paysans de Nature, le fonds de dotation Antidote, les groupements fonciers agricoles (GFA) ou encore la Foncière solidaire Terre de Liens, reconnue entreprise solidaire d’utilité sociale (ESUS) et service économique d’intérêt général (SIEG). Ainsi, le portage sociétaire du foncier peut être vertueux à condition de ne pas être lucratif, mais solidaire et citoyen.
Une question d’orientation professionnelle et de revalorisation économique
Rompre avec l’agriculture industrialisée et « fossile » implique une réorientation profonde des emplois. En clair, cela signifie qu’il doit y avoir bien plus de personnes prêtes à travailler la terre, et cela pour plusieurs raisons.
D’abord, nous sommes confrontés, dès aujourd’hui, à un sérieux problème de renouvellement des départs à la retraite des agriculteur.trices : 55 % d’entre eux et elles (soit approximativement 272 000) vont partir à la retraite à l’horizon… 2030, dans moins de six ans ! (source).
Ensuite, décarboner l’agriculture c’est assumer de revenir en arrière sur la mécanisation et donc avoir besoin de beaucoup plus de bras ! Enfin, nous devons tenir compte des impacts actuels et à venir, à savoir les épisodes de grêles, tempêtes, pluies diluviennes, mais aussi les nouvelles maladies favorisées par le réchauffement climatique (résurgence de la rouille noire, nouveaux champignons, nématodes, etc.).
Selon les études, cela implique d’avoir à minima un demi million, voire un million d’exploitants d’ici 2050, et bien entendu, cela ne peut être plausible qu’avec une très forte augmentation des rémunérations.
Comment revaloriser les filières agricoles ?
Parmi les propositions formulées par la Confédération Paysanne, nous pouvons citer :
– La rupture avec la mise en concurrence déloyale, conséquence directe du libre-échange, via la mise en place des outils de protection économique et sociale des agriculteurs et agricultrices ; comme la régulation des marchés agricoles pour stabiliser et sécuriser les prix agricoles
– L’instauration de prix planchers au niveau des prix de revient (coûts et rémunération du travail, incluant les cotisations) pour tous les produits agricoles, via une loi contraignante et efficace pour le revenu paysan. Ceci est indispensable, en complément de l’application stricte de la loi EGALIM.
– L’instauration de prix minimum d’entrée sur le territoire national, fixés au niveau des prix de revient, pour protéger les agriculteurs et agricultrices des importations déloyales tant sur le plan social qu’environnemental.
– L’interdiction des surmarges de la grande distribution, pratiquées sur les signes officiels de qualité (SIQO), notamment sur les produits bio.
– Une hausse massive de l’accompagnement des agriculteurs dans la transition agroécologique.
– Pour le soutien au revenu, la répartition de la PAC* doit être revue et être beaucoup plus égalitaire
– Une reconnaissance du mode de production en agriculture biologique via notamment la hausse de l’écorégime bio à 145€ par hectare, la réouverture de l’aide au maintien à l’AB partout sur le territoire et le respect par l’Etat et les collectivités publiques du ratio de 20% de bio dans la restauration collective.
– L’arrêt immédiat de l’artificialisation des terres agricoles, cause d’aggravation du dérèglement climatique, d’affaiblissement de la souveraineté alimentaire et la mise en péril concrète de fermes concernées.
– L’instauration d’un fonds de mutualisation des risques climatiques à la place du système assurantiel privé déployé par le gouvernement qui ne répond pas aux besoins des paysan·nes.
– Une harmonisation vers le haut des normes au niveau européen, avec des objectifs ambitieux sur le plan de la protection sociale, de la santé et des écosystèmes
– La mise en place rapide d’une expérimentation de la sécurité sociale de l’alimentation pour lutter contre la précarité alimentaire et rendre effectif l’accès à une alimentation de qualité pour toutes et tous.
(Voir les revendications complètes ici)
Nous rajouterons que les revendications pourraient être encore plus ambitieuses en exigeant la création d’un congé formation spécifique (et correctement rémunérés) pour bifurquer vers une activité agroécologique (que ce soit en tant que salarié ou en tant qu’exploitant).
De même, il est nécessaire que des aides financières suffisantes soient accordées pour tous les projets collectifs consistant à reprendre de grandes exploitations pour y installer des activités agroécologiques ou artisanales (à l’instar de ce que fait notamment la coopérative des fermes partagées).