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L’ESSENTIEL
Nous ne nions pas qu’un certain nombre de progrès aient été faits depuis quelques années, que des enseignant.es (y compris dans le cadre de leur liberté pédagogique et à l’occasion d’activités supplémentaires) aient fait entrer le sujet écologique dans l’école. Néanmoins, nous continuons d’être stupéfaits par les angles de vue adoptés (et imposés avec la plus grande assurance !).
Il en va ainsi de l’EDD (« Enseignement du Développement Durable »).
Premier point d’achoppement : toute l’architecture de l’EDD est construite sur la base idéologique des ODD (objectifs de développement durable, Nations Unies, 2015).
En quoi consistent ces « objectifs » ? Certaines mauvaises langues pourraient y voir une succession de généreux vœux (pieux). Bien entendu, qui peut être contre « l’éradication de la pauvreté », l’éradication de la faim dans le monde, ou « l’accès à une éducation de qualité » ? Au-delà de ces objectifs vaporeux, et l’on ne pouvait en attendre autre chose, vous ne trouverez aucune remise en question du paradigme de la croissance.
Et c’est même l’inverse avec l’objectif 8, qui stipule qu’une « croissance économique soutenue et partagée peut entraîner des progrès, créer des emplois décents pour tous et améliorer le niveau de vie. ». Aucune interrogation de fond non plus sur la notion d’industrialisation avec l’objectif 9 (« Une industrialisation durable qui profite à tous »).
Nous comprenons mieux pourquoi nous pouvons en arriver à des sujets de baccalauréat comme en 2022 : « Vous montrerez que l’innovation peut aider à reculer les limites écologiques de la croissance ». A priori, les auteurs de cette ineptie n’ont pas clairement saisi ce que signifiait la notion de « limite planétaire » !
Mais nous ne devrions pas nous étonner, quand l’on sait que le Conseil supérieur des programmes n’a pas hésité à solliciter un climato-sceptique notoire (François Gervais) « pour améliorer le contenu climatique des manuels scolaires » (source).
Ce qui a, heureusement, déclenché de vives réactions de scientifiques et d’enseignant.es.
Comme le relève encore le journal de l’environnement (octobre 2019) : « On ne peut qu’être effrayé aussi par la documentation scolaire distillée par certains acteurs. Ainsi, en est-il de Médiachimie. Porté par la Maison de la chimie, l’industrie, EDP Sciences et Canopée, ce site pédagogique diffuse des fiches sur le climat surprenantes. « L’hypothèse de base des modèles est que le réchauffement est dû aux gaz à effet de serre issus de l’usage des combustibles fossiles », peut-on lire ». Considérer un fait scientifique, bien établi, comme une hypothèse de base, ce n’est plus admissible…
Lire notre dossier complet « l’éducatif à l’ère de l’Anthropocène«
Radio Anthropocène
Quels enseignements pour un monde en changement ?
A écouter ici : https://share.transistor.fm/s/7894cc02
Éduquer en Anthropocène : un paradigme éducatif à construire pour le 21ème siècle (Alix Garnier, Renaud Hétier, Marie-Louise Martinez et Nathanaël Wallenhorst, 2021)
« Depuis quelques années s’est ouvert le plus grand chantier éducatif auquel l’aventure humaine ait été confrontée. Ni plus, ni moins. Il y a bien du nouveau sous le soleil. Et cette nouveauté est radicale : depuis les premiers pas d’homo sapiens sur l’étendue terrestre, il y a 350 000 ans, jamais nous n’avions été confrontés à un tel enjeu.
Les activités humaines ont fait quitter le système Terre de l’orbite de variabilité climatique dans lequel il était ce dernier million d’années, avec une alternance entre des phases glaciaires et interglaciaires. Alors que la Terre devrait être en train de se refroidir tranquillement pour entrer dans un nouveau cycle glaciaire, voilà qu’elle ne cesse de se réchauffer. Plus encore : le réchauffement actuel est caractérisé par son emballement. Deux grands scenarii existent quant au niveau de stabilisation des températures : une planète Terre stabilisée en deçà de +2°C ou une planète étuve dont l’équilibre se situerait au-delà de +5°C (Steffen et al., 2018) – désorganisant notamment les sociétés humaines partout sur la Terre. Pour être clair : une augmentation de +5°C par rapport aux températures préindustrielles (qu’on situe entre 1850-1900) ne signifie pas une augmentation mécanique de +5°C sur le bulletin météo de nos journées. Cela signifie des vagues de chaleur mortelles très fréquentes supérieures de +10°C à +15°C par rapport à ce que nous connaissons venant brûler sur place nos cultures, contraignant les populations à de gigantesques migrations. Cela signifie des guerres d’accès à l’eau. Soyons plus clairs encore : l’ensemble du territoire français serait concerné. Voyez ces vignes de l’Aude et ces forêts qui ont brûlées lors de la canicule de 2019. À l’heure où nous écrivons ces lignes, en avril 2021, une vague de froid venue de la fonte des glaces polaires est venue geler les bourgeons de nos arbres fruitiers. Nous parlons régulièrement de réchauffement climatique, mais il s’agit bien d’un dérèglement : la stabilité et la prévisibilité du climat sont en train de s’évanouir. Or, ce sont elles qui permirent, grâce à la maîtrise des écosystèmes et à la gestion des excédents agricoles, de donner naissance à nos civilisations.
Nommons les choses : c’est dramatique. L’obscurantisme est ici terrible (pire que celui qui régna autour de la croyance dans les indulgences ou dans la platitude de la Terre) : il entrave l’action politique comme la refondation éducative car nous croyons que nous avons le temps de voir venir. Lorsque l’air deviendra trop irrespirable ou que les seuls espaces viables lors des vagues de chaleur seront les espaces climatisés des MacDo et des 4*4, alors nous prendrons conscience de nos erreurs et arrêterons tranquillement de prendre le carbone de nos sols pour l’envoyer dans l’atmosphère. Mais cela sera trop tard. Le forçage anthropique actuel du système Terre aura conduit au franchissement d’un seuil systémique brusque (cela s’effectue sur quelques décennies) et irréversible. Nous aurons détraqué le système Terre et sa mutation sera enclenchée. La médiocrité du niveau d’éducation scientifique, en France comme ailleurs, est terrible. Elle est caractérisée par une absence de compréhension du fonctionnement des systèmes complexes et une ignorance du fonctionnement du système climatique comme de celui de la biosphère. »
L’éducation au temps de l’anthropocène : permanences, ruptures et spécificités des recherches face aux crises écologiques et climatiques
Angela Barthes, Bruno Garnier, Jean-Marc Lange. L’éducation au temps de l’anthropocène : permanences, ruptures et spécificités des recherches face aux crises écologiques et climatiques. Éducations, 2023, 7 (1), ff10.21494/ISTE.OP.2024.1117ff. ffhal-04507647f
RESUME. Nous nous interrogeons sur les apports spécifiques de cette éducation au temps de l’anthropocène face aux crises écologiques et climatiques dans le panorama des éducations environnementales d’une part, et des recherches en éducation d’autre part. L’entrée en scène du courant de l’éducation au temps de l’anthropocène se positionne entre les éducations à, qui sont une résultante de la commande politique aux systèmes éducatifs mondiaux, et les questions socialement vives qui correspondant à un courant de recherche centré qui renouvelle le rapport sciences-société dans l’enseignement. Entre permanence, rupture et continuité, les éducations au temps de l’anthropocène interrogent la forme scolaire, la prise en compte des contextes et des territoires et les légitimités curriculaires.
« Quelles pédagogies critiques pour penser l’Anthropocène ? »
Présentation
– Spirale 70 (2022)
Alors que, depuis une vingtaine d’années et de manière de plus en plus marquée, les préoccupations environnementales et de développement durable traversent les prescriptions éducatives institutionnelles de l’École (circulaires, programmes d’enseignement, vade-mecum), ce numéro de la revue Spirale questionne la façon dont le concept d’Anthropocène peut donner une dimension pédagogique nouvelle à l’éducation relative à l’environnement (ÈRE) et l’orienter vers des pédagogies critiques.
Les pratiques d’« éducation par la Nature » : une approche éducative émergente à l’ère de l’Anthropocène, octobre 2024
« Les pratiques d’éducation en plein air sont désormais bien ancrées dans le paysage scolaire. Les bienfaits de telles pratiques sont largement documentés, tant sur le plan psychologique et physique qu’en ce qui concerne la réussite académique (Mygind et coll., 2019). De fait, l’engouement pour ce type de pratiques est tel que si, initialement, cette approche pédagogique apparaissait essentiellement en petite enfance et au primaire, comme en témoignent les premiers colloques francophones sur cette question, [1] ce sont désormais les enseignant.e.s des écoles secondaires qui s’y intéressent (Deshayes, 2024 ; Kloetzer, 2024). En témoignent, par exemple, le récent ouvrage pédagogique co-construit avec des enseignants du secondaire concernant des situations d’enseignement et apprentissage en contexte d’éducation par la Nature [2] ou encore la création et l’animation de communautés de pratiques (CoP) d’enseignants du secondaire (regroupés en disciplines) par l’organisme École en Réseau et la Fondation Monique Fitz-Back [3] au Québec. Cette tendance pédagogique se retrouve également en enseignement post secondaire et universitaire avec, par exemple, la création de salles de cours extérieures, voire de territoires apprenants dans l’enceinte même des universités [4]. On assiste ainsi à un phénomène transversal de transformation des pratiques pédagogiques, phénomène que Barthes, Garnier et Lange (2024) considèrent comme autant de ruptures avec la forme scolaire/éducative traditionnelle. De telles transformations intéressent ainsi le milieu de la recherche, avec notamment l’émergence de nouveaux laboratoires et de chaires dédiés spécifiquement à cet effet [5]dans le Groupe de recherche en écoformation (GREF) dont certains travaux portent sur les milieux scolaires ; plus récemment, s’est formé le Groupement d’intérêts scientifiques des théories et pratiques du care (GIS TEP CARE). et la création de nouveaux cours universitaires, encore optionnels pour beaucoup, sur ces pratiques de plein air[ Par exemple, signalons le cours sur l’éducation à l’époque de l’Anthropocène à l’Université Catholique de l’Ouest (France) où les pratiques du dehors sont mobilisées dans l’intention de relier les jeunes à la trame du vivant. Des moments d’introduction à des pratiques du dehors sont également en bonne voie s’intégration dans des cours universitaires en éducation comme celui concernant les situations de développement et d’apprentissage à l’éducation préscolaire ou encore celui de l’enseignement de l’Univers social au secondaire à l’Université du Québec à Trois-Rivières, le cours relatif à l’enseignement des maths et des sciences au primaire à l’Université de Sherbrooke, le cours relatif à l’éducation relative à l’environnement dans le cadre de l’enseignement de l’Univers social au primaire, ou celui sur les fondements en éducation à l’Université du Québec à Montréal. En France, on compte entre autres, un cours en enseignement de la géographie au secondaire à l’Université de Montpellier ou encore le cours optionnel Interculturalités et ERE en formation continue d’enseignants à l’Université Paris Est Créteil.(…).