Retour au menu

L’ESSENTIEL
« L’histoire du climat de la Terre est un écheveau de processus physiques dominants à différentes échelles de temps, mais toujours imbriqués. On peut représenter cette évolution comme une valse à quatre temps. Celui du milliard d’années, où c’est essentiellement l’évolution de la luminosité du Soleil qui l’emporte. Puis, à l’échelle de dizaines de millions d’années, c’est la tectonique des plaques qui, par son effet sur le climat et sur la teneur en CO2 de l’atmosphére, va jouer un rôle prépondérant. Le troisième temps est celui de la variation des paramètres orbitaux à des périodes de la dizaine à la centaine de milliers d’années. Enfin, le quatrième et ultime temps est celui de l’Homme qui, en quelques centaines d’années, s’est hissé au rang d’acteur majeur du changement climatique« . (Gilles Ramstein, Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement, 2017). Voir le document dans les notes en bas de page.
Dans le dernier rapport du GIEC, GW1, p 313 (2021), il est rappelé :
La température moyenne de surface du globe (TMSG) est un indicateur clé de l’évolution de l’état du système climatique. L’histoire de la température moyenne de la Terre au cours de l’ère géologique actuelle (Cénozoïque, débutant il y a 66 Ma (66 millions d’années)) peut être globalement caractérisée comme suit (encadré transversal 2.1, figure 1) : (i) un réchauffement transitoire au cours des 15 premiers millions d’années (15 millions d’années) du Cénozoïque, ponctué par le maximum thermique du Paléocène-Éocène ; (ii) un refroidissement à long terme sur des dizaines de millions d’années à partir d’environ 50 Ma, provoqué par (entre autres facteurs) la lente dérive des plaques tectoniques, qui a entraîné la formation de montagnes, l’érosion et le volcanisme, et reconfiguré les passages océaniques, ce qui a finalement déplacé le carbone de l’atmosphère vers d’autres réservoirs et conduit au développement de la calotte glaciaire antarctique (CGA) il y a environ 35 à 30 Ma ; (iii) l’intensification du refroidissement par rétroactions climatiques impliquant des interactions entre la tectonique, l’albédo des glaces, la circulation océanique, la couverture terrestre et les gaz à effet de serre, provoquant la formation de calottes glaciaires dans l’hémisphère nord (NH) d’environ 3 Ma ; (iv) des fluctuations glaciaires-interglaciaires rythmées par de lents changements dans la configuration astronomique de la Terre (forçage orbital) et modulées par des changements dans le cycle global du carbone et les calottes glaciaires sur des échelles de temps de dizaines à centaines de milliers d’années, avec une importance particulière au cours du dernier million d’années ; (v) une transition avec des changements à la fois graduels et abrupts du dernier maximum glaciaire à l’époque interglaciaire actuelle (Holocène), avec une rupture sporadique des calottes glaciaires perturbant la circulation océanique ; (vi) un réchauffement continu suivi d’un refroidissement mineur après l’Holocène moyen, avec des fluctuations superposées à l’échelle centennale et décennale causées par l’activité volcanique, entre autres facteurs ; (vii) le réchauffement récent lié à l’accumulation de gaz à effet de serre d’origine anthropique (sections 2.2.3 et 3.3.1).
La température moyenne de l’air (TMS) estimée pour chacune des périodes de référence sur la base de données indirectes (section 2.3.1.1) peut être comparée aux projections climatiques sur les siècles à venir afin de replacer la gamme des futurs possibles dans un contexte à plus long terme (encadré 2.1, figure 1). Ici, la gamme très probable de la température moyenne de l’air (TMS) pour les périodes de référence du monde plus chaud est comparée à la gamme très probable de la température moyenne de l’air (GSAT) projetée pour la fin du 21e siècle (2080-2100 ; tableau 4.5) et à la gamme probable pour la fin du 23e siècle (2300 ; tableau 4.9) dans le cadre de plusieurs scénarios de trajectoire socio-économique partagée (SSP). D’après cette comparaison, il existe un degré de confiance moyen dans les affirmations suivantes : la température moyenne maximale (GMST) estimée pour la période à long terme la plus chaude du dernier interglaciaire il y a environ 125 ka (il y a 125 000 ans ; 0,5 °C à 1,5 °C par rapport à 1850-1900) chevauche la limite inférieure de la plage de températures projetées selon SSP1-2.6, y compris son extension des émissions négatives jusqu’à la fin du 23e siècle (1,0 °C à 2,2 °C). La température moyenne maximale (GMST) estimée pour une période de chaleur prolongée pendant la période chaude du milieu du Pliocène il y a environ 3 Ma [2,5 °C à 4,0 °C] est similaire aux températures projetées selon SSP2-4.5 pour la fin du 23e siècle (2,3 °C à 4,6 °C). Les températures maximales maximales estimées pour l’optimum climatique du Miocène [5°C à 10°C] et l’optimum climatique de l’Éocène précoce [10°C à 18°C], respectivement vers 15 et 50 Ma, chevauchent la plage projetée pour la fin du 23e siècle sous SSP5-8,5 (6,6°C à 14,1°C).

Méthodes
(source IPSL)
La paléoclimatologie implique à l’IPSL une centaine de scientifiques, qui étudient le climat passé de la Terre et ses variations. C’est en reconstituant ces évolutions climatiques et leurs causes, qu’ils parviennent de mieux en mieux à anticiper le climat du futur.
Ils ont pour cela recours à diverses méthodes, comme la collecte et l’analyse d’échantillons de glace des pôles et de sédiments marins, dont l’analyse poussée révèle le climat planétaire jusqu’à 800 000 ans en arrière. Les paléoclimatologues Stéphanie Duchamp-Alphonse (GEOPS-IPSL) et Amaëlle Landais (LSCE-IPSL) sont spécialisées dans l’examen et la valorisation de ce type d’archives climatiques.
Comment les paléoclimatologues remontent-ils le temps ?
Le forage de sédiments sur les continents, les calottes de glace et au fond de l’océan est la principale méthode sur laquelle s’appuient les paléoclimatologues du quaternaire pour faire parler le passé. Il s’agit de prélever un échantillon, appelé carotte, du sous-sol terrestre ou marin ou encore de calotte glaciaire grâce à un tube enfoncé dans le sol de façon successive jusqu’à atteindre la profondeur requise (pouvant parfois aller jusqu’à plusieurs kilomètres sous la surface).
Ces échantillons constituent des archives climatiques. Les éléments piégés à l’intérieur, comme les bulles d’air ou les aérosols pour les carottes de glace, ou encore les restes calcifiés de micro-organismes pour les sédiments marins, donnent aux chercheurs des informations clés sur l’évolution passée de la température, du niveau des mers, de la composition de l’atmosphère ou de l’eau de mer, des éruptions volcaniques ou encore de l’activité solaire.
« En 2004, le forage Epica en Antarctique avait permis de remonter de la calotte glaciaire des carottes âgées de 800 000 ans », raconte Amaëlle Landais, glaciologue et climatologue au LSCE. Elle qui s’est spécialisée en méthode de mesure de haute précision des isotopes stables dans la glace, sait comment interpréter les carottes glaciaires et participe régulièrement à ce type d’expéditions.
« Cela étant, 800 000 ans reste trop court pour comprendre l’évolution de l’amplitude et de la périodicité des cycles glaciaires-interglaciaires », précise la chercheuse. Le rythme d’alternance entre les périodes glaciaires et interglaciaires s’est en effet modifié entre 1.2 et 0.6 million d’années, et l’amplitude des périodes froides s’est accentuée en parallèle.
C’est pour lever le voile sur ce mystère que Amaëlle Landais participe au projet Beyond Epica, un forage exceptionnel qui permettra de remonter une carotte de glace couvrant les derniers 1,5 millions d’années. Le projet implique dix pays européens et requiert une logistique polaire colossale. Le sondage de la glace devra débuter fin 2021, dans les environs de la base antarctique franco-italienne Concordia. « Nous espérons que nous aurons finalisé le prélèvement en 4 ou 5 ans » projette la chercheuse.
Faire parler les fossiles de micro-organismes
Les carottes de sédiments sont elles, prélevées lors de campagnes en mer. Elles sont plus courtes que les carottes de glace et lorsqu’elles sont prélevées par le Navire Océanographique français le Marion Dufresne, elles font généralement plusieurs dizaines de mètres de long au total. Elles sont formées de sédiments, un mélange de petites particules arrachées des continents ou produites dans les eaux océaniques.
Ce qui intéresse particulièrement Stéphanie Duchamp-Alphonse, paléoclimatologue au laboratoire Geosciences Paris Saclay (GEOPS-IPSL), ce sont les fossiles de micro-organismes mêlés à ces sédiments : les coccolithophoridés. Elle est spécialisée dans l’impact de ces producteurs primaires océaniques sur les concentrations en CO2 dans l’atmosphère. « Les coccolithophoridés ont la particularité de sécréter un exosquelette calcaire, la coccosphère, constitué de plaques calcitiques, les coccolithes » explique la chercheuse. « Ils sont les seuls organismes marins à moduler le cycle du carbone en fabriquant aussi bien du carbone organique que du carbone minéral » ajoute-t-elle.
C’est pourquoi la distribution géographique de ces algues est importante pour comprendre les changements du cycle du carbone et les assemblages de coccolithes dans les carottes sédimentaires est alors un indice crucial pour comprendre les variations de concentrations en CO2 atmosphériques passées.
Plusieurs années sont nécessaires pour étudier les carottes prélevées lors des campagnes d’échantillonnage en mer et dans la glace. Les deux chercheuses travaillent régulièrement ensemble en confrontant des résultats issus des carottes de glace (notamment la carotte prélevée lors de la mission Epica en 2004) et issues des carottes sédimentaires (notamment la carotte prélevée lors de la mission océanographique VIGO, en 2004).
Pour ce faire, elles peuvent s’appuyer sur l’expertise de l’IPSL en matière de modélisation, qui leur permet de comparer leurs données avec celles obtenues dans les modèles climatiques de l’institut. Elles repartiront bientôt chacune en mission, Stéphanie dans l’océan indien l’année prochaine et Amaëlle en Antarctique d’ici 2022.