Retour au menu

L’ESSENTIEL
Dans la fiche précédente, nous nous sommes fixé une base de réflexion avec une production de 620 TWh en production secondaire (à la sortie des convertisseurs d’énergie) et 415 TWh en consommation finale d’énergie (rappelons que nous avons pris un taux de perte prudent, moins élevé que celui d’aujourd’hui mais supérieur à celui prévu par le scénario négaWatt). Pour produire ces 620 TWh, quelles sont les sources possibles ?
Nous avions publié un dossier complet sur les éoliennes en octobre 2023 (voir ICI). Nous en rappellerons les grandes lignes tout en apportant quelques corrections. Le scénario Negawatt donne la première place à l’éolien avec une production d’énergie primaire, onshore et offshore, de 305 TWh. Le nombre de génératrices terrestres augmente de 8 660 éoliennes en 2020 à 18 600 en 2050. À titre de comparaison, 30 000 éoliennes terrestres sont déjà installées en Allemagne alors que la France dispose d’un tiers de superficie en plus ! La production terrestre est complétée par l’implantation d’éoliennes « offshore posées », c’est-à-dire implantées sur des fondations sous-marines réalisables lorsque la profondeur des fonds marins ne dépasse pas 30 à 40 mètres. D’autres parcs sont des parcs offshores flottants.
Pour notre part, nous serions plus favorables à un scénario limitant l’éolien en mer et à augmenter le nombre prévu d’éoliennes terrestres. Il nous semble que l’éolien flottant est aussi plus intéressant que l’éolien posé, plus près des côtes. Les éoliennes flottantes peuvent être implantées jusqu’à 50 kilomètres des côtes, cette limite étant plus économique que technique. L’éolien flottant permet aussi de « récupérer » les anciennes stations de forage pétrolier.
Si l’on table sur des éoliennes d’une puissance de 3 MW, et sachant que le facteur de charge est en moyenne de 24.3 % (source), nous en déduisons qu’un parc de 30 000 éoliennes peut fournir une quantité d’énergie de (3 MW x 8760 heures x 0.243 = > 6 386,04 MWh x 30 000 => 191 581 200 MWh = 191 TWh).
Il serait possible de compléter ce parc terrestre par de l’éolien flottant, là où le facteur de charge est bien plus important (de l’ordre de 45 à 50%), et où les machines peuvent être plus puissantes (des machines de 13 à 15 MW sont déjà en essai chez plusieurs constructeurs) (source).
Ainsi, un parc de 3000 éoliennes de 13 MW avec un facteur de charge de 45 %, pourraient fournir une énergie de (13 MW x 8760 heures x 0.45 x 3000) de 153 TWh.
Au total, l’éolien onshore et offshore fournirait 344 TWh, soit 55.48 % de notre mix énergétique de 620 TWh (ce mix intégrant le temps de retour énergétique, c’est-à-dire l’énergie nécessaire pour renouveler le parc) (1).
30 000 éoliennes terrestres « prendraient trop de place » ?
C’est un argutie classique de l’EnR bashing. Mais c’est bien mal savoir calculer ! Et nous sommes très loin des propos d’un J-M Jancovici. 30 000 éoliennes, cela ne va pas « recouvrir le pays » ! En réalité, il faut considérer qu’il est possible de placer 10 éoliennes au km2 (puisqu’il faut les espacer de 300 mètres). Voir ICI. Quand bien même nous retiendrions un ratio plus faible (du type 6 éoliennes par km2), nos 30 000 éoliennes terrestres occuperaient une surface de 500 000 Ha. Une broutille, puisque la surface agricole utile (SAU) est actuellement de… 26,8 millions d’hectares (dont 70 % utilisée directement ou indirectement pour le bétail).
Sur l’intermittence
Nous avons déjà abordé la question dans la fiche « Transition ou bifurcation énergétique ? (100% renouvelable) » (en traitant aussi de la question de notre rapport à l’énergie). Nous pouvons compléter les arguments sur les questions plus pointues du stockage et de l’équilibrage du réseau.
Les détracteurs frénétiques de l’éolien, suppose qu’il n’existerait qu’une seule option, la fabrication de méga batteries, grandes consommatrices de minerais et de terres plus ou moins rares, même si ces dernières n’entrent que très peu en jeu dans le processus. Tout cela est évidemment pur « EnR bashing ».
Sur ce sujet, nous débuterons par la notion de « foisonnement », qui ne constitue pas une solution de stockage à proprement parler, mais qui permet, justement, d’en limiter les besoins. Pour le dire simplement, l’effet de foisonnement est la réduction de la variabilité de la production d’énergie par la multiplication de sources éloignées.
Une étude d’Engie de janvier 2020 nous fournit un précieux éclairage (sans mauvais jeu de mot !) sur l’efficacité du foisonnement.
La méthode utilisée par Engie consiste à considérer un parc éolien global, constitué de 11 parcs de même puissance correspondant aux sites des 7 projets lauréats des Appels d’Offres (1, 2 & 3) et des 4 projets pilotes flottants (AMI pilotes), répartis sur l’ensemble des façades maritimes. Comme le souligne Jean-Paul Coste dans son billet de blog du 21 janvier 2021, « Il s’agit donc d’une projection, réaliste, basée non seulement sur les parcs installés actuellement mais sur ceux à venir. Par exemple les 3 premières éoliennes flottantes installées au large de FOS (BdR) ne sont pas encore connectées mais leur production à venir est comptabilisée dans l’étude. Et quand elles le seront (ainsi que les autres prévues), elles contribueront évidemment au foisonnement (à une hauteur que l’on sait estimer par référence aux conditions météo), dans la mesure où cette nouvelle zone de production en méditerranée est très ventée et où le régime des vents n’est pas le même que sur les autres façades maritimes. Cette simulation confirme que les régimes de vent sont complémentaires au niveau temporel, entrainant un foisonnement de la production éolienne. »
Ainsi, « sur l’année, les statistiques montrent qu’un parc éolien réparti entre les façades produirait plus de 20% de sa puissance installée de façon quasi constante, ce ratio montant à près de 30% en période hivernale (où la demande d’électricité est plus forte) ».
Dommage pour celles et ceux qui prétendent que l’éolien ne peut fournir de l’énergie « que lorsqu’il y a du vent » (de partout)….
Cette étude conclue que le foisonnement peut fonctionner avec les pays voisins (autres EnR) : « Il a ainsi été avéré qu’une fourniture d’électricité 100% renouvelable sur le territoire français pouvait s’intégrer dans le cadre d’une politique européenne favorisant fortement les EnR, avec un taux de pénétration renouvelable de 80% dans les pays frontaliers, et un équilibre global annuel importateur nul. » (p. 19). Toujours selon cette étude, les besoins en stockage sont relativement limités. En effet « l’éolien, dont les cycles de variation s’étalent habituellement sur plusieurs jours (après foisonnement de la production à la maille nationale), génère quant à lui un besoin de stockage de quelques dizaines d’heures. » (p. 44). Le rapport conclue, entre autres choses, qu’il a « été vérifié qu’un mix 100% renouvelable pouvait être robuste à des conditions météorologiques défavorables (notamment des périodes sans vent sur l’ensemble du pays, de vagues de froid, ou de sécheresse) … » (p. 149).
Concernant les moyens de stockage, il y a bien d’autres solutions que les batteries. Les STEP (Stations de transfert d’énergie par pompage) en sont une, même si elles sont limitées. Les 5 GW de Step dont dispose aujourd’hui EDF ont un volume de 184 GWh. Cela représente quatre heures de la demande française moyenne d’électricité. Mais nous aurions la possibilité d’en installer plus.
Le rapport Dambrine (mars 2006) avait identifié plusieurs sites potentiels, notamment en Savoie et le long de la Durance. Par exemple le cirque de Morgon qui offre des conditions intéressantes d’aménagement. Ce cirque couplé au lac de Serre Ponçon … pourrait turbiner environ 1400 GWh/an d’électricité « propre » (deux fois plus que l’usine électrique de Serre-Ponçon), mobilisable en quelques minutes… ». De plus, « dans son rapport sur l’hydroélectricité à l’horizon 2050, l’AIE suggère le développement de STEP marines (connectées à des unités de production par éoliennes offshore) et identifie la Normandie et la Bretagne comme des sites propices à ce type de développement, mais aussi sur les côtes méditerranéennes » (cf J-P Coste).
Les raisons de la « paresse » à développer des Step seraient plutôt à rechercher du côté des règles du marché : « l’obstacle majeur ? Tout simplement l’ouverture des concessions hydroélectriques à la concurrence, imposée par l’Europe depuis 2010… Pour toute nouvelle ouverture de centrales hydroélectriques – dont les STEP font partie –, ou pour toute augmentation de puissance supérieure à 20%, EDF serait mis en concurrence avec d’autres entreprises à la suite d’un appel à projets obligatoirement passé par l’Etat… » (J-P Coste, ibid). Bien d’autres solutions existent comme le stockage thermique – voir la publication du CEREMA sur le sujet – , le « power to X et l’hydrogène ». Même si les déperditions peuvent être non négligeables, l’hydrogène est bien un moyen de pallier aux variations de production des EnR. Il faudrait également tenir compte d’autres innovations, telle que la « batterie au sable », adaptée à des solutions locales (cf le finlandais Polar Night Energy).

Concernant la question de la stabilité des réseaux (pour maintenir une fréquence de 50 hertz), on ne peut nier qu’un réseau entièrement constitué de renouvelables pose des problèmes inédits. Mais, ces problèmes sont déjà résolus par différentes approches. On peut en découvrir les détails dans l’ouvrage de Cédric Philibert avec soit un minimum de centrale gaz (pour des émissions très faibles), ou les dispositifs de « compensateurs synchrones ». Soulignons aussi que les réalisations actuelles d’Energie partagée montre bien que les éoliennes et le solaire, « ça marche », sans problème insurmontable de stabilité. Il peut également y avoir des systèmes de stockage plus locaux (comme nous l’avons vu avec les batteries au sable)…
La question des matériaux
Autre argutie des anti-EnR : nous n’aurions pas assez de minerais, nous devrions ouvrir des mines polluantes partout dans le monde.
Une fois de plus, cela dépend si l’on continue de raisonner comme dans « le monde d’avant » ou si l’on accepte la sobriété et le fait de développer un tout autre rapport à l’énergie.
Le scénario négawatt détaille la question des matériaux pour sa prospective. Nous nous centrerons ici sur les besoins de l’éolien. Prenons l’exemple du béton. On estime qu’il faut 960 tonnes de béton (source) pour une éolienne terrestre, en sachant que la durée de vie des fondations dépasse largement celle des éoliennes, puisqu’elles durent jusqu’à 50 ans ! Cela fait donc 960 tonnes de béton tous les 50 ans, soit 19.2 tonnes par an pour chaque éoliennes. Donc 576 000 tonnes par an pour l’ensemble du parc (30 000 éoliennes). Quelle horreur nous direz-vous !
Sauf que nous consommons aujourd’hui 21 millions de tonnes de béton par an ! Nos éoliennes ne prendraient donc que 2.74 % de la consommation de béton. Notons que le secteur du bâtiment utilise chaque année 9 millions de tonnes de béton rien que pour les « blocs de construction » (source). Autrement dit, remplacer seulement 6.4 % des blocs béton par des constructions en terre (pisé, BTC, etc.) économiserait déjà la quantité correspondante pour les socles d’éoliennes.
Le même type de calcul peut être fait pour l’acier et le cuivre. On retient qu’il faut approximativement entre 120 et 180 tonnes d’acier par MW. Si l’on retient la valeur haute (180 tonnes). Si l’on table sur une puissance totale de 129 000 MW pour notre parc (3000 éoliennes de 13 MW et 30 000 éoliennes de 3 MW), cela nous donne (180 tonnes x 129 000 MW) 23.22 millions de tonnes d’acier tous les 20 ans, soit 1.61 millions de tonnes par an.
Si l’on compare avec notre consommation actuelle ? Nous en sommes à pas moins de… 10 millions de tonnes annuelles (dont 43% pour le bâtiment). La part de nos éoliennes serait de 16.1 %. Insurmontable ? En sachant que les mâts d’éoliennes sont entièrement recyclables (c’est pour les pâles que la situation est plus compliquée, mais des innovations existent et ne doivent pas être négligées) !
Pour le cuivre, en retenant une estimation de 2.5 tonnes par MW (source), ce serait (2.5 tonnes x 129 000 MW / 20) 322 500 tonnes tous les 20 ans, soit 16 125 tonnes par an. Là encore, sans compter un taux de recyclage potentiel de quasi 100 % ! La consommation de cuivre en France n’est pas connue précisément (car très complexe à calculer). Par contre, on peut citer l’usine de fabrication de « fil machine », exploitée par la Société Lensoise de Cuivre (SLC), qui a une capacité de production de 180 000 t/an. Soit environ 12 fois les besoins de nos éoliennes terrestres et offshores !
Et les terres rares ?
Autre baliverne largement répandue, la question des terres rares. Parmi les filières renouvelables, certains segments du marché de l’éolien consomment des terres rares, à savoir les unités de production équipées de générateurs synchrones à aimants permanents. Apparus dans les années 2000, ces derniers visent à améliorer les rendements de conversion, réduire le poids et les besoins de maintenance, et allonger la durée de vie des systèmes. Les aimants permanents contiennent deux types de terres rares : du néodyme (à hauteur de 29% à 32% par kg) et du dysprosium (3% à 6% par kg). Sauf que cela n’est pas du tout nécessaire. La meilleure preuve est que seulement 3% des éoliennes terrestres en France sont équipées d’aimants permanents ! C’est dans l’éolien offshore que les aimants permanents sont beaucoup plus développés, pour réduire les coûts des opérations de maintenance (sans être indispensables).
La biodiversité
De nombreux collectifs sont apparus ces dernières années, en se montrant plus écolos que les militants écolos eux-mêmes ! Une sorte de « génération spontanée » qui a enchainé les contre-vérités, masquant mal un fond bien souvent réactionnaire, « traditionnaliste » et bien souvent pro-nucléaire. Complètement absent.es lorsqu’il s’agit de défendre l’agriculture paysanne et bio, ou lutter contre l’artificialisation d’un terrain pour construire un nouveau centre commercial, ils et elles se déchainent contre les moulins à vent… Bien entendu, il y a eu des mobilisations justifiées, surtout en raison de projets visant plus les profits que la transition, comme le met parfaitement en évidence le dossier réalisé par Fakir en septembre 2023. Comme nous l’avons vu, la surface prise par les éoliennes n’est pas un problème.
D’autres théories sont régulièrement relayées : par exemple, la présence d’éoliennes provoqueraient la mort de vaches. Les rares cas rapportés (par exemple en France, dans certaines exploitations) ont parfois été étudiés par des vétérinaires, des ingénieurs ou des agences environnementales. Aucune preuve solide d’un lien de cause à effet entre la présence d’éoliennes et des problèmes de santé graves ou la mort d’animaux n’a été établie. Les éoliennes peuvent émettre des basses fréquences et des vibrations, mais les niveaux mesurés sont généralement très faibles, en dessous des seuils dangereux pour les humains ou les animaux. Par contre, les câbles électriques enterrés peuvent, dans certains cas mal installés, produire des courants parasites dans le sol (courants de fuite), mais ces cas sont extrêmement rares et concernent plutôt l’installation électrique elle-même que les éoliennes en tant que telles.
Cela dit, un vrai problème nous préoccupe : celui des oiseaux. Si le nombre d’oiseaux tués par les éoliennes est incommensurablement moindre que ceux tués par les fenêtres de nos immeubles ou les lignes à haute tension (75000 à 1 million d’oiseaux tués par an pour 4600 kms de ligne selon une étude aux Pays-Bas), il est hors de question de « zapper » le sujet. Pour les éoliennes, la LPO estime à 7 oiseaux tués par an et en moyenne par unité.
Pourtant, des solutions existent. Des entreprises (Phil-Vision, IdentiFlight…) ont récemment commercialisé des systèmes qui détectent les vols d’oiseaux et freinent les éoliennes (lire ICI). Et les systèmes s’améliorent d’année en année. Des solutions simples sont aussi expérimentées : peindre des éoliennes en noir et blanc augmente le contraste visuel et permet de mieux éviter les collisions. Il est aussi nécessaire d’éviter d’implanter des éoliennes dans des zones naturelles et donc sensibles, mais de prendre sur les terres agricoles, où les risques sont déjà moindres. C’est pour cela que les projets de parcs éoliens dans les zones Natura 2000 doivent clairement être combattus.
En conclusion
Il était impossible de passer en revue toutes les « fakenews » circulant à propos des éoliennes. La dernière en date sur le fait qu’elles dissémineraient du bisphénol A a été largement débunkée. Il en va de même pour le « bruit » ou « l’impact sur la santé ». Nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir dans d’autres articles.
Pour l’heure, disons que celles et ceux qui passent des heures à chercher de nouveaux arguments contre les éoliennes devraient plutôt utiliser ce temps à lire des articles portant sur des innovations importantes. Notamment sur les éoliennes de nouvelle génération (comme celles installées à la Réunion où 9 machines vont venir en remplacer 37 tout en doublant la puissance), la recyclabilité des pales (par L’entreprise espagnole Siemens Gamesa) ou la construction entièrement en bois (une éolienne de 150 mètres entièrement en bois est testée en Suède, et elle tourne !).
(1) En moyenne, pour une éolienne terrestre moderne, le temps de retour énergétique (c’est-à-dire la durée nécessaire pour qu’une installation de production d’énergie, comme une éolienne ou un panneau solaire, génère la même quantité d’énergie que celle qui a été utilisée pour la fabriquer, l’installer, et la maintenir en fonctionnement) est généralement compris entre 6 mois et 1 an. Pour les éoliennes offshore (en mer), le TRE peut être légèrement plus long, souvent autour de 1 à 2 ans, en raison des coûts énergétiques plus élevés liés à l’installation et à la maintenance en milieu marin. La durée de vie des éoliennes variant de 20 à 25 ans.
Tout comprendre, l’éolien (ADEME, 2024)
POSITIONNEMENT
DE LA LPO
SUR L’ÉNERGIE (2021)
Le parc éolien français et ses impacts sur l’avifaune (LPO, 2017)