Retour au menu

L’ESSENTIEL
Longtemps, les « écologistes » ont été qualifiés de « doux rêveurs », « d’utopistes », voire d’irresponsables ne comprenant rien à la voie du « progrès » ! Aujourd’hui, l’écologie s’impose dans les faits, par l’atteinte de la plupart des limites planétaires.
Le réalisme semble changer de camps. « Semble », car les résistances sont nombreuses.
Le mythe de la « croissance verte » et du « découplage »
La théorie du découplage est encore loin d’être déconstruite. Dans cette approche, il est affirmé la possibilité de déconnecter « la prospérité économique » (croissance continue) et la consommation de ressources et d’énergie (impact environnemental négatif, émissions de gaz à effet de serre, etc.).
Les partisans de cette théorie s’appuient sur l’évolution de l’empreinte carbone comparée à celle du PIB. Ainsi, et effectivement, les « points de PIB » deviennent, en France, moins « gourmands » en énergies fossiles (plus grandes efficacité énergétique).
Mais il faut y regarder de plus près.
Les modes de calculs sont complexes et il existe plusieurs modèles pour estimer l’empreinte carbone (ce qui est différent des simples émissions territoriales, puisque l’empreinte intègre les importations et exportations).
Un graphique, publié par le ministères de la Transition Ecologique et de la cohésion des territoires donne à voir une comparaison entre les résultats du SDES et résultats issus du modèle « Exiobase »- (CO2, CH4 et N2O). La période calculée va de 1995 à 2018 (avec une année 2019 provisoirement estimée).

Champ : émission de CO2 (CO2 énergétique pour l’OCDE) -© Source: Exiobase 3.8. Traitements SDES, 2022
On constate donc que l’empreinte carbone est légèrement à la baisse (664 millions de tonnes EqCo2 en 1995, à 618 millions de tonnes EqCo2 en 2019).
Dans le même temps, le « PIB » qui mesure la somme de toutes les valeurs ajoutées, a augmenter. Dans le graphique ci-dessous ((World Bank Open Data), nous pouvons constater qu’il est passé de quelques 1 734 milliards d’euros constants en 1995 à 2 620 milliards d’euros en 2019 (en euros 2015).

Il y a donc bien un relatif découplage. Mais d’une part, cela ne vaut que pour la France (le découplage relatif est bien plus modeste à l’échelle mondiale, voir graphique suivant) et d’autre part, un tel découplage n’est, de toutes manières, pas assez conséquent pour permettre d’atteindre l’objectif d’une réelle neutralité carbone en 2050. Continuer sur la même voie d’accumulation de biens et de services ne peut en aucun cas nous permettre de parvenir à un « deux tonnes » d’émissions, en moyenne, par personne.

Sources : Banque mondiale (2020), Our world in data (2020), ONU (2019)
Autre problème, et de taille, une telle approche ne prend pas en compte la question des impacts écologiques globaux, pas plus que des limites physiques de notre monde !
Carbone 4 (source) fait remarquer à juste titre : « C’est ensuite le caractère exogène du PIB qui s’avère problématique. Tout d’abord, cette hausse du PIB ne tient pas compte des stocks et des rythmes de renouvellement des ressources naturelles (minerais, biomasse, ressources halieutiques, etc.) La croissance économique est donc décorrélée du monde physique. Or, les sous-jacents nécessaires à cette hausse du PIB sont matériels. Dans les modèles utilisés pour les scénarisations évoquées ici, c’est la hausse du PIB mondial – exogène – qui se traduit en une augmentation de la consommation d’énergie (endogène), d’objets produits (par exemple des tonnes de métal, des m² résidentiels et tertiaires) et de flux de transports (par exemple des passagers-kilomètres).
Ce parti-pris conduit en pratique à une simplification de taille, à savoir qu’une croissance matérielle infinie est concevable dans un monde fini. Dans les faits, il n’est pas imaginable que les gains d’efficacité-matière puissent être soutenus indéfiniment : ils atteignent nécessairement un plafond. Autrement dit, pour fabriquer une voiture il faut une épaisseur minimale d’acier ; donc, passés les premiers gains, il faudra toujours plus d’acier pour fabriquer toujours plus de voitures.
Enfin, il nous faut revenir un instant sur l’indicateur « PIB » problématique en tant que tel.
Comme le relève encore le même article de Carbone 4 : « Pourquoi se focaliser sur le PIB comme la variable à découpler des consommations de ressources et des impacts environnementaux ? Pensé comme un agrégat monétaire de tout ce qui est physiquement produit via l’activité productive humaine, le PIB est considéré comme l’indicateur de référence pour quantifier l’ensemble de l’économie. Il n’est cependant pas un indicateur de la bonne santé des sociétés ou des écosystèmes. Aux États-Unis, par exemple, l’espérance de vie est découplée du PIB depuis 4 ans[6]. Et en ce qui concerne les écosystèmes, la croissance du PIB mondial au cours des 50 dernières années s’est accompagnée d’une crise de biodiversité« .
Concernant les « solutions »
Il existe des débats sur le mot de « solution ». Ils sont souvent stériles, car, là encore, tout dépend de quelle gamme de « solutions » on parle !
Le solutionnisme et le techno-solutionnisme consiste à croire qu’il y a forcément des solutions à tout. Ce qui n’est évidemment pas le cas : une fois les tipping points atteints, il devient impossible de retrouver « le climat d’avant » ! Idem pour la biodiversité : si des actions de régénération ou de réensauvagement sont possibles, il serait fou de penser que l’on peut recréer en quelques dizaines d’année, la forêt amazonienne ou celle du bassin du Congo.
A contrario, il est heureusement possible d’envisager un ensembles de réponses qui seront des solutions (totales ou partielles). Mais nous devons cependant considérer plusieurs aspects :
1 ) Une solution en est une lorsqu’elle est cohérente par rapport aux enjeux, qu’elle ne conduit pas à de la maladaptation.
2 ) Il n’y a pas de solution isolée qui soit viable. C’est un ensemble de solutions qui doivent s’articuler de manière cohérente. Nous pouvons prendre l’exemple de l’utilisation des déchets pour faire de l’énergie alors qu’il faudrait supprimer les déchets au maximum ou encore celui du « recyclage des déchets plastiques » alors qu’il s’agirait d’éliminer le recours au plastique….
3 ) Les écogestes ou gestes individuels ne représentent qu’un partie mineure de la réponse globale. Ainsi, opérer une redirection écologique d’un territoire, c’est toucher à toutes ses agencements organisationnels : les circuits de distribution, les circuits de transports, les zones d’habitat, les zones agricoles, les zones à réserver pour un réensauvagement nécessaire. C’est repenser la présence des services publics en milieu rural, comme la vie de quartiers dans les métropoles (la « ville des quinze minutes). Les solutions sont donc collectives et systémiques.
4 ) Un ensemble de solutions ne vaut que s’il s’inscrit dans une perspective construite d’une société qui soit à la fois réellement viable (« durable »), mais aussi souhaitable, désirable. La question n’est donc pas, et loin s’en faut, uniquement « technique » (quelles machines pour quelles énergies, etc.), elle est politique et culturelle. Qu’avons-nous envie de valoriser ? Le « travail pour le travail » ? Du temps pour ralentir et s’occuper des personnes que l’on aime ou le culte de la « performance » et d’une « réussite » qui ne se mesurerait qu’à l’aune du patrimoine acquis et du compte en banque ?
Etre réaliste aujourd’hui c’est donc s’interroger sur plusieurs sujets :
– Celui de la décroissance,
– La déconstruction des mythes qui sont autant d’obstacles à une bifurcation effective : cela va de la « voiture électrique pour toutes et tous », à la géoingénierie, en passant par l’ébriété numérique ou le très mauvais pari sur le nucléaire.
Nous traitons ces points dans les fiches suivantes.