Dossier Eoliennes

Et pourtant, elles tournent !

(Oui, le titre était facile !)

Au sujet de la « transition énergétique » en général…

Nous allons commencer par une première difficulté, à savoir les discours, qui nous vendent une certaine « transition énergétique », en les distinguant de celle qui nous semble non seulement réaliste, mais souhaitable et indispensable.

Nous entendons souvent que la « transition énergétique » est un leurre (nous y reviendrons sur plusieurs points). D’aucuns nous disent qu’il n’y a jamais eu de transition énergétique dans l’histoire mais que chaque nouvelle énergie est venue s’ajouter aux autres. C’est exact. Mais ce n’est pas parce que les humains ont régulièrement fait les mêmes erreurs (dans un contexte où ils pensaient les ressources infinies) qu’il ne peut y avoir de changement de paradigme. Sinon, il faut abandonner toute idée de changements novateurs, sans même parler de révolution, puisque par définition, « les choses n’avaient jamais été comme cela avant » !

Pour ce qui concerne la transition énergétique telle que conçue dans la perspective d’une « croissance verte », c’est-à-dire sans aucun renoncement, sans aucune forme de décroissance et de sobriété, elle est effectivement un mensonge éhonté, tout comme n’importe quelle pratique de greenwashing.

De plus, la transition énergétique d’aujourd’hui s’inscrit dans un cadre économique de profit (cela s’appelle le capitalisme !), qui conduit à une course aux bénéfices en faveur des investisseurs privés, donc avec des méga projets bien peu respectueux des écosystèmes, et non en faveur de l’intérêt général. Il nous appartient donc, il appartient aux mouvements écologistes et réellement bifurqueurs, de définir un ou des scénarios, qui, cette-fois ci, s’inscrivent dans le respect des limites planétaires et dans des pratiques démocratiques, solidaires et socialement justes…

Seconde difficulté : la question du nucléaire. Nous ne pouvons y échapper. Nous savons combien le débat est tendu sur le sujet ! Pour les uns, le nucléaire est la seule solution pour produire de l’électricité bas carbone et pour répondre à nos besoins. Pour d’autres, cela reste une énergie dangereuse, et pas seulement en raison des risques d’accidents majeurs. Mais sur cette question des risques, on en arrive vite à comparer des choux et des carottes… On peut effectivement comparer l’historique des accidents majeurs et constatés que la rupture d’un barrage peut être bien plus meurtrière qu’un Fukushima. Si le barrage de Vouglans (Jura) cède, ce qui entrainera une hauteur d’eau de 7 à 8 mètres place Bellecour au centre de Lyon, cela sera bien entendu dévastateur et dramatique. A s’égarer dans des comparaisons douteuses, on peut, à l’instar de sieur Jancovici constater que « le sucre tue plus que le nucléaire ». Ce qui, sur le papier, est tout à fait exact. Avec ce paralogisme, nous pourrions aussi dire que la mort subite du sportif cause plus de décès que les chasseurs, donc que la chasse, comme sport, ne pose aucun problème ! Nous pourrions aussi polémiquer à l’infini sur les coûts comparés, hors ou avec subventions, entre le nucléaire et les EnR (Energies renouvelables). Et tous nous y perdre, y compris en raison du parasitage découlant de la fameuse loi de Brandolini et des « experts » autoproclamés sur les réseaux sociaux. Nous pourrions débattre sans fin sur la question du refroidissement des centrales et des pénuries d’eau…

Sauf que les vrais problèmes ne sont pas là. Pour beaucoup (pas toutes/tous) la magie nucléaire est surtout un formidable espoir de… continuer comme avant, en maintenant le même niveau de débauche énergétique ! Et cela n’est pas compatible avec une réduction de notre empreinte écologique. Mais passons encore… Pour concentrer notre critique et notre opposition au développement du nucléaire sur cinq points principaux :

1 ) Voyons d’abord celui du « timing ». Il faut entre 10 et 19 ans pour construire et mettre en service une centrale. Or, les émissions de CO2 doivent être divisées par deux d’ici 2030 avant de tomber à « zéro net » au plus tard au milieu du siècle. Conclusion : les nucléocrates oublient de dire que les délais sont désormais trop courts pour leur « solution ». Par contre, il reste possible de construire assez d’EnR pour un mix sobre.

2 )La question des déchets. Elle n’est pas du tout résolue que ce soit en France, en Europe ou dans le monde. Accumuler ces déchets, c’est faire peser des risques inadmissibles sur les générations futures.

3 ) Le nucléaire n’est pas une énergie renouvelable. L’uranium n’est pas inépuisable. Au 1er janvier 2019, les ressources d’uranium classiques répertoriées dans le monde s’élevaient à 8 070 400 tonnes d’uranium métal (tU). L’extraction a atteint 54 224 tU la même année (1). Au rythme actuel, cela permet de fonctionner uniquement 148 ans.

4 ) Le nucléaire n’est pas une technique de production d’énergie généralisable à l’ensemble à l’ensemble de la planète. C’est, à nos yeux, l’un des arguments les plus forts : une solution qui n’est pas valable pour toute l’humanité n’en est pas une ! La complexité et le coût de cette technologie font qu’elle demeurera inaccessible à la plupart des pays. Il y a aujourd’hui 438 réacteurs nucléaires dans le monde. Fournir la quantité d’électricité actuelle en nucléaire signifierait déjà multiplier par 10 le parc nucléaire ! Par ailleurs, le niveau d’électrification requis pour une transition énergétique, même sobre – en réduisant la consommation finale par 4, conduirait à une multiplication des installations par un facteur 13 ! Soit 5694 réacteurs au lieu des 438 ! Ce qui, bien entendu, épuiserait les réserves connues d’uranium en… une douzaine d’années ! (2)

5 ) Cinquième et dernier argument, à égalité avec le précédent : le Nucléaire n’est pas une question de technique d’ingénieur, c’est une question politique. Ce qui nous intéresse c’est l’énergie gouvernée et gérée par les citoyens (ce qui n’empêche aucunement l’existence de grands réseaux). Le nucléaire en est aux antipodes (voir notre interview d’Energie partagée dans le numéro précédent).

Un mot tout de même sur le grand rêve de la « fusion nucléaire » : c’est le retour au point 1, car le temps que cette technologie soit opérationnelle (si elle l’est un jour…), nous serons largement toutes et tous grillé.es !

L’énergie nucléaire est donc bel et bien une énergie du passé et il nous faut nous opposer à tout nouvel investissement dans ce domaine pour nous concentrer sur les EnR (3).

(1) Ce chiffre correspond à toutes les ressources d’uranium dont l’existence est certaine ou raisonnablement supposée qui pourraient être récupérées à des prix du marché allant de 40 à 260 $ É.-U./KgU). Source Agence Internationale de l’Energie Atomique.

(2) En 2021, le parc nucléaire mondiale a fourni 2 653,1 TWh. Remplacé ne serait-ce qu’un quart de l’énergie produite à base d’énergie fossile (80% de l’énergie mondiale, soit 136 000 TWh), c’est trouvé 34 000 TWh d’origine nuclaire, soit multiplier le parc nucléaire par 12,815.

(3) Nous constatons toutefois qu’il vaut peut-être mieux laisser quelques  centrales actuelles en service (tant qu’elles ne présentent pas de risques) pour diminuer le poids des efforts à faire. C’est la question du rythme de sortie du nucléaire, qui ne change rien au fond.

De l’énergie, mais pour faire quoi ?

C’est la question que nous devrions nous poser en amont de toute tentative visant à élaborer un mix énergétique…

Nous ne soutenons pas – et personne ne l’a jamais dit – que les EnR en général, et encore moins l’éolien à lui tout seul, seraient capables de remplacer toute l’énergie que nous consommons avidement aujourd’hui.

Mais surtout, la transition écologique globale (qui doit viser à rester bien en deçà des limites planétaires) est loin, très loin, de se résumer à une question de décarbonation de l’économie. Le changement climatique n’est que la résultante d’un mode de vie global, un modèle civilisationnel, qui nous conduit dans le mur, en détruisant le Vivant. Comme le dit Aurélien Barrau, à quoi servirait de l’énergie « propre » si elle est utilisée pour faire fonctionner des bulldozers électriques qui continueraient de raser la forêt amazonienne ?  Ou à quoi nous servirait la même énergie propre si nous ne stoppons pas l’artificialisation des terres ? Si nous générons toujours plus de 2 milliards de tonnes de déchets par an ?(rapport What a Waste 2.0 de la Banque Mondiale publié en 2018). La réponse est simple : à rien, strictement rien.

Si nous voulons continuer à rouler enfermés dans nos voitures individuelles, sans développer radicalement les transports collectifs et les véhicules partagés ; si nous gardons des organisations économiques qui contraignent des centaines de milliers de salarié.es à faire plusieurs kilomètres ou dizaines de kilomètres par jour pour se rendre à leur travail, sans accroître les lieux partagés de proximité et les formules de télétravail ; si nous voulons continuer à visionner en haute définition tous les films en streaming que l’on souhaite avec des écrans consommant jusqu’à plus de 100 Wh, si nous voulons avoir la possibilité de faire tourner des machines à laver, des lave-vaisselles ou faire fonctionner le sèche-linge toute la nuit ; si nous décidons qu’il est hors de question de se passer des 25 points lumineux dans nos appartements (oui, c’est la moyenne actuelle !) et « pomper » rien que pour cet éclairage démesuré jusqu’à 450 KWh par an (source Ademe), si nous voulons continuer d’entretenir une industrie pour un niveau de vie qui nécessiterait trois planètes… Alors, nous pouvons l’affirmer : toute transition énergétique est, dans cette perspective de vie consumériste, parfaitement irréalisable !

Parlons chiffres… Et sobriété !

Quelles sont nos consommations actuelles ? La consommation d’énergie totale primaire est de 2856 TWh sur l’année 2021 et 1 778 TWh en énergie finale (après les pertes) (Ministère de la Transition Ecologique).

Pour penser un nouveau mix énergétique, les travaux de prospectives les plus intéressants demeurent, à notre avis, ceux de Négawatt. L’association a publié son dernier rapport en octobre 2021. En jouant sur les leviers de la sobriété, de l’efficacité énergétique et des renouvelables, le scénario revient, grosso modo, à produire à l’horizon 2050 (demain !) environ 1060 TWh d’énergie primaire pour une consommation finale de quelques 800 TWh voir ici.

Pour notre part, nous serions tentés de pousser plus loin l’effort de la « diète énergétique ». Pourquoi cela ? Parce que, comme nous l’avons dit, le problème n’est pas une « simple » question d’énergie. Alors que nous sommes en plein processus d’effondrement de la biodiversité, nous considérons qu’il ne serait pas ridicule d’envisager de diviser la consommation par un facteur quatre, soit 444,5 TWh (par rapport à 2021, soit 1778 TWh / 4). En nous appuyant sur le même ratio que Négawatt pour l’efficacité énergétique et la réduction des pertes, cela impliquerait une consommation primaire de 589 TWh.

C’est donc sur cette base que nous raisonnerons pour les énergies renouvelables, dont l’éolien. Et nous y venons enfin (mais ce très long détour était nécessaire). 

Dans le détail, le scénario Negawatt donne la première place à l’éolien avec une production d’énergie primaire, onshore et offshore, de 305 TWh. Le photovoltaïque vient en seconde place, avec 168 TWh. L’hydraulique est revu à la baisse (en raison du stress hydrique) pour ne fournir que 54TWh (au lieu de 62,5 TWh en 2021). Viennent enfin d’autres solutions complémentaires comme la biomasse, la géothermie, les énergies marines, etc. Le bois Energie va tout de même représenter 200 TWh. Nous ne détaillerons ces segments, puisque l’objectif est de nous centrer sur l’éolien. Le scénario NW atteint les 305 TWh d’éolien en 2050  avec seulement un doublement du parc actuel (160 TWh en terrestre + 145 TWh en offshore, dont le rendement est sans commune mesure avec le terrestre).

https://energie-partagee.org/projets/begawatts/

  • Le nombre de génératrices terrestres augmente de 8 660 éoliennes en 2020 à 18 600 en 2050. À titre de comparaison, 30 000 éoliennes terrestres sont déjà installées en Allemagne alors que la France dispose d’un tiers de superficie en plus !
  • La production terrestre est complétée par l’implantation d’éoliennes « offshore posées », c’est-à-dire implantées sur des fondations sous-marines réalisables lorsque la profondeur des fonds marins ne dépasse pas 30 à 40 mètres. 
  • D’autres parcs  sont des parcs offshores flottants.

Nous pensons tout à fait réaliste d’augmenter bien plus que cela le nombre d’éoliennes. 30 000 éoliennes terrestres (258 TWh en terrestre +  145 TWh l’offshore, avec moins d’une dizaine de parcs) nous permettraient, en théorie, de fournir 403 TWh donc 68,4 % de notre objectif de 589 TWh ! Resterait à compléter par les autres types d’EnR (voir page 81 du rapport 2022 complet). Il faut toutefois préciser une chose : nous devons réserver une partie de la production pour l’énergie grise, c’est-à-dire pour le renouvellement et l’entretien du parc. Si nous prenons les éoliennes terrestre, cela représenterait 1409 GJ par an (soit 1409 GJ x 30 000 = 42 270 000 GJ), soit 11,74 TWh (4,55% de la production). Pour le offshore, l’énergie grise est grosso modo 2,3 fois supérieure. Au final (et si l’on compte un « coût » en énergie grise de 14,5 TWH pour le offshore (10,46 %), nous arrivons à une quantité de 26,24 TWh / an à « réserver » pour le renouvellement et l’entretien (6,51 %). En d’autres termes, cela revient à dire que notre parc (si la durée de vie est de 20 ans) fournit en 1,3 an toute l’énergie nécessaire pour son renouvellement (524,8 TWh).

Côté bilan carbone, car aucune énergie n’est entièrement « propre », on estime que l’éolien terrestre à une empreinte de 10 jusqu’à 14,1 g CO2e/kWh (source Ademe, ensemble des GES en équivalent CO2). Pour l’éolien en mer, il faut compter entre 9 et 15,6 g CO2e/kWh. Si l’on prend une estimation moyenne approximative de 12 g CO2e/kWh, les 305 TWh de Négawatt en 2050 sont émetteurs de 3,66 millions de tonnes de CO2. Quant à nos 403 TWh, ils correspondraient à 4,836 millions de tonnes de C02e.

Ces émissions devront toutes être compensées par la création de puits carbone ! Plus nous émettrons, plus il faudra compenser (non pas « financièrement » mais physiquement, par l’agroécologie, la reforestation, etc.). Mais la bonne nouvelle, c’est que ce niveau d’émission « éolien » ne représenterait plus qu’environ 0,78 % de nos émissions actuelles (620 Mt CO2 eq). Cependant, nous entendons déjà certaines réactions ! Comment ? 30 000 éoliennes, vous n’y pensez pas ? « Cela va défigurer tous nos paysages » !

« ça prend trop de place ! »

C’est bien mal savoir calculer ! Et nous sommes très loin des propos d’un J-M Jancovici. 30 000 éoliennes, cela ne va pas « recouvrir le pays » ! En réalité, il faut considérer qu’il est possible de placer 10 éoliennes au km2 (puisqu’il faut les espacer de 300 mètres). Voir ICI. Quand bien même nous retiendrions un ratio plus faible (du type 6 éoliennes par km2), nos 30 000 éoliennes terrestres occuperaient une surface de 500 000 Ha. Une broutille, puisque la surface agricole utile (SAU) est actuellement de… 26,8 millions d’hectares (dont 70 % utilisée directement ou indirectement pour le bétail).

« Et puis ça ne marche pas tout le temps ! »

Cela étant dit, la question de la surface n’est pas le seul argument des « anti Eoliens » ! Comme pour l’ensemble des EnR, c’est le problème de « l’intermittence » qui serait insurmontable. Là encore, il faut savoir de quoi l’on parle et ce que l’on veut. Nous le redisons : choisie ou subie, c’est la diète énergétique qui est incontournable.

Avant d’en venir au point technique, précisons donc notre rapport à l’énergie « non stop ». Comme l’exprime très bien Claudio Rumolino (Energéticien et géographe) dans un article publié par « Sortir du Nucléaire » :

« Chercher à caler notre activité selon les rythmes de la nature n’a rien de scandaleux (…). D’abord parce que nous le faisons déjà, tout simplement en acceptant majoritairement de travailler le jour et de prendre nos vacances l’été, selon les « arrivages » du flux solaire (…).

Pour quelles raisons ne pourrions-nous pas accepter une forme d’organisation sociale s’adaptant aux rythmes de production des énergies renouvelables ? Cela ne veut nullement dire que nous resterions tous à la maison, tous appareils éteints, les jours nuageux sans vent. Des pans entiers de la production et des consommations associées pourraient s’organiser de manière à optimiser l’exploitation de ces flux. Est-il indispensable, ou même utile, de tout dimensionner à l’échelle d’un pays ou d’un continent pour que toutes les consommations possibles d’énergie puissent avoir lieu à tout moment ? C’est pourtant ce modèle que nous vendent les grands énergéticiens, publics et privés, sous l’emballage de la « sécurité d’approvisionnement ».

À contre-courant de ce modèle, certains fournisseurs suisses proposent la double distribution électrique dans les logements et obligent, par des prises de courant spécifiques, le branchement de certains appareils gros consommateurs sur un réseau dédié. Lequel ne distribuera le courant qu’à certaines heures seulement. Ce choix n’a rien à voir avec la rhétorique du pays sous-développé, telle qu’on l’entend souvent dès que la politique centrée sur l’offre, menée par EDF depuis 40 ans, est à peine questionnée ».

Ensuite, lorsque l’on évoque « l’intermittence » il faut savoir que cette dernière ne doit pas être confondue avec la variabilité (ou fluctuation) d’une production d’énergie. La nuance est importante. Ainsi, est intermittent un convecteur électrique, lequel passe des dizaines de fois par jour des positions « marche » à « arrêt » : c’est tout ou rien ; de 1 ou 2 kW à zéro, sans transition. Il y en a en France autant que dans le reste de l’Europe (25 millions ?). Non seulement EDF s’en accommode, mais en est depuis des décennies un grand promoteur. Est intermittente également une centrale de production « en base » qui tombe en panne et prive le réseau, d’un seul coup, d’une puissance de plusieurs centaines de MW, de manière parfaitement imprévisible. Nos réacteurs nucléaires en sont un très bon exemple.

Pour ce qui concerne particulièrement la fluctuation de la production des éoliennes, il faut souligner qu’elle est (presque) parfaitement prévisible mais qu’en plus, le vent ne s’arrête jamais complètement, « de sorte que la puissance d’une machine parmi les plus courantes oscillera, en période de vent – c’est-à-dire 80 % du temps, prévu plusieurs jours à l’avance -, entre 50 et 2000 kW, mais très fréquemment stabilisée à sa puissance maxi, dès que le vent souffle à une quarantaine de km/h à hauteur de moyeu (à 70 m du sol au minimum) » (ibid). Laissons poursuivre notre ami Claudio : « Les prévisions de la production fluctuante permettent ainsi une programmation avec faibles marges d’erreur et, par conséquent, une planification aisée de la production d’appoint. Notons que celle-ci n’est pas obligatoirement issue de ressources fossiles ou fissiles. Les appoints peuvent exploiter, pour commencer, des énergies renouvelables stockables ; ou bien la transformation par divers moyens des excédents de production électrique renouvelable (la nuit ou l’été) : stations de transfert d’énergie par pompage-turbinage, production par électrolyse de méthane ou d’hydrogène stockables dans les réseaux de gaz naturel existants, etc. ».

La désinformation « plein pot »…

Malgré tout, la désinformation ne faiblit pas. Il ne se passe pas une discussion sans que resurgisse l’argument éculé de « l’exemple allemand ». Comme le note Cédric Philibert, dans « Eoliennes, pourquoi tant de haine ? »,  la désinformation atteint des sommets avec les comparaisons entre pays : « L’Allemagne produit à ce jour pour son électricité dix fois plus de CO2 que la France par KWh produit, alors que la part des énergies renouvelables dans la production électrique en Allemagne était en 2015 de 34% » écrit encore Fabien Bouglé, qui croit pouvoir en conclure que « plus un pays développe sa politique éolienne, plus il doit augmenter une capacité de production électrique fondée sur les énergies fossiles ». Bien sûr que non !

Cédric Philibert passe au crible de nombreuses données chiffrées. Il apporte ainsi des réponses documentées aux interrogations légitimes du public, mais pourfend également une vaste entreprise de désinformation, une coalition d’intérêts économiques ou purement politiques.

Il s’agit là d’une réécriture de l’histoire : les centrales thermiques étaient présentes bien avant les éoliennes ! A l’inverse, grâce au solaire et à l’éolien, l’Allemagne a nettement diminué sa consommation de charbon. Les centrales à charbon (houille et lignite), dont personne ne nie le caractère polluant, ne fonctionnent pas « en compensation de l’intermittence des éoliennes » (Bouglé encore), mais parce qu’il n’y a pas assez d’éoliennes et de panneaux solaires. Pourquoi, d’ailleurs, arrêter la démonstration à 2015 ? Cette année-là, le charbon fournit 41 % de la production électrique brute en Allemagne, les renouvelables 30% (et non 34%), le nucléaire 14% et le gaz fossile 8%. En 2019, dernière année avant la pandémie, les renouvelables produisent 41 % de l’électricité, le charbon 27 %, le gaz 15 % et le nucléaire 12 %. Les chiffres pour 2021 sont très proches. Au premier semestre 2022, on note sans surprise une remontée du charbon (31 %) au détriment du gaz (12 %) – c’est la guerre en Ukraine. Les renouvelables produisent quant à elles 49 % de l’électricité ». (p92). Nous rajouterons que ni l’Allemagne ni la France n’ont amorcé de politique de sobriété…

La question du stockage d’énergie et des équilibrages des réseaux.

Les détracteurs frénétiques de l’éolien, suppose qu’il n’existerait qu’une seule option, la fabrication de méga batteries, grandes consommatrices de minerais et de terres plus ou moins rares, même si ces dernières n’entrent que très peu en jeu dans le processus. Tout cela est évidemment pur « EnR bashing ».

Sur ce sujet, nous débuterons par la notion de « foisonnement », qui ne constitue pas une solution de stockage à proprement parler, mais qui permet, justement, d’en limiter les besoins.  Pour le dire simplement, l’effet de foisonnement est la réduction de la variabilité de la production d’énergie par la multiplication de sources éloignées.

Une étude d’Engie de janvier 2020 nous fournit un précieux éclairage (sans mauvais jeu de mot !) sur l’efficacité du foisonnement.

La méthode utilisée par Engie consiste à considérer un parc éolien global, constitué de 11 parcs de même puissance correspondant aux sites des 7 projets lauréats des Appels d’Offres (1, 2 & 3) et des 4 projets pilotes flottants (AMI pilotes), répartis sur l’ensemble des façades maritimes. Comme le souligne Jean-Paul Coste dans son billet de blog du 21 janvier 2021, « Il s’agit donc d’une projection, réaliste, basée non seulement sur les parcs installés actuellement mais sur ceux à venir. Par exemple les 3 premières éoliennes flottantes installées au large de FOS (BdR) ne sont pas encore connectées mais leur production à venir est comptabilisée dans l’étude. Et quand elles le seront (ainsi que les autres prévues), elles contribueront évidemment au foisonnement (à une hauteur que l’on sait estimer par référence aux conditions météo), dans la mesure où cette nouvelle zone de production en méditerranée est très ventée et où le régime des vents n’est pas le même que sur les autres façades maritimes. Cette simulation confirme que les régimes de vent sont complémentaires au niveau temporel, entrainant un foisonnement de la production éolienne. »

Ainsi, «  sur l’année, les statistiques montrent qu’un parc éolien réparti entre les façades produirait plus de 20% de sa puissance installée de façon quasi constante, ce ratio montant à près de 30% en période hivernale (où la demande d’électricité est plus forte) ».

Dommage pour celles et ceux qui prétendent que l’éolien ne peut fournir de l’énergie « que lorsqu’il y a du  vent » (de partout)….

Cette étude conclue que le foisonnement peut fonctionner avec les pays voisins (autres EnR) : « Il a ainsi été avéré qu’une fourniture d’électricité 100% renouvelable sur le territoire français pouvait s’intégrer dans le cadre d’une politique européenne favorisant fortement les EnR, avec un taux de pénétration renouvelable de 80% dans les pays frontaliers, et un équilibre global annuel importateur nul. » (p. 19). Toujours selon cette étude, les besoins en stockage sont relativement limités. En effet « l’éolien, dont les cycles de variation s’étalent habituellement sur plusieurs jours (après foisonnement de la production à la maille nationale), génère quant à lui un besoin de stockage de quelques dizaines d’heures. » (p. 44). Le rapport conclue, entre autres choses, qu’il  a  « été vérifié qu’un mix 100% renouvelable pouvait être robuste à des conditions météorologiques défavorables (notamment des périodes sans vent sur l’ensemble du pays, de vagues de froid, ou de sécheresse) … »  (p. 149).

Concernant les moyens de stockage, il y a bien d’autres solutions que les batteries. Les STEP (Stations de transfert d’énergie par pompage) en sont une, même si elles sont limitées. Les 5 GW de Step dont dispose aujourd’hui EDF ont un volume de 184 GWh. Cela représente quatre heures de la demande française moyenne d’électricité. Mais nous aurions la possibilité d’en installer plus.

Le rapport Dambrine (mars 2006) avait identifié plusieurs sites potentiels, notamment en Savoie et le long de la Durance. Par exemple le cirque de Morgon qui offre des conditions intéressantes d’aménagement. Ce cirque couplé au lac de Serre Ponçon … pourrait turbiner environ 1400 GWh/an d’électricité « propre » (deux fois plus que l’usine électrique de Serre-Ponçon), mobilisable en quelques minutes… ». De plus, « dans son rapport sur l’hydroélectricité à l’horizon 2050, l’AIE suggère le développement de STEP marines (connectées à des unités de production par éoliennes offshore) et identifie la Normandie et la Bretagne comme des sites propices à ce type de développement, mais aussi sur les côtes méditerranéennes » (cf J-P Coste).

Les raisons de la « paresse » à développer des Step seraient plutôt à rechercher du côté des règles du marché : « l’obstacle majeur ?  Tout simplement l’ouverture des concessions hydroélectriques à la concurrence, imposée par l’Europe depuis 2010… Pour toute nouvelle ouverture de centrales hydroélectriques – dont les STEP font partie –, ou pour toute augmentation de puissance supérieure à 20%, EDF serait mis en concurrence avec d’autres entreprises à la suite d’un appel à projets obligatoirement passé par l’Etat… » (J-P Coste, ibid). Bien d’autres solutions existent comme le stockage thermique – voir la publication du CEREMA sur le sujet – , le « power to X et l’hydrogène ». Même si les déperditions peuvent être non négligeables, l’hydrogène est bien un moyen de pallier aux variations de production des EnR. Il faudrait également tenir compte d’autres innovations, telle que la « batterie au sable », adaptée à des solutions locales (cf le finlandais Polar Night Energy).

Concernant la question de la stabilité des réseaux (pour maintenir une fréquence de 50 hertz), on ne peut nier qu’un réseau entièrement constitué de renouvelables pose des problèmes inédits. Mais, ces problèmes sont déjà résolus par différentes approches. On peut en découvrir les détails dans l’ouvrage de Cédric Philibert avec soit un minimum de centrale gaz (pour des émissions très faibles), ou les dispositifs de « compensateurs synchrones ». Soulignons aussi que les réalisations actuelles d’Energie partagée montre bien que les éoliennes et le solaire, « ça marche », sans problème insurmontable de stabilité. Il peut également y avoir des systèmes de stockage plus locaux (comme nous l’avons vu avec les batteries au sable)…

La question des matériaux

Autre argutie des anti-EnR : nous n’aurions pas assez de minerais, nous devrions ouvrir des mines polluantes partout dans le monde.

Une fois de plus, cela dépend si l’on continue de raisonner comme dans « le monde d’avant » ou si l’on accepte la sobriété et le fait de développer un tout autre rapport à l’énergie.

Le scénario négawatt détaille la question des matériaux pour sa prospective. Nous nous centrerons ici sur les besoins de l’éolien. Prenons l’exemple du béton.  On estime qu’il faut 960 tonnes de béton (source) pour une éolienne terrestre. La construction de 30 000 éoliennes représente donc 1,44 millions de tonne de béton par an, en considérant une durée de vie de 20 ans. Quelle horreur nous direz-vous !

Sauf que nous consommons aujourd’hui 21 millions de tonnes de béton par an ! Nos éoliennes ne prendraient donc que 6,85% de la consommation de béton. Notons que le secteur du bâtiment utilise chaque année 9 millions de tonnes de béton rien que pour les « blocs de construction » (source). Autrement dit, remplacer seulement 16 % des blocs béton par des constructions en terre (pisé, BTC, etc.) économiserait déjà la quantité correspondante pour les socles d’éoliennes.

Le même type de calcul peut être fait pour l’acier et le cuivre.

On retient qu’il faut approximativement entre 120 et 180 tonnes d’acier par MW. Si l’on retient la valeur haute (180 tonnes) et si l’on reprend les données du scénario NW, nos 30 000 éoliennes correspondraient à 91,4 GW (91 000 MW). Ce qui nous donne 16,4 millions de tonnes d’acier tous les 20 ans, soit 819 000 tonnes annuelles. En sachant que les mats d’éoliennes sont entièrement recyclables (c’est pour les pâles que la situation est plus compliquée, mais des innovations existent et ne doivent pas être négligées). Si l’on compare avec notre consommation actuelle ? Nous en sommes à pas moins de… 10 millions de tonnes annuelles (dont 43% pour le bâtiment). La part de nos éoliennes serait de 8,2 %. Insurmontable ?

Pour le cuivre, en retenant une estimation de 2.5 tonnes par MW (source), pour 98 GW en terrestre et 19,6 GW en offshore, soit 117 600 MW, ce serait 294 000 tonnes tous les 20 ans, soit 14 700 tonnes par an. Sans compter un taux potentiel de quasi 100 % de recyclage. La consommation de cuivre en France n’est pas connue précisément (car très complexe à calculer). Par contre, on peut citer l’usine de fabrication de « fil machine », exploitée par la Société Lensoise de Cuivre (SLC), qui a une capacité de production de 180 000 t/an. Soit plus de 12 fois les besoins de nos éoliennes terrestres et offshores !

Et les terres rares ?

Autre baliverne largement répandue, la question des terres rares. Parmi les filières renouvelables, certains segments du marché de l’éolien consomment des terres rares, à savoir les unités de production équipées de générateurs synchrones à aimants permanents. Apparus dans les années 2000, ces derniers visentà améliorer les rendements de conversion, réduire le poids et les besoins de maintenance, et allonger la durée de vie des systèmes. Les aimants permanents contiennent deux types de terres rares : du néodyme (à hauteur de 29% à 32% par kg) et du dysprosium (3% à 6% par kg). Sauf que cela n’est pas du tout nécessaire. La meilleure preuve est que seulement 3% des éoliennes terrestres en France sont équipées d’aimants permanents ! C’est dans l’éolien offshore que les aimants permanents sont beaucoup plus développés, pour réduire les coûts des opérations de maintenance (sans être indispensables).

La biodiversité

De nombreux collectifs sont apparus ces dernières années, en se montrant plus écolos que les militants écolos eux-mêmes ! Une sorte de « génération spontanée » qui a enchainé les contre-vérités, masquant mal un fond bien souvent réactionnaire, « traditionnaliste » ou parfois (?) pro-nucléaire. Complètement absent.es lorsqu’il s’agit de défendre l’agriculture paysanne et bio, ou lutter contre l’artificialisation d’un terrain pour construire un nouveau centre commercial, ils et elles se déchainent contre les moulins à vent… Bien entendu, il y a eu des mobilisations justifiées, surtout en raison de projets visant plus les profits que la transition, comme le met parfaitement en évidence le dossier réalisé par Fakir en septembre 2023). Nous pourrons y revenir dans d’autres articles. Comme nous l’avons vu, la surface prise par les éoliennes n’est pas un problème. Cela dit, un vrai problème nous préoccupe : celui des oiseaux. Si le nombre d’oiseaux tués par les éoliennes est incommensurablement moindre que ceux tués par les fenêtres de nos immeubles ou les lignes à haute tension (75000 à 1 million d’oiseaux tués par an pour 4600 kms de ligne selon une étude aux Pays-Bas), il est hors de question de « zapper » le sujet. 

Pour les éoliennes, la LPO estime à 7 oiseaux tués par an et en moyenne par unité. Pourtant, des solutions existent. Des entreprises (Phil-Vision,  IdentiFlight…) ont récemment commercialisé des systèmes qui détectent les vols d’oiseaux et freinent les éoliennes (lire ICI). Et les systèmes s’améliorent d’année en année. Des solutions simples sont aussi expérimentées : peindre des éoliennes en noir et blanc augmente le contraste visuel et permet de mieux éviter les collisions. Mais c’est aussi la question d’éviter d’implanter des éoliennes dans des zones naturelles et donc sensibles, mais de prendre sur les terres agricoles, où les risques sont déjà moindres. C’est pour cela que les projets de parcs éoliens dans les zones Natura 2000 doivent clairement être combattus.

En conclusion

Il était impossible de passer en revue toutes les « fakenews » circulant à propos des éoliennes. La dernière en date sur le fait qu’elles dissémineraient du bisphénol A a été largement débunkée. Il en va de même pour le « bruit » ou « l’impact sur la santé ». Nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir dans d’autres brèves. Pour l’heure, disons que celles et ceux qui passent des heures à chercher de nouveaux arguments contre les éoliennes devraient plutôt utiliser ce temps à lire des articles portant sur des innovations importantes. Notamment sur les éoliennes de nouvelle génération (comme celles installées à la Réunion où 9 machines vont venir en remplacer 37 tout en doublant la puissance), la recyclabilité des pales (par L’entreprise espagnole Siemens Gamesa) ou la construction entièrement en bois (une éolienne de 150 mètres entièrement en bois est testée en Suède, et elle tourne !).

Eolien citoyen en Bretagne, voir la Relève et la peste

Par conséquent, tout concourt pour faire de l’éolien le type privilégié d’énergie, devant le photovoltaïque. La sobriété étant, qu’on le veuille ou non, incontournable, il est largement assez performant pour couvrir une large part de nos besoins et il correspond, de surcroît, à nos attendus politiques, démocratiques et citoyens.

Régis Dauxois

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