Emma DULONG est Chargée de communication à Énergie Partagée. Elle nous fait le plaisir de répondre à nos (nombreuses) questions !

RéCITs – Bonjour Emma. Merci d’avoir répondu à l’invitation pour nous présenter un mouvement que nous suivons depuis assez longtemps via votre site, très riche. On le dit d’emblée : l’action d’Énergie Partagée, axée sur le développement de l’énergie citoyenne, est complètement dans notre axe. Nous sommes convaincus que c’est ainsi que nous développerons la résilience des territoires (et sans passer par le nucléaire, qui lui, n’est pas vraiment « pilotable » par les citoyens !). Nous faisons ce mois-ci un numéro dont le fil conducteur est « l’action collective » et nous sommes en plein dans le sujet ! Est-ce que tu peux nous faire l’historique ?
Emma – Merci Régis. Oui, nous avons pris connaissance de votre travail à Récits, et nous y trouvons aussi ce même « souci ».
Pour l’histoire d’Énergie Partagée, c’est un mouvement qui débute en 2010, avec la signature d’une charte par quinze structures adhérentes fondatrices (dont Hespul, Enercoop, la Nef…). Quelques années auparavant, en 2003, il y avait eu le premier colloque européen pour l’investissement local dans l’éolien, à l’initiative de l’association Hespul et avec le soutien de l’Ademe. C’était déjà une étape qui allait conduire au rassemblement de différents acteurs au sein d’Énergie Partagée.
Le but est de porter et de défendre la participation active des citoyen·ne·s dans la transition énergétique. Le postulat de départ, c’est que le modèle centralisé, opaque et polluant, de production d’énergie n’est pas une fatalité. La réappropriation de l’énergie par et pour les territoires est nécessaire afin de réussir une transition énergétique plus juste et plus respectueuse.
RéCITs – Les projets sont surtout de l’éolien, du solaire, ou autres ?
Emma – Les projets de photovoltaïque en toiture sont historiquement les plus faciles pour des raisons diverses (coût inférieur, facilité de développement…), à mener à bien pour des collectifs citoyens. Le temps et le coût de développement d’un parc éolien citoyen sont très supérieurs et beaucoup plus engageants, le nombre de projets est donc plus réduit, mais un parc éolien produit évidemment beaucoup plus que des toitures solaires. Les projets de méthanisation sont dans le même cas, et les premiers méthaniseurs citoyens ont été mis en service il y a quelques années à peine. Quant aux projets hydro et bois-énergie, ils sont encore peu nombreux mais tendent à se multiplier, en particulier pour le bois-énergie (production de chaleur).

RéCITs – Quand on regarde la carte des projets c’est impressionnant. Énergie Partagée a des projets et des réalisations vraiment sur l’ensemble du territoire…
Emma – Oui, en 2023, nous pouvions dénombrer 422 sociétés citoyennes, collectifs, structures d’accompagnement, partenaires, dans le mouvement. L’énergie citoyenne, c’est 29 000 actionnaires citoyens qui ont investi 42.3 M€…
RéCITs – Tu nous expliques le fonctionnement d’EP ?
Emma – En fait, trois structures composent le mouvement. Elles coopèrent en permanence pour poursuivre l’action et veiller au respect des principes de notre charte fondatrice et du label Énergie Partagée (12 critères) qui distingue les démarches citoyennes. Il y a donc :
• Énergie Partagée Association. Elle agit au nom de ses adhérents par son Conseil d’administration. Celui-ci est membre de droit d’Énergie Partagée Coopérative, ainsi que du conseil de surveillance d’Énergie Partagée Investissement. Elle fait un travail de réseau, de sensibilisation, de formation…
• Énergie Partagée Investissement. Cette structure est gérée par Énergie Partagée Coopérative et agit grâce aux milliers d’actionnaires citoyens. Ces actionnaires sont représentés par le Conseil de Surveillance.
• Énergie Partagée Coopérative. Elle étudie les projets en détail sur le respect des critères de notre label, et sur les plans économique et technique, pour aboutir à des décisions d’investissement. Un représentant est membre permanent de l’association.
RéCITs – Tu as des exemples de belles réussites à l’esprit ?
Emma – Je citerais bien le projet SOLARIS CIVIS (photo ci-dessus). Ce parc photovoltaïque est implanté à Ventabren en région PACA (Bouches-du-Rhône). Il a été inauguré en juin 2023. Et c’est le premier grand parc PV citoyen financé sans l’aide d’opérateurs privés. Le projet a permis de réemployer une ancienne friche, située entre une autoroute et une ligne TGV. La municipalité et les citoyens ont travaillé main dans la main pour permettre au territoire de se renouveler et d’apporter une contribution majeure à l’autonomie énergétique de la commune.
La centrale cumule une puissance totale de 5 MW sur une surface d’environ 6 hectares et produit environ 8 170 MWh d’énergie par an, soit l’équivalent de la consommation électrique des 5 000 habitants de Ventabren (hors chauffage et eau chaude sanitaire).
Il y a aussi eu un autre impact très positif du projet : la production d’huile d’olive. 600 oliviers étaient laissés à l’abandon sur le terrain. Grâce au développement du projet, ceux-ci ont pu être replantés sur une terre plus fertile et nutritive. Deux agriculteurs ont repris les arbres pour créer une culture biologique, toujours dans une optique de préserver la biodiversité environnante. Le parc solaire a donc permis la relance d’une activité agricole tombée en déshérence. L’huile sera produite en AOP (Appellation d’Origine Protégée) Huile d’Olive d’Aix-en-Provence. Le projet a permis à la commune de Ventabren d’obtenir la distinction du Territoire à Énergie Positive pour la Croissance Verte (TEPCV). Enfin, et grâce à la vente de l’énergie produite par le parc, la commune captera désormais des retombées économiques directes, sous forme de loyers et de dividendes.
RéCITs – Un mot sur le réseau de chaleur citoyen de Lucinges ?
Emma – Oui, c’est une première en France : une chaufferie collective bois-énergie avec réseau de chaleur, pour approvisionner ses habitants et bâtiments communaux en chaleur renouvelable. Il a été mis en service en 2018et il est géré via une délégation de service public. Il chauffe 60 logements en résidence collective, 5 maisons individuelles, l’école, le restaurant scolaire, la mairie, la bibliothèque, la salle communale, une entreprise, deux lieux culturels et une brasserie artisanale. Les deux chaufferies fournissent chaque année 1100 MWh. Les plaquettes de bois sont fournies par les forêts environnantes dans un rayon de 30 km (donc très peu de transport). Energie Partagée a couvert le tiers du financement (soit 360 000 €, grâce aux milliers d’actionnaires qui lui confient leur épargne).
La Région a apporté 442 000 euros. Le financement a été bouclé avec un prêt de la Nef. Un travail de réflexion a aussi été mené (y compris en impliquant les élèves de l’école) sur les économies d’énergie. Il faut noter encore que la société créée pour la gestion (une SAS) a son capital détenu à 66% par les citoyens et qu’on y applique le principe 1 personne / 1 voix.

RéCITs – Aujourd’hui, l’EnR bashing est en grande forme, dont un éolien bashing qui atteint des sommets… On peut citer par exemple la BD de J.M Jancovici qui est d’une parfaite mauvaise. Mais il faut quand même rappeler que le Shift Project est « essentiellement financé par des entreprises » (sic, c’est même revendiqué sur leur site…). On y retrouve l’Oréal, Vinci, Spie, Bouygues, la SNCF, EDF, etc. On a connaissance de nombreux collectifs aux convictions écologiques douteuses mais qui étalent des arguties pour bloquer les projets au nom de la défense de la biodiversité… Quel est votre vécu sur ce plan à Énergie Partagée ?
Emma – Ce que je peux dire, c’est que, oui, quelques projets ont malheureusement été bloqués par des opposants « anti ENR ». Mais cela ne représente pas la majorité des projets. L’objectif d’Énergie Partagée est de développer des projets citoyens, les intérêts des habitants sont donc au cœur de ces projets. C’est justement cela qui fait notre force. À partir du moment où les gens comprennent qu’ils vont être pleinement acteurs de l’opération, du moins actionnaires de l’installation, ils se sentent investis personnellement dans le projet.
RéCITs – Concernant les projets à venir et les axes de développement d’Énergie Partagée ?
Emma – Il y a de beaux projets, comme celui du parc éolien d’Andilly-les-marais, en Charente-Maritime, à 12 kms de La Rochelle. Le projet devrait aboutir en 2024. Ce sont trois éoliennes et déjà 170 personnes sont actionnaires sur la commune. Nous allons aussi fortement travailler pour développer le label « Énergie Partagée » avec cinq critères clés : l’intérêt territorial, la dynamique locale, la gouvernance partagée, l’écologie, et la finance éthique et citoyenne. On peut rajouter encore sur notre développement, quelques chiffres « parlants » : en 2012, nous avions trois projets mis en service sur l’année. Nous sommes maintenant passés à 58 projets pour l’année 2023 !
RéCITs – Merci Emma, et nous relayerons avec plaisir les informations sur les projets et les inaugurations !
Visitez le site d’Energie Partagée : https://energie-partagee.org/
Un exemple d’opposition anti-EnR
Un bon exemple est celui des « Ailes de Taillard » (Communauté de communes des Monts du Pilat, au sud de Saint-Etienne). Ce projet a regroupé 129 actionnaires. Une étude d’impact avait été réalisée en bonne et due forme avec des études hydro-géologiques pour s’assurer de ne causer aucun dégât sur les ressources en eau. Quant à l’autorisation de défrichement, elle porte sur moins de 4 hectares, sur les 500 hectares de la forêt de Taillard.
Pour commencer, dès 2014, l’armée émet un avis défavorable sur le projet, car le site d’implantation est une zone d’entraînement à basse altitude pour les exercices aériens. Finalement, après une réunion auprès du cabinet du ministère des Armées, celui-ci revient sur sa décision et consent à réduire la zone d’entraînement aérien.
Mais des opposants se font ensuite entendre parmi les résidents locaux, bien qu’associés dès le départ au comité de pilotage. Deux associations sont créées pour la protection de la forêt de Taillard et pour la protection des eaux. Les opposants déposent trois requêtes contre les deux permis de construire et contre l’autorisation d’ICPE (Installation classée pour la protection de l’environnement) qui ont été accordés. Le tribunal administratif rejette finalement ces trois recours en avril 2020 et attribue des dommages et intérêts à la SAS des Ailes de Taillard.
Le jugement rendu confirme notamment l’absence totale d’atteinte aux paysages environnants, de risques sur la ressource en eau, de risques liés au bruit ou de contradiction avec la Charte du Parc du Pilat.
Pour la suite, le délai imposé par les recours juridiques donne l’occasion aux porteurs du projet de peaufiner les détails en vue des prochaines étapes.
Les membres du groupe se préparent maintenant à l’augmentation de capital pour passer de 150 000 euros à un capital de près de 4 millions d’euros. Pour cela, la structure de la SAS doit évoluer et accompagner ce changement de taille par des changements internes d’organisation et de fonctionnement.
Informations extraites de https://energie-partagee.org/projets/les-ailes-de-taillard/