Vétérinaire de métier et passionné de chevaux depuis son enfance, Fabrice Thoulon, a créé « Les Traits d’union », une structure d’élevage et de dressage de chevaux de trait, avec aussi des prestations agricoles et des formations en Traction Animale. Il nous fait le plaisir de nous raconter son histoire.

RéCITs – Bonjour Fabrice ! Est-ce que tu peux, pour commencer, nous expliquer quel a été globalement ton parcours ?
Fabrice – J’ai commencé à monter depuis l’âge de sept ans, tout petit J, Et puis je me suis orienté sur la carrière de vétérinaire. La passion était déjà bien ancrée. J’ai exercé le métier de vétérinaire dès 1988, à l’âge de 24 ans. J’étais associé dans une clinique où je ne m’occupais que de chevaux, aussi bien d’orthopédie que de chirurgie ou de reproduction. J’ai fait cela pendant dix ans. Ensuite, j’y ai occupé différentes fonctions, en Recherche et Développement et en gestion de projet d’abord, puis en affaires réglementaires, et enfin en management de marketing et ventes. Toujours pour des médicaments vétérinaires, dont les chevaux. J’ai travaillé dans ces entreprises durant quinze ans. Mais sur la fin, cela devenait de plus en plus difficile.
RéCITs – Pour quelles raisons ?
Fabrice – Ce qui m’a toujours plu, c’est le terrain, la gestion d’équipe. Là, nous avions des méthodes de pilotage qui changeaient, avec de plus en plus de tableaux d’objectifs, d’indicateurs, et de moins en moins de temps pour l’humain.
RéCITS – Oui, c’est une tendance au pilotage par les indicateurs qui se développe fortement dans les années 1990…
Fabrice – Oui, et cela ne m’allait plus. Il y a eu aussi plusieurs choses. Comme la lecture du bouquin de Pablo Servigne (« Comment tout peut s’effondrer ») ou encore, de façon plus anecdotique, cette formation sur les risques psycho-sociaux. Le formateur présentait tous les types de risques et je me suis aperçu que je cochais toutes les cases ! Grosso modo, il y avait une perte de sens. C’est là que j’ai négocié ma rupture conventionnelle.
RéCITS – Le projet était déjà construit ?
Fabrice – Cela faisait un moment que je pensais à la traction animale. Et je recherchais concrètement quelque chose qui ait du sens. J’étais passionné de chevaux, j’avais des compétences pour transmettre les savoirs (acquises dans mes emplois), j’aimais la gestion de projet… Finalement, « tout était en place » et c’était en phase avec une approche globale des risques d’effondrement de notre société thermo-industrielle. Aujourd’hui, l’agriculture est complètement dépendante du pétrole et je crois qu’il est grand temps de développer d’autres alternatives.
J’ai décidé de me former de suite, avec d’abord le BP JEPS équitation (avec l’UCPA). Puis, une seconde formation de 8 mois pour le CS UCAC (Certificat de spécialisation utilisation et conduite d’attelages de chevaux). Ce n’était pas obligatoire mais c’était un diplôme inscrit au RNCP (Répertoire National des Certifications Professionnelles – NDLR), ce qui me permettait de bien maîtriser l’attelage utilitaire et l’attelage en ville. J’ai effectué cette formation aux Haras d’Uzès. J’ai aussi pris 3 mois pour passer les permis C et CE, indispensables pour déplacer plusieurs chevaux et une calèche.
Ensuite, il fallait que j’acquière de l’expérience professionnelle, j’ai donc travaillé pour emmener des visites en calèches, des balades en traîneaux (à cheval, pas avec les chiens NDLR J )…

RéCITS – tu nous racontes comment s’est fait le montage du projet ?
Fabrice – Il fallait déjà que je trouve un endroit où me poser, avec des terres qui conviennent. Si tu as des terrains trop en pentes, cela devient compliqué, comme dans les monts du lyonnais. Je voulais aussi mettre mes chevaux uniquement en extérieur et il fallait donc que le lieu soit « intégré », c’est-à-dire sans des terrains morcelés et distants les uns des autres, sur une surface de 20 à 30 ha. Il fallait aussi du bâtiment, avec notre logement et des chambres pour accueillir les stagiaires. Pas simple ! Et finalement, après de longues recherches, j’ai trouvé dans le brionnais.
RéCITs – tu va commencer avec combien de chevaux ?
Fabrice – Je vais commencer avec quatre chevaux (que je vais rentrer en juin) pour aller jusqu’à une petite quinzaine. Il va y avoir des poulinières, les jeunes chevaux, et trois ou quatre chevaux adultes d’école. Mes chevaux d’élevage seront des Auxois, mais on peut travailler avec toutes les races, du Comtois au Percheron (sans oublier les ânes et mulets J ).
RéCITs – Est-ce que tu peux mieux nous expliquer l’intérêt de la traction animale pour l’agriculture ?
Fabrice – Il y a plusieurs intérêts importants. D’abord le tassement du sol. C’est très bénéfique pour le sol, l’empreinte des sabots n’a rien à voir avec le tassement opéré par les roues d’un tracteur. En bilan carbone ensuite, c’est évident. Et puis le crottin est un excellent engrais. Il y a une étude très intéressante faite par l’université de Dijon qui a comparé des rangs de vignes travaillés en traction animale et des rangs travaillés en tracteur. Il n’y a pas photo sur la qualité microbienne des sols, et les résultats ne sont pas favorables à la machine ! Même organoleptiquement, les sommeliers trouvent une différence en faveur de la traction animale !
Récits – Mais cela ne permet pas un labour aussi profond ?
Fabrice – On pourrait si on le voulait (il suffit d’atteler plusieurs chevaux – 2, 3, 4, 8… – et on a assez de force pour labourer aussi profond qu’on le veut), mais on ne le veut pas car le labour profond détruit les sols… Il n’y a pas d’intérêt à cela.
RéCITS – Autre sujet, il y a aussi tout l’intérêt du « cheval territorial » ?
Fabrice – Oui, le cheval territorial, ce sont par exemple les ramassages scolaires que de plus en plus de communes organisent. Ou la collecte des déchets. Et on observe un phénomène très positif : lorsque la collecte des déchets est faite par des chevaux, les gens sortent pour discuter. Ca recrée du lien social, et, en plus, cela permet au collecteur de prodiguer des conseils sur le tri (donc d’avoir plus d’efficacité dans la collecte). Pareil pour le ramassage scolaire. On a observé que le jour où le transport se faisait en cheval, les gamins avaient beaucoup moins de mal à se lever et n’étaient pas en retard !
RéCITS – Comment s’est déroulée la finalisation du projet ?
Fabrice – Difficile, avec les banques surtout. Dès qu’elles entendent parler de chevaux, elles ne font pas la différence avec l’équitation de loisirs et elles deviennent très frileuses. Mais finalement, j’ai obtenu le crédit.
RéCITS – Fabrice, merci beaucoup pour cette interview, et on te souhaite un très bon démarrage, on ne manquera pas de reparler de toi. Bienvenue dans le réseau J .