« Et la Chine ? Et les USA ? »… Des discours pour justifier l’inaction…

« Oui, mais la Chine et les USA… »… N’avons-nous pas toutes et tous entendu ce début de phrase, pour nous signifier que les actions entreprises au niveau de la France, ou même de l’Europe, seraient, de toutes manières, dérisoires ? Avec « moins de 1 % » des émissions mondiales, pourquoi viendrions-nous enquiquiner les « gens d’ici » avec cette histoire d’empreinte carbone à diviser par 4, voire 5, et toutes ces mesures « coercitives » ? L’inimitable tartuffe Emmanuel Le Chypre  pouvait ainsi, sur BFM, lancer un cynique « il faut se détendre » !

La résistance est forte, aussi forte que la bêtise qui la sous-tend, mais il nous faut rétorquer à ces propos trop faciles.

Une précision tout d’abord : ce chiffre de 1% (0,9 % si l’on veut être pointilleux) est faussé car il ne prend en compte que les émissions territoriales, c’est-à-dire les émissions générées au sein de nos frontières. Il faut plutôt raisonner sur la base de l’empreinte carbone, qui va inclure le bilan des importations / exportations des produits et services et nous indiquer notre quantité d’émissions effective. Si l’on veut le vrai chiffre, l’empreinte carbone de la France est (au moins) 70% plus élevée que les émissions territoriales ! Nous serions donc aux alentours de 1,5%, alors que la population française ne représente que 0,85% de la population mondiale. Il y a déjà un léger « gap » ! Cependant, nous savons bien que cette nuance ne va pas suffire pour couper court à la justification de l’inaction.

Les choses prennent une autre tournure lorsque l’on accepte de les regarder à l’échelle européenne. On constate que l’empreinte carbone de l’UE représente au moins 10 % de l’empreinte mondiale, alors que la population européenne constitue seulement 5,6 % de l’Humanité.

Pour mémoire, les USA sont à l’origine de 11,46 % des gaz à effet de serre (GES). Quant à l’Inde, avec ses petits 3,4 milliards de tonnes, c’est 7,23 % des émissions. Ce qui donne pour une population qui a rattrapé celle de la Chine, 2,42 tonnes EqCo2 par habitant ! Une quantité plus de 4 fois inférieure qu’en France ((source Banque Mondiale, 2020).

Mais ce n’est pas tout. Il y a un souci logique ! Plus de 200 pays émettent chacun aux alentours des 1 ou 2% du total mondial (source Global Carbon Project).

L’ensemble de ces « petits émetteurs » constitue tout simplement la seconde source d’émission la plus importante, derrière la Chine. Par conséquent, si tous les habitants de ces pays se mettaient à tenir le même raisonnement (nous ne « comptons pas »), nous n’aurions plus aucun espoir d’amorcer les changements nécessaires.

Par ailleurs, il y a aussi le sujet de la responsabilité historique. Lorsque l’on calcule le total des émissions cumulées par chaque pays, nous constatons qu’ils n’ont pas tous, et de loin, la même responsabilité. Ainsi, sur les quelques 2500 milliards de tonnes de CO2 expédiées dans l’atmosphère depuis 1850, l’Europe a pris part à cet exercice à la hauteur de 22%. D’aucuns nous diront qu’ils.elles ne sont pas responsables des dégâts commis par les générations précédentes. Certes. Sauf qu’aujourd’hui, le constat est là : les pays qui souffrent le plus des conséquences du réchauffement climatique sont ceux qui ont le moins contribué aux causes du désastre !

Reste l’argument principal : si un pays, ou un groupe de pays (comme l’UE), veut avoir une place légitime lors des négociations internationales et disposer d’une quelconque chance d’en être un peu moteur, il est indispensable que nous soyons exemplaires. Comment pourrions-nous être une force de proposition crédible si nous n’avons pas nous-mêmes mis en place les politiques que nous exigerions des autres ? Concernant plus particulièrement la Chine, la situation est plus compliquée qu’il n’y parait. Passons sur le caractère abject du pouvoir chinois et observons objectivement les politiques menées. Si la Chine demeure le premier émetteur de GES – quelques 27% sur l’année 2019 -, elle a une empreinte carbone légèrement inférieure à son inventaire national (cela parce que nous importons beaucoup de produits chinois). Mais surtout, avec ses 13milliards de tonnes EqCO2 et ses 1,4 milliards d’individus, la Chine a une empreinte par habitant  de 9,28 tonnes par an. Un peu moins qu’un français. Par ailleurs si la Chine joue sur les deux tableaux, à savoir le charbon et les énergies renouvelables, c’est le pays qui est le plus en avance sur le déploiement de ces dernières, et avec plusieurs longueurs d’avance ! Nous pouvons, bien entendu, critiquer les choix de « transition énergétique », comme celui de la voiture électrique ou de méga parc solaires. Mais en cela, le gouvernement chinois n’est pas plus stupide que le gouvernement français… A noter que la Chine a investi 546 milliards d’euros en 2022 dans sa transition énergétique, soit la moitié des dépenses mondiales. Pour l’Europe, c’est 180 milliards d’euros. C’est un peu moins que l’UE (390 euros/hab en Chine contre 401 euros/hab dans l’UE). En conclusion sur ce point : la politique de la Chine n’est pas plus catastrophique que celle de l’UE ou des Etats-Unis. Ce qui n’est guère rassurant, nous en convenons ! L’une des questions importantes pour la suite, c’est de savoir si la Chine va parvenir à sortir de son addiction au charbon qui représente à peu près 58 % de la consommation énergétique du pays. Remplacer cette quantité d’énergie par du renouvelable (ou du nucléaire) représenterait environ 20 000 milliards de dollars dans les années qui viennent.

Un facteur est à prendre en compte : la pollution par le charbon a atteint un seuil quasi insupportable et le pays est sévèrement touché par les impacts du réchauffement climatique. Ce qui va certainement jouer comme une pression supplémentaire sur le pouvoir chinois. Il n’en reste pas moins que si l’objectif de la chine demeure sur un modèle de croissance destructrice et polluant, les conséquences seront dramatiques pour le monde entier. Il en va pareillement pour les USA.

Opposition au projet « Willow »

Alors que pouvons-nous tenter de faire ? D’abord, nos actions et nos coordinations sont forcément internationales. Ainsi et par exemple, le Réseau Action Climat s’insère dans le Climate Action Network International qui regroupe pas moins de 1800 ONG de par le monde. Ensuite, nous pouvons mener de multiples actions : nous mobiliser contre les investissements fossiles des banques (et la très proche BNP est dans le top… 11 !), mobiliser pour infléchir les orientations européennes (l’UE pèse tout de même 21,7% du PIB mondial et elle est le second importateur et exportateur !), apporter notre soutien concret aux luttes contre des projets criminels (celui de Total en Afrique de l’ouest ou l’actuel grand projet pétrolier en Alaska que vient d’autoriser Biden), ou nous mobiliser lorsque notre président écocidaire  va vendre 160 Airbus à la Chine !

Chacun.e a largement de quoi s’investir dans une action de portée internationale et pour venir renforcer le mouvement pour une transition juste.

Dans tous les cas, et aussi difficile que semble être ce combat (et il l’est), rien ne  peut nous dédouaner de nos responsabilités, ici et maintenant, à changer radicalement de modèle de civilisation. Tous les discours  du « cela ne dépend pas de nous » sont des prétextes irrecevables.

Régis Dauxois

Laisser un commentaire