Par Salwa-Ludivine Amdouni-Boursier, du collectif Resiliere (prospective et résilience territoriale dans l’Anthropocène), 20/01/2024. Anciennement Chargée de Mission Synthèses de Connaissances pour la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité et le Ministère de l’Ecologie.
Des territoires concernés et exposés dans l’Anthropocène : de la multiplication des événements extrêmes (fréquence, intensité) à la nécessaire prise en compte au niveau local.

L’Anthropocène et ses conséquences (qu’elles soient connues ou pas encore) impliquent que nos territoires sont et seront exposés de manière différenciée à des phénomènes climatiques qui risquent de voir leur gravité et leur fréquence augmenter.
Ces dernières années, les exemples de canicules, périodes de sécheresses (Bretagne), inondations (Nord, Charente-Maritime) se sont multipliés.
Le changement climatique est un phénomène qui à la fois aggrave les risques déjà existants (en terme de fréquence, d’intensité et d’amplitude), mais en fait également réémerger de nouveaux (maladies infectieuses par exemple, combinaison de situations à risques…).
Les phénomènes de mal-adaptation augmentent également les vulnérabilités de nos territoires. Il s’agit de situations dans lesquelles on opère un changement dans les systèmes naturels ou humains pour faire face au changement climatique mais dont les conséquences augmentent (de manière non intentionnelle) la vulnérabilité au lieu de la réduire.
Un exemple malheureusement connu est celui de la construction de digues. Le long du littoral, celles-ci peuvent endommager les écosystèmes et nuire au bon fonctionnement de ceux-ci, ce qui en retour augmente la vulnérabilité aux inondations. De même qu’endiguer une rivière peut mener à une augmentation du risque de crue en aval de celle-ci. C’est notamment pour cela qu’il est intéressant de regarder du côté des Solutions Fondées sur la Nature (entre autres).

Historiquement en France, on définit les risques majeurs comme la possibilité d’un événement d’origine naturelle ou anthropique, dont les effets peuvent mettre en jeu un grand nombre de personnes, occasionner des dommages importants et dépasser les capacités de réaction de la société. Ils sont caractérisés par la menace d’un évènement à fréquence (très) faible mais d’une très grande gravité (nombreuses victimes, dommages importants aux biens et à l’environnement). Ils ont dès lors été classés en deux sous catégories :
– Le risque naturel majeur, c’est à dire quand un aléa d’origine naturelle rencontre des enjeux humains, économiques ou environnementaux (ex: tempête, crue etc.),
– Le risque technologique, ou la possibilité qu’un aléa d’origine technologique lié à des activités humaines se réalise et entraine des conséquences graves pour le personnel, les populations, les biens, l’environnement ou le milieu naturel.
Les 5 principaux risques technologiques sont : industriel (sur site, exemple de Lubrizol), nucléaire, chimique, transport de matière dangereuse, barrage hydraulique.
Cependant, et après avoir établi ces éléments de base, il nous parait intéressant et nécessaire d’interroger cette démarcation historique et sa pertinence vis à vis de l’Anthropocène et de ses (in)certitudes. En effet, si l’Anthropocène est caractérisé par le fait que l’Homme (enfin, plutôt le mode de vie de certains d’entre eux) soit le principal vecteur de changements géophysiques et altère le fonctionnement « habituel » des grands cycles (carbone, eau, phénologie…), nous poussant au-delà des limites planétaires, alors peut-on encore soutenir que cette distinction de principe fait sens ?
En effet, qu’en est-il du fait que ce soit l’activité humaine elle-même qui accroit la potentialité d’occurrence de phénomènes comme les sécheresses,les inondations, les incendies ou encore les mouvements de terrain dans un environnement d’ores et déjà extrêmement anthropisé?
Comment dès lors ne pas rajouter de mal-adaptation, de non-durabilité notamment par des infrastructures grises (l’ingénierie civile – ndlr) et de mauvaises décisions? D’autres risques encore sont liés à nos manières occidentales d’habiter le monde et aux interdépendances qui en résultent, comme le risque de Blackout électrique par exemple.

Notre approche consiste à opérer un glissement de regard sur nos propres vulnérabilités. En effet, au contraire de la prise en compte classique des risques comme d’un événement uniquement externe venant perturber un fonctionnement « normal » (Don’t Look Up !), nous insistons sur l’identification et la prise en compte des vulnérabilités intrinsèques au territoire. A ce titre, les risques sociaux nous semblent un point majeur. Au-delà des principes de solidarité nécessaires en cas de crise, il s’agit d’un potentiel délitement dans le temps des facteurs de résilience de nos communautés de par l’effritement des liens sociaux, du délabrement de nos services publics et de la continuité de l’attitude extractiviste et prédatrice de nos orientations gouvernementales.
De manière assez évidente, nous assistons à un accroissement historique des inégalités en matière de répartition des richesses et une partie de plus en plus importante de la population éprouve des difficultés à se nourrir en quantité et qualité suffisantes. Les situations de chômage important et de précarité y compris chez les jeunes (au moins 13 fois plus de personnes sont au chômage qu’il n’y a d’emplois vacants en France) viennent fragiliser un peu plus le tissu social.
Bien entendu, les pollutions massives des sols et cours d’eau, les particules fines et zoonoses (ré)émergentes, accroissent ces fragilités. Nous encourageons les collectivités à établir avant tout un diagnostic de ces vulnérabilités, avant de se projeter dans une vision d’atténuation, d’adaptation et de résilience de leurs territoires. Il peut être utile par exemple de s’inspirer du cas de la Nièvre qui a élaboré son diagnostic de vulnérabilité en coopération avec le CEREMA (Centre d’études et d’expertise sur les risques, la mobilité et l’aménagement).Bien que la notion de résilience soit discutée et critiquée (et tant mieux!), elle permet de mobiliser des outils de politiques publiques nous paraissant utiles même s’ils sont à améliorer. Nous vous invitons par ailleurs à investiguer les différences d’approche entre la résilience « réactive » (centrée sur la crise) et la résilience « proactive » (centrée sur le long-terme), telles qu’étudiées par Beatrice Quenault par exemple. A notre sens il est en effet illusoire de penser qu’il suffit de gérer ces aléas pour reprendre un cours « normal » de nos activités quand ce sont ces activités mêmes qui peuvent être responsables des vulnérabilités. C’est aussi dans ce champ qu’il faut opérer des réflexions collectives sur les attachements, les renoncements et les redirections à opérer. C’est ce que propose notamment l’approche de la redirection écologique, qui est un cadre, à la fois conceptuel et opérationnel, destiné à faire tenir les organisations publiques et privées, ainsi que les infrastructures et instruments de gestion qui les soutiennent dans les limites planétaires. Il s’agit également de veiller aux processus démocratiques permettant de mettre en place une transformation écologique de nos modes de subsistance. Particulièrement sur la question des risques, il nous parait important d’impliquer le plus grand nombre d’acteurs (et de types d’acteurs) pour penser aux activités à conserver, à modifier voire à stopper. Comme par exemple une activité industrielle polluante même si génératrice d’emplois et de richesses, une exploitation en monoculture intensive ou encore la gestion de l’eau et les arbitrages qui en découlent.

Si nous revenons à la question des risques qui concernent nos territoires, il est intéressant de noter que selon la typologie de ceux-ci, certains phénomènes sont et seront plus spécifiquement à envisager. En voici quelques exemples non exhaustifs :
– Dans les villes et grandes aires urbaines : des risques sanitaires, notamment liés à la pollution atmosphérique, îlots de chaleur urbains, augmentation de la demande énergétique en période estivale prenant place dans un contexte de production électrique sous tension, inondations et sensibilité aux aléas de retrait-gonflement des argiles.
– En montagne : érosion de la biodiversité, disparition de milieux spécifiques, activité touristique affectée par la diminution de l’enneigement, mais également risques de glissements de terrain.
– Le long du littoral : les enjeux portent sur le recul du trait de côte et du risque de submersion, ainsi que la dégradation des écosystèmes côtiers (érosion et phénomène de salinisation).
– Dans les territoires des vallées dynamiques : risques d’inondations fluviales ainsi qu’une vulnérabilité accentuée de la production d’énergie étant donné la diminution des débits des cours d’eau l’été, baisse de production hydro-électrique estimée à 15% d’ici 2050, ainsi qu’une augmentation des risques de pollution atmosphérique (plus particulièrement dans les vallées du Rhône et de la Seine)
– Dans les territoires ruraux :
– Au Nord de la Loire : sont principalement prévues des modifications des peuplements forestiers ainsi qu’un accroissement des risques de feux de forêt et d’épisodes de sécheresse.
– Au Sud de la Loire : accroissement de la pression sur les ressources en eau, problématiques sur les assolements (diversité géographique des cultures à un moment donné), impact sur la qualité de certaines productions comme le vin. Il est également question de risques d’incendie augmentés (prévision de périodicité d’une année sur deux à l’horizon 2070).
Ces changements climatiques ont et auront dont des impacts majeurs et parfois incertains dans nos localités. L’Anthropocène nous oblige à penser, repenser, mobiliser, voire inventer des leviers (notamment via les politiques publiques) pour tenter de faire face à ces enjeux.
Cependant, cela implique un important besoin de connaissances, d’expertise et de capacité à envisager des actions de prévention, tout en pensant les possibles phénomènes de rupture, ou de crise. Pour cela, des données, des enquêtes sont nécessaires, et cela représente un certain défi d’avoir accès à des données suffisantes, pertinentes et digestes.
Dans ce sens, des collectifs, des instances, des organismes scientifiques travaillent de plus en plus sur ces données et leur diffusion. Il est ainsi possible de consulter les données du Dryas qui a pour vocation de mettre à disposition des projections climatiques régionalisées réalisées dans les laboratoires français de modélisation du climat (IPSL, CERFACS, CNRM). Les informations climatiques sont délivrées sous différentes formes graphiques ou numériques. Il est également possible de rejoindre ou créer un GREC (Groupement Régional d’Experts sur le Climat) dont l’objectif est de permettre une étude des vulnérabilités d’un territoire vis-à-vis du changement climatique tout en mettant en lumière les spécificités d’une région.
La sécurité civile en France : contexte et principes de fonctionnement
En France la sécurité civile « a pour objet la prévention des risques de toute nature, l’information et l’alerte des populations ainsi que la protection des personnes, des biens et de l’environnement contre les accidents, les sinistres et les catastrophes par la préparation et la mise en œuvre de mesures et de moyens appropriés relevant de l’Etat, des collectivités territoriales et des autres personnes publiques ou privées« .

Elle est organisée par la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), rattachée au ministère de l’Intérieur et compte dans ses rangs des services nationaux comme la direction des sapeurs pompiers par exemple, ou des services plus locaux comme les Associations Agrées de Sécurité Civile (type Croix Rouge) ou encore les Comités communaux des feux de forêt.
Selon le site budget.gouv.fr, en 2023, sa dotation s’élève à 3% du budget du ministère de l’intérieur soit 1,1 milliards sur 35. A titre de comparaison, la police et la gendarmerie nationale mobilisent 66.3% de ce budget total. Cependant, dans le détail de ce budget, si on enlève la part dédiée à la préparation et interventions spécialisées de moyens nationaux, il reste moins de 300 millions d’euros destinés au soutien aux acteurs de la sécurité civile (16% du budget), 7 millions pour la prévention et gestion de crise (6.5%) et 1 million pour le fonctionnement, soutien et logistique (1.3%). Soit un total alloué à ces trois actions fondamentales pour appréhender les futures crises et stress chroniques dans un contexte d’Anthropocène… de 0,86% du budget du ministère de l’Intérieur. Nous ne tirons pas de conclusion sur ce chiffre et vous invitons à le faire par vous-même.
S’agissant de la prise en compte des risques et de la gestion de crise, il existe un panel d’outils et de repères législatifs qui permettent, voire obligent les collectivités à un certain niveau de connaissances et de mise en place d’outils dont l’objectif est d’anticiper les situations de crise ou de catastrophe, tout en travaillant sur des aspects plus préventifs.

Il est intéressant de noter qu’il existe des dispositifs de secours à une échelle supérieure comme les plans ORSEC (Organisation de la réponse de Sécurité Civile), déclenchés par le préfet en cas de catastrophes ou d’évènements de grande ampleur (tempête de 1999, feux en 2003, explosion de l’usine AZF en 2001..) qui mobilisent un nombre très important d’acteurs et de moyens. Les dispositifs et obligations actuels découlent directement de la loi de modernisation de la Sécurité Civile de 2004, qui « fixe pour objectif de mobiliser l’ensemble des compétences impliquées dans la prévention et l’organisation des secours concernant les risques technologiques, naturels ou de nature terroriste. » Nous n’entrerons pas dans les détails, mais elle est consultable en ligne. Elle inscrit le citoyen au cœur de la sécurité civile, par sa supposée formation et préparation, elle oblige les communes concernées par un risque identifié dans le DDRM (Dossier Départemental sur les Risques Majeurs) ainsi que celles couvertes par un PPI (Plan Particulier d’Intervention, lié à un site classé SEVESO) à rédiger un PCS (Plan Communal de Sauvegarde) et un DICRIM (Document d’Information Communal sur les Risque Majeurs). Et enfin elle confirme la départementalisation des services de secours (SDIS) dont le financement est assuré en majorité par le département.
Les principes de cette loi ont été actualisés en novembre 2022 par le biais de la loi Matras qui vient augmenter le nombre de communes soumises à l’obligation de rédaction d’un PCS par l’élargissement des critères (10 800 communes concernées) ainsi que l’obligation de réaliser un Plan Intercommunal de Sauvegarde (PICS) pour 1125 Etablissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI).
C’est dans ce cadre réglementaire et en mobilisant différentes politiques publiques que l’on peut travailler autour de dispositifs qui, redirigés, constituent pour nous des potentielles reprises en main du sujet des risques, de leur traitement et anticipation dans l’Anthropocène à un niveau local. C’est ce que nous développerons au prochain numéro.
Salwa-Ludivine Amdouni-Boursier
Pour aller plus loin
- 6e rapport du GIEC : quelles sont les conséquences réelles du changement climatique ? – Réseau Action Climat.
- Accueil | budget.gouv.fr.Chapitre II : Sécurité civile (Articles L112-1 à L112-2)—Légifrance.
- Le risque de blackout est-il réel ?—Grégoire Chambaz.
- DRIAS, Les futurs du climat—Accueil. (s. d.).
- Éviter la maladaptation au changement climatique. IDDRI.
- Les territoires de l’anthropocène (cartes thématiques proposées par le CGET). Cartographie numérique.
- Groupements régionaux en France – AcclimaTerra.
- Incendies en Bretagne : Plus de 300 hectares brûlés dans le Finistère et le Morbihan. (2022, août 7). Le Monde.fr.
- La vulnérabilité des territoires du monde anthropocène. Horizons publics.
- Les infrastructures vertes bleues grâce à l’innovation sociale—Anglais.
- Les territoires à l’ère de l’anthropocène : Des milieux sous pression.
- Les territoires français face au changement climatique.
- Quenault, B. (2013a). Du double affrontement ontologique/axiologique autour de la résilience aux risques de catastrophe : Les spécificités de l’approche française.VertigO, Volume 13 Numéro 3.
- Quenault, B. (2013b). Retour critique sur la mobilisation du concept de résilience en lien avec l’adaptation des systèmes urbains au changement climatique. EchoGéo, 24.
- Quenault, B. (2014). La résurgence/convergence du triptyque « catastrophe-résilience-adaptation » pour (re)penser la « fabrique urbaine » face aux risques climatiques. Développement durable et territoires, Vol. 5, n°3.
- Qu’est-ce que la redirection écologique ? (s. d.). Horizons publics.
- Qu’est-ce qu’un risque majeur ? – Généralités—Risques naturels et technologiques—Environnement, risques naturels et technologiques—Actions de l’État—Les services de l’État en Finistère.
- Serkine, P. (2015). Le risque de maladaptation au changement climatique : Un enjeu pour la rentabilité des investissements ?Revue d’économie financière, 117(1), 75‑90.
- Stratégie d’adaptation au changement climatique du Département de la Nièvre | Cerema.