Tenir le cap et dénoncer le « greenwashing »
Les aménagements qui imperméabilisent les sols avec du béton ou du bitume, aggravent considérablement la perte de la biodiversité. Tous ces chantiers détruisent de manière irréversible les qualités écologiques des terrains et des réservoirs de carbone. L’artificialisation des sols(1) a donc un impact direct sur le climat. Chaque année, en France, entre 200 et 300 km² sont imperméabilisés, soit 2 à 3 fois la taille de la ville de Paris. La loi Résilience de 2021 fixe des objectifs mais les collectivités sont aussi face à des difficultés. Tour d’horizon.
En 2020, la bien maltraitée convention citoyenne pour le climat définissait des objectifs pour lutter contre l’artificialisation des sols : la consommation de terre exprimée en hectare devant « être réduite du quart sur la période 2021-2030 rapport à la période 2000-2020 ».

A juste titre, la CCC proposait d’interdire « toute artificialisation des terres – ouverture de zones à construire – tant que des réhabilitations de bâtiments existants (logements anciens, friches commerciales, artisanales ou industrielles) sont possibles dans l’enveloppe urbaine existante » ; ou encore, concernant les zones commerciales et zones artisanales, de « prendre une mesure au niveau national d’interdiction de nouvelle surface artificialisée, sauf dans les zones où la densité de surface commerciale et artisanale par habitant est très inférieure à la moyenne départementale ». Suivaient encore d’autres mesures, comme « Renforcer les dispositifs fiscaux existants contre la vacance des logements et des bureaux (augmenter la taxe). Mieux utiliser notamment les dispositifs existants de réquisition de logements pour la mise en location et/ou la rénovation », « Autoriser la construction d’habitats collectifs et de services de proximité, après obligation de concertation sur les projets, dans les zones dominées par l’habitat individuel peu dense (les zones pavillonnaires notamment). ». Des mesures tout à fait raisonnables (voire même trop modérées) qui ont pourtant heurté les personnes n’ayant pas conscience de l’urgence de la situation (on ne touche pas au rêve du « pavillon » !).
La loi résilience d’août 2021
Avec la loi résilience promulguée le 22 août 2021, la bétonisation des terres est encadrée. Le rythme d’artificialisation devra être divisé par deux d’ici 2030. Le zéro artificialisation nette (ZAN) devra être atteint d’ici 2050. Cet objectif sera décliné dans les territoires. Un principe général d’interdiction de création de nouveaux centres commerciaux qui entraîneraient une artificialisation des sols est posé (Source). La nécessité de la loi est bien comprise par les élu.es. Cependant cela implique une réflexion de fond sur les nouvelles formes d’aménagement du territoire, les trajets entre l’habitat et les lieux de travail(2). C’est tout le « comment on construit » qui est réinterrogé et remis en question. Et sur le terrain, ce n’est pas simple !

Car justement, les trajets domicile travail, pour ne prendre que cet exemple, cela ne se décrète pas ! Par ailleurs, une conséquence de la loi fait grincer des dents : ce sont les Régions qui vont distribuer les droits à artificialiser. Elles vont faire des choix, en donner plus ici et moins là… En Auvergne-Rhône-Alpes, la règle sera identique pour tous, à savoir une division par deux. Plus précisément, les territoires sont limités à 45% de leur précédent bilan, pour mutualiser 5% de droit d’artificialisation à la Région. Problème : les territoires qui ont été « mauvais élèves » jusqu’à présent vont encore bénéficier d’importants quotas (puisque le travail à réaliser sera estimé plus important, et pour cause !), alors que ceux qui avaient préservé la nature seront aussi limités à deux fois moins que leurs pratiques passées (déjà faibles). Une double peine en quelque sorte.

Les négociations locales ne seront pas aisées non plus, car le droit d’artificialisation s’applique avec un SCOT (Schéma de cohérence territorial) concernant plusieurs dizaines de communes. Ces dernières seront contraintes de s’entendre pour se « partager le gâteau » (on imagine l’ambiance !).
Loi du 20 juillet 2023, encore du temps perdu…
Face aux difficultés remontées des territoires, une loi visant à renforcer l’accompagnement des élus locaux dans la mise en œuvre des ZAN a été promulguée le 20 juillet 2023 (Source). Elle prévoit notamment des délais supplémentaires pour intégrer les objectifs de réduction de l’artificialisation dans les documents d’urbanisme. Le risque de ce type de loi étant bien évidemment que l’on perde encore du temps au lieu d’analyser réellement les blocages. Trois décrets d’application de la loi Climat et Résilience sont actuellement publiés (JO du 28 novembre 2023).
- le premier décret précise notamment ce que recouvre la notion de surface artificialisée ;
- le second décret « ajuste » les objectifs de mise en œuvre de la sobriété foncière
- le troisième décret porte sur la composition et les modalités de fonctionnement de la « commission régionale de conciliation » sur l’artificialisation des sols. Cette commission, instituée par la loi du 20 juillet 2023, interviendra en cas de désaccord entre l’État et la région concernée par de grands projets d’infrastructures.
Nous comprendrons bien que cette série de mesure ne résout rien dans les faits. La loi de 2023 permet aussi à certains documents d’urbanisme d’avoir des objectifs moins ambitieux au risque de remettre en cause le ZAN.
Pourtant des axes de redirection écologiques très concrets existent !
- Sur le territoire national, il existe150 000 hectares de friches industrielles et 3 millions de logements vacants ! Une priorité serait de les réquisitionner pour pouvoir y construire de nouveaux logements (en technique bas carbone).
- Comme le souligne la FNE, la transformation des bureaux vides (souvent spéculatifs) en logements doit aussi être étudiée du fait du développement du travail à distance. Par exemple, un record de plus 4 millions de m² de bureaux vacants a été franchi en Ile-de-France en 2022 (source).
- Le réhaussement des immeubles de faible hauteur, avec un ou deux étages supplémentaires est aussi une solution à généraliser d’urgence, à l’instar de ce que font déjà plusieurs municipalités (à noter que l’unanimité des copropriétaires n’est plus requise depuis la loi Alur).
- Concernant le difficile problème des temps de trajets domicile-travail, ce n’est pas seulement le télétravail qui devrait être développé mais également le principe du tiers lieu (voir les travaux du laboratoire d’innovation socialedu centsept à ce sujet).
Mais surtout, il nous suffit d’observer quelques vues aériennes pour nous rendre compte de l’immensité des surfaces « gâchées » par des espaces commerciaux, des zones pavillonnaires, un « mitage » totalement irraisonné des territoires.

Il nous faut enfin revenir un instant sur cette sombre affaire de « compensation ».
Si la démarche « éviter, réduire, compenser » (ERC) s’applique à tous les grands projets d’aménagement urbains, la troisième étape est plus que problématique ! L’idée qu’il serait possible de « compenser » des effets négatifs sur l’environnement, grâce à des projets de restauration écologique, ne correspond pas à la réalité. Car cela veut dire « renaturer » d’autres sols, préalablement artificialisés et qui ont perdu toute vie biologique ! Recréer un sol agricole vivant, une prairie, des bois et forêt sont des processus très longs (et coûteux !).
Autrement dit, cette notion de compensation relève clairement du greenwashing et d’une stratégie (une énième)de fuite en avant. Comme l’écrivent nos ami.es de l’Atelier d’écologie politique (Atecopol) : « En réalité, le principe de compensation tel que défini et pratiqué dans nos sociétés n’est pas un bien qui compense un mal, mais un mal qui « compense » – c’est à dire qui annule ou réduit – un bien, puisque restaurer une terre ou l’atmosphère devient une autorisation à dégrader ailleurs, alors que l’état actuel de la biosphère commande à la fois de restaurer et de ne plus dégrader ».
Qu’on le veuille ou non, il va falloir densifier et faire des économies drastiques de surfaces pour redonner une chance à la biodiversité et à des prairies ou forêts qui sont d’indispensables puits de carbone.
Jélif B. (Lyon)
1) Le code de l‘urbanisme définit l’artificialisation comme « l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage ». (2) en construisant des « zones d’activité » éloignées des lieux d’habitat, ce qui va à l’inverse d’une nécessaire densification.