Protégez votre forêt !

Ce dossier sur nos forêts, voilà un bout de temps que nous y pensions. Mais il faut dire que le nombre de questions à traiter aujourd’hui, dans le cadre de la problématique de l’Anthropocène, est malheureusement phénoménal ! Nous voulions réaliser un support aussi synthétique que possible, qui traite à la fois de notre rapport  à la forêt, de la compréhension que nous en avons et des perspectives avec un énoncé de pistes concrètes. Nous espérons que ce texte pourra servir à des actrices et acteurs de la transition écologique, que ce soit pour lancer et animer des débats ou pour enrichir leurs supports documentaires… Bonne lecture !

Notre rapport historique à la forêt…

Bien trop souvent la forêt est, à nos yeux, un espace extérieur aux humains (sauf pour quelques individus qui vont y vivre, en étant toisés comme des « originaux » par les « civilisés et modernes »).

Comme le soulignent Sébastien Jahan et Emmanuel Dion (Le peuple de la forêt, 2003) l’Homme perçoit cet environnement sylvestre bien plus comme un espace frontalier et de voisinage que comme un milieu de vie à part entière. La forêt, zone de « prélèvement » régulier lui demeure essentiellement extérieure

Du monde sauvage que symbolise avec force la forêt, endroit sombre, inhospitalier, où vivent des fauves (et d’où surgit la bête du Gévaudan !), l’Humain en a une peur profonde. Comme d’ailleurs comme de tout ce qui est sauvage. Alors, elle doit être soit maintenue à plus grande distance, soit rasée, soit domestiquée !

Tout se passe comme si les humains (ou disons la plupart d’entre eux) avaient toujours considéré la forêt comme un élément terrestre sans rapport direct avec leurs origines, ou, à contrario, comme la parfaite représentation d’une « Nature originelle » foncièrement dangereuse, dont il devait à tout prix s’extraire et s’éloigner. Dans les deux cas, la forêt est un « autre monde ».

Aujourd’hui, le rapport qu’entretiennent les humains avec la forêt est plus que distendu. Si l’homo-technologicus sait discriminer des centaines de produits (des téléphones aux marques de vêtements, en passant parla multiplicité des « bagnoles que l’on adore »), il ne sait généralement pas différencier deux espèces d’arbres communs. Il faut donc bien le reconnaitre : la plupart d’entre nous ne savent pas ce qu’est une forêt (et nous nous incluons dans les ignorants, même si nous avons tenté de combler nos abyssales lacunes en rédigeant ce dossier).

L’homme ne descend pas du singe !

Il existe un lien ancien et profond, largement sous-estimé, entre « elle » et « nous ». Nous pouvons même dire que c’est la forêt qui nous a fait. Comme se plaît à le dire le paléoanthropologue Pascal Picq : « l’homme ne descend pas du singe, mais il descend de l’arbre » (Sciences et Avenir, 2020).

« Chevilles ultra-mobiles pour mieux grimper, gros cervelet autorisant une meilleure coordination dans l’espace mais aussi l’apparition de la conscience : notre anatomie a été forgée au fil de millions d’années de vie dans les arbres… avant de nous permettre de les quitter » (ibid). Pour nos lointains ancêtres, la forêt était un abri et un garde-manger, mais aussi une « matrice », un terrain de jeu évolutif qui, selon les études climatologiques, paléontologiques, a puissamment contribué à les façonner et à leur conférer des traits qui les distinguent franchement des autres mammifères.

Mais c’est quoi au juste, les forêts ?

Leur apparition résulte d’une (très) longue évolution. Les premiers végétaux (plus d’un milliard d’année en arrière) furent sans doute des algues vertes minuscules dans les océans. Puis, à partir d’elles, d’autres végétaux (proches des mousses) sont apparus sur la terre ferme (500 millions d’années). Les plantes se sont diversifiées avec des fougères et des plantes à graines. Les arbres sont alors apparus, à plusieurs reprises sans qu’une espèce d’arbre en particulier ne soit l’ancêtre des autres.

Les forêts d’hier et d’aujourd’hui se caractérisent d’abord par le fait d’être des écosystèmes complexes. Ce n’est nullement une série d’arbres « poussant les uns à côté des autres » ! Cet écosystème se structure à la fois verticalement et horizontalement. D’abord, plusieurs niveaux vont pouvoir être discernés à partir du sol : une première strate de mousses et champignons, une strate herbacée, une strate arbustive, puis la strate arborée (voir le site Louernos Nature). Horizontalement, la forêt va se constituer avec des sous-ensembles diversifiés : buissons denses, friches, clairières, marais, arbres morts, lisières… Ce qui va former autant de micro-systèmes. Ce sont les peuplements d’arbres qui vont structurer et rythmer la vie de l’ensemble : chimie du sol, filtration de la lumière jusqu’au sol, régulation de la température et de l’hygrométrie (taux d’humidité dans l’air).

Il faut encore rappeler que les facteurs écologiques qui vont déterminer la vie d’une forêt vont êtreles facteurs abiotiques (climat, composition chimique du sol…) et les facteurs biotiques (comme la prédation ou le parasitisme…). Le plus important étant de voir combien les interactions y sont multiples entre la faune et la flore (voir le site observatoire de la biodiversité des forêts). Ainsi, pour ne citer que quelques exemples, certaines fourmis vont vivre avec un acacia. L’arbre va leur donner refuge et nourriture. En « échange », les fourmis vont le défendre contre les prédateurs et les autres plantes. Autres exemples : le figuier sauvage va dépendre de la guêpe du figuier pour sa pollinisation. Ou encore, un puissant mutualisme va exister entre les arbres et les champignons (La vie secrète des arbres, Peter Wohlleben, 2017). C’est une association symbiotique que l’on appelle mycorhize. Les champignons se fixent sur les racines et développent des réseaux filamenteux à travers le sol. Ce faisant, ils vont accroître sensiblement la surface d’absorption des racines (d’un facteur 10 000 !). En retour, les arbres les nourrissent des sucres nécessaires. Les champignons vont former un véritable réseau de communication entre les arbres, qui vont alors pouvoir économiser leurs ressources et même venir en aide à d’autres arbres en difficulté.

Notre dernier exemple sera sur les loups, tant décriés par les « moderno-obscurantistes » de notre époque. Ils jouent un rôle extrêmement important pour les écosystèmes forestiers. Selon le WWF, et suite à étude wallone, lorsque les chasseurs tuent chaque année 50 000 animaux dans les forêts de cette région du monde, « ce sont autant de cadavres qui sont immédiatement enlevés (…). A contrario, les loups laissent leurs proies sur place. Cela crée une source de nourriture pour d’autres animaux, favorisant la biodiversité ». Avec les lynx, ils sont des régulateurs naturels des populations de mésoprédateurs (prédateurs se situant au milieu de la chaîne trophique, comme le renard, le chat sauvage, le blaireau…). Cela permet du même coup aux petits animaux de prospérer comme le tétras-lyre (le « petit coq de bruyère »). On observe également que lorsque les loups sont présents, ils attrapent principalement des proies faibles, âgées ou malades, ce qui renforce  la santé des populations d’herbivores en évitant notamment la propagation des maladies. Enfin, la présence du loup fait que les herbivores évitent les zones où ils auraient du mal à fuir, ce qui donne à la forêt la possibilité de se régénérer sans être piétinée en permanence.

Les forêts, un état des lieux

Dans le monde

La surface forestière mondiale est estimée par la FAO comme étant de 4,06 milliards d’hectares (31% de la surface totale des terres émergées). 

Dans leur article collectif, « Rapport sur l’état du climat 2023 : entrer en territoire inconnu », publié dans Bioscience (Oxford) en octobre 2023, douze chercheurs (dont William J. Ripple, et Johan Rockström), exposent des constats qui devraient toutes et tous nous alarmer au plus haut point.

Entre 2021 et 2022, le taux mondial de perte de la couverture arborée a diminué de 9,7% pour atteindre 22,8 millions d’hectares par an. Du côté de la forêt amazonienne brésilienne, son couvert a diminué de 11,3%. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’Humanité n’est pas sur la bonne voie pour mettre fin ou inverser la déforestation d’ici 2030, malgré les « engagements » pris par plus de cent dirigeants mondiaux en 2021 lors de la COP26.Pire, les forêts apparaissent de plus en plus menacées par de puissantes boucles de rétroaction climatique (effet de réactions en chaîne contribuant à accélérer la dégradation de la situation). Ces boucles impliquent des processus tels que les dégâts causés par les insectes, le dépérissement et les incendies de forêt, etc. Les  incendies de forêt record au Canada avaient brûlé 16,6 millions d’hectares au 13 septembre 2023 (Le bilan définitif indique 18,4 millions d’hectares). Ces incendies étant bien entendu, en partie, liés au changement climatique en cours.

Les opérations de déforestation ne diminuent pas (source), toujours en dépit des engagements internationaux. Depuis la COP26, une coalition d’organisations de la société civile publie chaque année une « Evaluation de la déclaration pour les forêts ».


En 2022, les auteurs reconnaissaient de « modestes progrès ». Mais en 2023, (23 octobre), la nouvelle évaluation ne confirmait pas ces avancées mais, au contraire, dénonçait un retour en arrière, avec une augmentation de 4% de la déforestation. Il faut également prendre en compte la « qualité » des forêts disparues. En effet, sur les 6,6 millions d’hectares perdus, 4,1 millions d’hectares étaient des forêts primaires, plus que précieuses pour le climat (car leur capacité à faire « puit carbone » est nettement plus élevée). Les forêts primaires sont aussi bien plus riches en biodiversité et dans leur fonction de régulation des cycles de l’eau. Ce sont les régions tropicales d’Amérique latine et des caraïbes, l’Indonésie, la Bolivie, la République Démocratique du Congo qui sont les plus impactées. La principale activité qui aggrave continuellement la situation est l’agriculture (le bétail, la culture du soja, l’huile de palme).

En Europe et en France, plus de surfaces mais pour quelle « qualité » ?

Selon la méthode d’inventaire de la FAO, les forêts s’étendent sur 160 millions d’hectares ce qui représente 39% de la superficie de l’Union mais seulement 4% des surfaces forestières mondiales. Notons que les six Etats disposant des plus grandes surfaces sont la Suède, la Finlande, l’Espagne, la France, l’Allemagne et la Pologne (les 2/3 de l’ensemble des forêts européennes, source).

Dans un contexte mondial de recul des surfaces forestières, les forêts européennes, à l’inverse, sont en expansion continue. Leur superficie s’est accrue d’environ 11 millions d’hectares entre 1990 et 2010 (près de 10 % d’augmentation sur la période) sous l’effet, en particulier, de son expansion naturelle et des efforts de boisement (source).De plus, environ 37,5 millions d’hectares de forêt (soit 23 % des forêts européennes) appartiennent au réseau Natura 2000 de protection de la nature, mis en place dans le cadre de la politique environnementale de l’Union, et représentent 30 % des zones couvertes par le réseau.

En France métropolitaine, la forêt représente la quatrième surface d’Europe avec plus de 17 millions d’hectares, occupant 31 % de sa superficie (source). Contrairement à une idée reçue, ces surfaces forestières progressent continuellement depuis le milieu du XIXème siècle. Actuellement, cette progression est évaluée à quelques 80 000 hectares supplémentaires par an, ce qui représente, pour se donner une idée, un gros tiers de la surface d’un département comme celui du Rhône et un quinzième de la surface de la région Ile de France. 

Ce n’est pas extraordinaire mais, comme l’explique l’historienne Martine Chalvet, « Le mouvement de recul s’est inversé avec l’abandon du charbon de bois, l’utilisation d’autres moyens de chauffage et d’autres matériaux de construction » (source).

Mais le nombre d’hectares ne fait pas tout. Il y a de forts sujets d’inquiétudes sur la santé des forêts tant européennes que françaises. Une bonne partie de nos arbres ne sont guère en bonne santé : sur la période 2011 à 2019, leur mortalité, estimée à 10 millions de mètres cubes, s’est accrue de 35 % par rapport à la période précédente (source).

Selon l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) cette situation s’explique par les nombreuses « crises sanitaires liées à des conditions climatiques difficiles pour les arbres (succession de sécheresses) propices à l’expansion géographique de bioagresseurs, en particulier les insectes xylophages comme les scolytes ou les champignons comme la chalarose ». Le stress hydrique provoqué par la sécheresse impacte également leur croissance, en baisse de 8 % depuis dix ans (ibid). La variété des essences, non pas sur le territoire, mais au sein des forêts elles-mêmes, est un facteur important de menace. Selon le second rapport sur l’inventaire national des ressources génétiques forestières, près de la moitié de la forêt française est constituée de peuplements monospécifiques (1), soit 7,5 millions d’hectares. Si cet inventaire montre aussi que certaines espèces cohabitent souvent, les risques liés à cette monoculture sont solidement documentés. Cette dernière favorise la propagation des ravageurs et des agents pathogènes. Une méta-analyse de la littérature scientifique indique que, sur plus de 600 cas d’études, les insectes herbivores causent en moyenne 20 % de dégâts en plus dans les monocultures que sur les mêmes espèces d’arbres poussant dans des forêts mélangées (source). Par ailleurs, au risque sanitaire viennent s’ajouter les dégâts d’origine abiotique (c’est-à-dire non liés au vivant) causés par le vent, le feu ou la sécheresse.

Les recherches sont plus récentes et, de fait, moins solides que dans le cas des ravageurs, mais plusieurs éléments suggèrent que les forêts mélangées seraient plus résistantes et plus résilientes (elles se remettraient plus vite après une perturbation) que les monocultures. « Ainsi, les feux de forêt se propagent plus facilement dans les forêts dominées par les conifères que dans les forêts mélangées associant des conifères à des essences feuillues, moins inflammables » (ibid).

Les mêmes observations et conclusions sont faites par rapport au vent : les forêts mélangées semblent généralement plus résistantes quand elles associent des conifères et des feuillus. Le phénomène est plus contrasté en cas de sécheresses : en fonction des régions et des situations, certaines essences semblent bénéficier du mélange, d’autres non.

Quand le scolyte décime
les bois du Morvan

Les forêts et leur importance pour le climat

En plus d’être essentielles pour la biodiversité, pour préserver les ressources en eau, optimiser la qualité de l’air et minimiser l’impact des catastrophes naturelles (glissements de terrain, coulées de boue, inondations), les forêts sont un élément clé du système climatique. Cependant la question du bilan carbone des forêts est un sujet complexe. Tout d’abord, il faut distinguer stock et flux.

Explications : lorsque la forêt pousse, la photosynthèse convertit le carbone minéral de l’atmosphère en carbone organique qui s’accumule alors dans les arbres (feuilles, branches, troncs, racines) et dans le sol (source). On estime que la photosynthèse des forêts « recycle » annuellement 5% du CO2 atmosphérique (source).

Une partie du carbone capté retourne au sol suite à la chute des feuilles et grâce au bois mort (la durée de décomposition du bois mort peut être de plusieurs dizaines d’années).

Par contre, le processus de décomposition de la litière libère du CO2 dans l’atmosphère sous l’action de bactéries et de micro-organismes. Une partie du carbone est également transformée en composés organiques immobilisés dans les couches de l’humus ou bien transférés dans le sol.

Si la forêt est en équilibre depuis de très nombreuses années (des siècles), les pertes de carbone liées à la mortalité des arbres les plus vieux ou dépérissants sont plus ou moins compensées par la pousse des jeunes arbres. Les forêts anciennes peuvent donc être des puits ou des sources, mais de faible intensité par unité de surface, en fonction des situations. La forêt n’est donc pas un « aspirateur automatique en continue à CO2 ».

Cela étant dit :

  • – si elle s’agrandit, sa biomasse va constituer un stock supplémentaire, donc être relativement en capacité d’absorber une partie des émissions anthropiques.
  • – Même si la biomasse totale (aérienne et souterraine) d’une forêt reste relativement stable, la forêt peut accumuler du carbone dans la couche de litière qui peut alimenter le réservoir de carbone du sol sur le long terme. Ainsi, la couche de litière et le sol représentent des termes importants du bilan de carbone des forêts boréales, car le taux de décomposition y est faible(ibid).

Si les calculs sont encore empreints de grandes incertitudes, nous estimons aujourd’hui que la vitesse d’augmentation de l’effet de serre et le changement climatique associé seraient 1,5 fois plus rapide sans le rôle joué par les forêts (ibid).

Quel chiffrage pour les capacités de captation carbone ?

Les débats sur la question sont nombreux et contradictoires. Néanmoins, des recherches nous permettent de connaître de mieux en mieux ces capacités d’absorption. Par exemples, depuis 1996, des scientifiques mesurent et analysent les flux d’eau, d’énergie et de CO2 d’une jeune hêtraie (35 ans) en Moselle. Ce site est équipé d’une tour et d’échafaudages pour effectuer les mesures. Les chercheurs ont montré que cette forêt capture le carbone atmosphérique dans une fourchette de 2 à 4 tonnes de carbone par hectare et par an selon les années.

Cette variation dépend des conditions climatiques et de la gestion forestière. Les études de l’Ademe et de l’IGN, en 2019, estimaient que les forêts françaises stockaient 4,8 teqCO2 (tonnes d’équivalent CO2) par hectare et par an (ce qui représente 4,8 / 3,666 =  1,3 tC/h (2).

Planter des arbres ne suffira pas pour « esquiver » la sobriété !

Le discours de la « compensation » est désormais bien connu. Etats et grandes entreprises, plutôt que de réduire leurs émissions à la source, promettent de planter de grandes quantités d’arbres pour compenser leurs activités émettrices de gaz à effet de serre.

Mais quelques petits calculs simples, à partir des données précédentes, suffisent à déconstruire ce discours.

Si l’on retient une capacité de captation carbone de 4,8 teqCO2 par hectare et par an (et encore, sans tenir compte que cette capacité à tendance à baisser lourdement (3), il faudrait 11 milliards d’hectares de forêts (en bonne santé) pour absorber l’ensemble de nos émissions actuelles (52,8 milliards de tonnes en 2021, source PNUE). Comme les forêts couvrent actuellement 4 milliards d’hectares, il faudrait donc… 7 milliards d’hectares de forêts supplémentaires !Ce qui bien entendu est absurde puisque la surface totale émergée des continents est de… 14,8 milliards d’hectares. Néanmoins, si l’on se place dans une perspective de réduction drastique de nos émissions, le développement de nos forêts permettrait effectivement d’absorber une partie importante de nos « émissions résiduelles » (celles que nous ne pourrons pas éliminer).

Et maintenant, qu’allons-nous faire ?

Si la compensation est une parfaite escroquerie (et un « écoblanchiment), étendre la superficie de nos forêts demeure un impératif et une urgence. Mais « planter des arbres » n’est pas une opération aussi simple que cela et un écosystème aussi complexe que celui des forêts ne se reconstitue pas en un claquement de doigts !Un excellent article de Benjamin Neimark de 2018 (The Conversation), résume bien cet aspect du problème : « Au cours d’un processus de reforestation ou de reboisement, des décisions doivent être prises quant aux essences que l’on s’apprête à replanter : natives ou exotiques, polyvalentes ou à croissance rapide, forêts qui se régénèrent naturellement ou non. Or de tels choix, essentiels, font parfois l’objet de mauvaises évaluations, notamment dans la sélection des espèces. L’eucalyptus constitue ici un exemple édifiant. Souvent choisi pour sa croissance éclair et sa rentabilité économique, cet arbre est généralement planté sur des terres où il est totalement exotique et qui ne sont pas aptes à l’accueillir. Requérant des quantités d’eau considérables, il assèche alors les nappes phréatiques et entre en compétition avec les espèces locales. ». Et de rajouter : « En Europe, le remplacement des chênes natifs à larges feuilles par des conifères à croissance rapide a entraîné une augmentation de 10 % du couvert forestier sur le continent par rapport à l’ère préindustrielle. Ces nouveaux arbres absorbent toutefois nettement moins bien le carbone que les espèces originelles. En revanche, ils capturent plus efficacement la chaleur, intensifiant ainsi les effets du réchauffement climatique. Replanter des arbres à l’aveugle peut donc, de toute évidence, être la source de nouveaux problèmes ».

Il va falloir aider la forêt si l’on veut qu’elle nous aide…

Nous avons tellement déréglé nos écosystèmes, et donc mis les forêts en danger, que jouer aujourd’hui la carte d’un « laisser la forêt se régénérer naturellement » est une pure vue de l’esprit. Cependant, des pistes concrètes existent pour structurer ce qui serait une nouvelle « politique de la forêt ». En voici quelques-unes, sans prétendre à l’exhaustivité…

« Renforcer » les zones Natura 2000

Les zones Natura 2000 sont des outils de la politique européenne pour la préservation de la biodiversité. Il existe deux types de zones : les zones de protection spéciale, ZPS. Elles visent à protéger les espèces d’oiseaux, et leurs sites de nidification ;  les zones spéciales de conservation, ZSC. Leur but est de protéger les habitats naturels rares ou fragiles présents sur le territoire européen.

En Europe, le réseau représente 27 522 sites et couvre 18 % des terres et 6 % de la zone économique exclusive.

En mai 2022, la France compte 1756 sites, couvrant près de 13 % du territoire terrestre métropolitain et 35,7 %  dela zone économique exclusive métropolitaine Mais le sujet ne se réduit pas à une question de surfaces. Il s’agit de savoir ce qui est possible ou non dans ces zones. A noter qu’un décret de novembre 2022 stipule que l’encadrement arrêté par les préfets est « sans préjudice de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques dans le cadre de la lutte obligatoire ou de dérogations spécifiques octroyées conformément à la réglementation« . Début 2023, la Fédération Nationale de l’Environnement (FNE) lançait une nouvelle action en justice pour enfin répondre à l’obligation européenne de réduire drastiquement l’utilisation des pesticides dans les sites Natura 2000… La route est encore longue ! Concernant les surfaces forestières, elles représentent environ 3,3 millions d’hectares soit tout de même 19% de la forêt française (chiffres 2018). Pour notre part, nous défendons le concept de zones entières à « réensauvager », avec une surveillance et des interventions humaines de protection, mais à interdire aux habitations et à la circulation…

Renforcer radicalement les moyens de lutte contre les incendies

Vous avez peut-être entendu ici ou là, certains prétendre que les forêts ont aussi besoin des feux pour se régénérer. La foudre a toujours déclenché des incendies et l’on peut effectivement dire que les incendies vont libérer de précieux éléments nutritifs présents dans la litière du parterre forestier. Ils vont aussi créer des ouvertures permettant à la lumière d’atteindre le sol, ce qui stimule la croissance de nouveaux arbres. Tout cela est vrai…si l’on raisonne dans un cadre hors intervention humaines. Or, comme nous l’avons vu précédemment, les forêts monospécifiques n’ont rien de « naturel » et sont bien plus vulnérables que de « vraies » forêts mélangeant conifères et feuillus.

Et surtout, il faut redire qu’actuellement, en France, 90% des incendies ne sont pas causés par la foudre mais par les humains !Cela signifie qu’il faut renforcer comme jamais les moyens pour lutter contre les incendies, ce qui passe par la prévention, l’entretien, la surveillance, la détection et des capacités d’intervention adéquates (en juillet 2022, seulement 12 canadairs étaient en service, dont 4 étaient non opérationnelles !).

Organiser des filières intelligentes de la gestion du bois

Faire des coupes pour du bois de chauffage n’est pas vraiment une excellent idée ! Car la durée de stockage carbone est alors réduite au minimum. Il est bien plus pertinent de privilégier l’usage de bois de construction.

Comme l’explique Jean-Pierre Wigneron,Philippe Ciais et Pascal Combemorel dans un article collectif, « Une forêt bien gérée qui est coupée régulièrement par placettes aura un stock de biomasse relativement stable dans le temps, sauf si la gestion tend à augmenter la densité des peuplements. Mais une telle forêt peut également constituer un puits de carbone si les coupes servent à fabriquer des produits durables tels que des éléments de l’habitat (charpente, revêtement, mobilier) ». Bien entendu, ce bois n’est pas éternel, « et, à terme, ces produits vont alimenter le stock de carbone atmosphérique ». Mais « ils peuvent présenter un effet retardateur de plusieurs dizaines d’années ». Ensuite, nous rajouterons que la récupération de bois de construction peut ensuite servir pour des meubles, des emballages etc. L’usage pour le chauffage devrait se faire en ultime recours, uniquement pour les sous-produits qui n’ont pas d’autres usages.

Expérimenter et innover

Là, il ne s’agit pas d’innovation technologique illusoire, mais de mener des actions pour développer par exemple les arbres oxalogènes ou les forêts Miyawaki. De quoi s’agit-il ? Pour les arbres à fortes capacités de captation carbone, une étude européenne a mis en avant les arbres dits oxalogènes comme l’iroko que l’on trouve en Côte d’ivoire et au Cameroun.  Ces arbres transforment le CO2 en une dalle de calcaire sous le sol. En utilisant cette propriété qui améliore également la qualité des sols, ils peuvent être utilisés dans des projets novateurs d’agroforesterie. Par exemple, en s’appuyant sur ce principe, l’association Biomimicry Europa et le cabinet Grennloup ont créé le projet Arbres sauveurs en Haïti dont le but est de mettre en place un programme de reforestation et d’agriculture autour du noyer maya, un arbre que l’on trouve en Amérique centrale. Pour ce qui concerne Akira Miyawaki, c’est un botaniste japonais de 90 ans aujourd’hui, expert en biologie végétale et professeur à l’université nationale de Yokohama. Il a élaboré et mis en pratique la méthode de reforestation « senzai shizen shokysei », soit la « végétation potentielle naturelle » (voir ICI).

Comme nous expliquent nos amis de « semeurs de forêts », « Ce dispositif se décline en plusieurs étapes. Une sélection est faite au sein d’une variété de plantes indigènes d’une région. Les graines sont ensuite plantées et mises à germer dans des pépinières. Lorsque les plants ont un ou deux ans, ils sont replantés sur des terrains préparés. Les sols qui en ont besoin sont amendés en amont avec des matières naturelles (écorces, mulch…). L’idée étant d’augmenter leur fertilité et de mettre en place le maximum de conditions bénéfiques pour les arbres qui y seront plantés. Une sélection de nombreuses essences sur chaque parcelle (entre 30 et 40 essences différentes natives dans la même zone) est proposée, afin de maximiser la biodiversité qui pourra s’y installer. Les essences vont de l’arbuste des bocages aux arbres de canopée pour une occupation optimale de l’espace vertical et un plus grand stockage de carbone. Cette biodiversité évoluera ensuite au fil du temps, à mesure que les successions végétales s’installeront ». Le grand avantage de cette méthode est d’être très facilement accessible aux citoyens.

Nous aurions encore mille choses à écrire, mais il est temps de poser les dernières lignes de ce dossier.

Les forêts sont notre futur. Alors, n’hésitez pas à les redécouvrir et à vous mobiliser pour leur défense !

Et si vous souhaitez soutenir un très beau projet, il existe celui de l’association « Francis Hallé ».C’est un projet un peu fou (et c’est pour cela qu’il nous plait !) : faire renaitre une forêt primaire en Europe de l’Ouest, sur 70 000 hectares. Actuellement, 4800 personnes soutiennent le projet et vous pouvez accéder à toutes les informations ICI

Régis Dauxois

(1) Les peuplements monospécifiques de feuillus et conifères sont des peuplements où l’essence principale n’atteint pas 75 % du couvert libre relatif mais dépasse 50 %, et où aucune des autres essences n’atteint le seuil de recensabilité de 15 %.  Définition IGN.

(2)  Pour convertir un nombre exprimé en GtC en Gt de CO2, il faut le multiplier par 3,666 (M(CO2)/M(C) = (12 + 2 × 16)/12 = 3,666

(3) Mais la séquestration de carbone a baissé de moitié au cours de la dernière décennie, comme l’a relevé le Haut conseil pour le climat dans son dernier rapport. Il évoque trois facteurs principaux : l’augmentation de la mortalité des arbres, la hausse des prélèvements et la diminution de la production biologique. « Il y a une saturation parce que les forêts deviennent plus matures », précise Philippe Ciais.

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