FAIRE DU COLLECTIF… Et fédérer !

Face à la rupture écologique et catastrophique majeure que nous commençons à vivre très concrètement, face aux impacts dévastateurs du réchauffement climatique global, à l’effondrement de la biodiversité et à des pollutions tous azimuts, les « petits gestes » – s’ils sont nécessaires – sont néanmoins très loin de suffire.

On estime couramment que ces actes quotidiens individuels ne représentent qu’à peine ¼ de la solution. Et les ¾ restants ? Ce sont des actions collectives, politiques et sociales : des réaménagements de nos territoires, le développement des transports collectifs, une profonde refondation de notre « modèle » agricole actuel, un changement de régime alimentaire, le développement des énergies renouvelables, des réorientations radicales dans nos techniques de constructions des bâtiments et dans notre façon d’habiter la Terre et d’occuper les espaces, etc. 

Sans oublier qu’il nous faut rapidement augmenter nos degrés de résiliences territoriales, c’est-à-dire nos capacités à nous remettre des « chocs ». Il y a les évènements météorologiques extrêmes mais aussi leurs conséquences indirectes, comme la fissuration des habitats sur les sols argileux ou bien… un crash économique déclenché par l’accroissement des coûts engendrés par lesdites dévastations.

Dans notre contexte d’urgence, il nous faut penser à redonner de la force au collectif, car personne ne peut se préparer individuellement aux bouleversements prévisibles. Nous ne pouvons compter que sur le lien social et l’entraide, des notions et des pratiques malheureusement bien mises à mal dans notre société d’exclusion, d’égoïsme et d’inégalités.

Une fois cela dit…  c’est encore insuffisant ! Car il s’agirait, pour bien faire, d’aller au-delà du simple collectif (qui renvoie au local).  On peut s’investir dans un groupe, une coopérative, une association, un tiers lieu, une Amap. On peut créer un café récup ou un fab lab, on peut créer une ferme alternative, un espace d’accueil pour les migrant.es, etc. Et tout cela va bien entendu dans le bon sens !

Mais nous ne pourrons être à la hauteur des enjeux qu’à la condition de penser plus grand et plus « puissant ».

En effet, si toutes ces remarquables initiatives ne se fédèrent pas, elles risquent fort, à partir du moment où elles deviendront réellement gênantes (c’est-à-dire lorsqu’elles seront en mesure de menacer directement les intérêts de grands groupes de l’Energie ou de l’Agro-industrie pour ne citer qu’eux), d’être balayées, que ce soit par l’Etat (d’une violence désinhibée), par des sbires de grandes entreprises ou des milices d’extrême droite. L’Histoire nous fournit suffisamment d’exemples de ce type ! Penser plus grand revient par conséquent à envisager une pratique massive du fédéralisme.

Dans cette optique, et pour ce qui concerne le « segment » de l’activisme, les rencontres du Larzac en août 2023 ont été un moment capital. Durant ces quatre journées des « Résistantes », près de 150 collectifs est 7500 personnes étaient présent.es pour échanger et échafauder des stratégies. En est sorti un agenda militant chargé, pour de futures mobilisations.

Mais par ailleurs, la question du fédéralisme se pose aussi pour tous les groupements acteurs de la transition ou de la bifurcation écologique, quel que soit leur degré de « radicalité ». Chaque mois, nous découvrons de nouvelles réalisations sur le terrain, et elles s’accumulent à vitesse exponentielle. Bien souvent, ces faiseurs d’un nouveau monde, sous-estiment largement la portée de leur action. Et ils sont même surpris en découvrant l’ampleur réelle du mouvement « transitionneur » auquel ils participent (c’est le syndrome de la « tête dans le guidon » !).

Ces initiatives touchent à tous les secteurs : le transport, l’agriculture, l’artisanat, l’ingénierie et l’innovation bas carbone, mais aussi à l’énergie ou au financement (le nerf de la guerre)…

Poussons l’imaginaire encore plus loin : aujourd’hui, nous avons tout le potentiel pour réaliser, à l’échelle de petits territoires, des Archipels, notion chère à A. Damasio.

L’archipel est un concept quelque peu distinct de celui de biorégion (qui sous-tend à une délimitation d’un territoire via des critères écologiques relativement uniformes). Il est à entrevoir comme un écosystème humain générant de la résilience en étant plus autonome. Mais l’autonomie ne signifie pas « l’autarcie ». L’idée n’est donc pas de renoncer aux échanges et aux mutualisations d’infrastructures avec les autres archipels. L’intention est surtout de refaire société, dans une philosophie du Commun. Nous sommes convaincus que cela est à notre portée : opérer une redirection écologique radicale des territoires, pour voir naître un nouveau tissu économique, non basé sur le profit mais sur des principes citoyens, autogestionnaires et solidaires.

A terme, – mais cela prendra du temps ! – nous aurions des sortes de « réseaux économiques / militants » qui s’attelleraient  à :

  • Faciliter le rachat du foncier agricole pour contrer la financiarisation des exploitations et se réapproprier collectivement les terres,
  • Défendre et régénérer la biodiversité, en portant des projets de  réensauvagement,
  • Dynamiser l’éco-construction et la récupération des déchets du BTP,
  • Promouvoir une écoindustrie citoyenne constituée de petites unités de production pour des produits manufacturés, construction d’outillages, etc.
  • Booster la recherche pour des techniques innovantes (en bio mimétisme par exemple)
  •  Développer l’Energie citoyenne, au lieu de laisser la place aux grands groupes avides de profits et qui n’entrevoient la transition énergétique qu’à coup de méga parcs éoliens ou solaires…
  • Etendre les mobilités douces et bas carbone, avec, par exemple, la création de coopératives de véhicules partagés, du covoiturage solidaire,
  •  Repenser jusqu’à notre manière d’habiter cette terre, en misant et en redessinant les petites villes et villages à l’instar du « mouvement des villes en transition » inspiré par Rob Hopkins,  
  • Réfléchir à l’abandon de « l’urbain », pour en finir avec ces villes tentaculaires qui ne pourront jamais réellement se transformer, tant les rapports y sont complexes et « autobloquants ». Ou à sa transformation radicale (au point où les « villes » de demain n’auraient plus grand chose à voir avec celles d’aujourd’hui).

Tout cela peut se faire via des stratégies d’actions extrêmement diversifiées :

  • par l’action revendicative et la mobilisation populaire,
  • par la conquête de Conseils municipaux,
  • par l’initiative directe « économico-militante » portée par des personnes en bifurcation professionnelle dans une visée de transition écologique,  ce qui va de la création d’une coopérative d’activité à la création d’une ferme partagée en passant par des ateliers de réparation, une imprimerie, une épicerie bio participative ou encore une fabrique de textile en fibres naturelles !
  • par la coordination de réseaux d’acteurs multiples mettant leur force en commun et créant des synergies…

Pour tendre vers cela, il faut renforcer encore nos liens, nos canaux de communication. Nous sommes bien trop « dispersé.es », en « silos », « balkanisés » ! C’est en faisant réellement mouvement et en nous montrant collectivement bien plus précis sur les objectifs à atteindre, que nous parviendrons peut-être à convaincre toujours plus de personnes qu’il y a urgence à nous réinventer, ensemble !

Régis Dauxois, Septembre 2023 (modifié le 15 septembre 2024)

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