(Et tous les autres !)
Dans un monde en furie, nous sommes des millions à être plus « qu’inquiets » (le mot est bien trop faible !). Certaines et certains renoncent même à toute perspective de parentalité. C’est une question qui relève du choix de vie de chacun, et personne ne peut s’ériger en directeur de conscience. Ce qui nous préoccupe ici, c’est ce que nous pouvons faire aujourd’hui pour préparer au mieux nos enfants aux défis que posent l’Anthropocène et les crises de toute nature qui vont se succéder. Nous savons bien que « leur assurer la sécurité pour l’avenir » est chose impossible. Les risques sont désormais trop grands. Pour rappel, les 1,5° C seront certainement franchis avant 2040 voir avant 2030, et les 2° C sans doute avant 2050, au rythme où nous allons. Nous entrons donc dans un monde inconnu pour ce qui concerne ne serait-ce que le climat. A cela il faut en effet rajouter l’effondrement de la biodiversité et les pollutions multiples.

Une partie de nos « plus grands » sont déjà dans la lutte. Ils/elles ont entamé leur cheminement militant. Pour les plus jeunes, tout en nous adaptant toujours à leur âge et à leur personnalité, il est de notre responsabilité de trouver les bons discours, pour, d’un côté, ne pas nous montrer anxiogènes et, d’un autre côté, les préparer psychologiquement et culturellement aux bouleversements en cours et à venir. En sachant d’abord, qu’il n’existe aucun futur précis tracé d’avance (ce serait trop simple…) et qu’ensuite « préparer » ne veut pas dire, loin s’en faut, les « modeler » (ce qui est l’espoir vain de bien des parents). L’éducatif à l’Ere de l’Anthropocène (voir notre dossier sur le sujet) c’est leur fournir des outils (tant techniques qu’intellectuels et/ou émotionnels) pour qu’ils aient la possibilité se les approprier et de s’en servir. Alors, en parler avec nos enfants, oui. Mais c’est déjà une première difficulté. Car, « en parler »… Mais de quoi ?
Car tout dépend de notre propre approche du problème, du diagnostic personnel que nous posons (ou acceptons de poser ?) sur la situation.
Pour certain.es il n’y aurait que quelques efforts à faire (avec une série d’éco-gestes ?), – en rêvant tout éveillé d’un « développement durable » ! Pour d’autres, l’irréparable est déjà commis et nous allons vers une extinction certaine.
Ces deux approches ne sont pas les nôtres. Par contre, nous estimons avoir toutes les bonnes raisons de penser que nous vivons le début de la fin de ce monde, de cette civilisation, de ces modes de vie. Il y a un monde entier à réinventer dans une solidarité retrouvée de collectifs humains (ce que nous aimons parfois nommer les « archipels »).

Mais c’est là que les choses se corsent…
Car nous ne pouvons ni faire reposer toute cette responsabilité sur les épaules de nos descendant.es ni prétendre avoir les solutions « clés en mains ».
Dans le premier cas, nous serions sur un registre du type « c’est vous, les jeunes, qui avez l’avenir entre vos mains » et qui, en sous-entendu, allez réparer toutes les erreurs des générations précédentes (celles qui ont tout saccagé !).
Dans le second cas, nous serions dans une bien critiquable posture de « boomers », donneurs de leçons, bien peu crédibles (retour au point précédent !).
Encore une fois, tout dépend bien entendu de l’âge des « enfants » à qui nous parlons. Il y a les premières années où une sensibilisation, purement positive, basée par exemple sur la reconnexion à la nature, est possible et souhaitable. Il y a l’âge des premières discussions sérieuses où votre enfant revient de l’école en vous posant la question : « il y a untel qui a dit que c’était l’apocalypse, c’est quoi cette histoire de fin du monde, on est vraiment foutus ? » (histoire vraie…). Il y a l’âge des premières réflexions théoriques et politiques, et de l’engagement… Dans tous les cas, on ne pourra zapper la question, ce qui reviendrait à nous réfugier dans une forme de lâcheté. Lorsque les discussions critiques commencent, nul ne peut prétendre rester dans une neutralité politique et/ou une forme d’hypocrisie face au contenu des enseignements. Et justement, tout le problème est là ! Quand les programmes scolaires des collèges et lycées osent encore se référer à la notion de « développement durable » (notion totalement déconnectée du Réel), allons-nous accepter cela sans réagir ?
Ou, autre exemple, lorsqu’un sujet de bac (2022) est : « Vous montrerez que l’innovation peut aider à reculer les limites écologiques de la croissance », allons-nous tolérer cela encore longtemps ?
Ou encore, lorsque vous faites, en tant que parent d’élève, la proposition d’une « journée de la transition écologique», en suggérant des approches interdisciplinaires et la tenue d’une exposition, à réaliser par les élèves et ouvertes aux parents… Et que vous voyez l’école faire de la « résistance » (?), usant de toute la (très) lourde inertie de l’institution, pour écarter ce projet… Faut-il contenir sa colère ?
Pire encore, lorsqu’à cette occasion, vous entendez des enseignant.es vous répondre à l’unisson: « mais, cela va nous donner du travail en plus » (alors que l’intérêt pédagogique est pourtant évident et qu’il ne s’agit pas de faire plus mais de faire autrement)… Il devient extrêmement difficile de ne pas faire le procès du « corps enseignant » (malgré quelques exceptions) !
Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons rester les bras ballants et nous devons tout faire pour bouger les lignes… Mais si nous ne parvenons pas à bousculer les « habitudes » et adapter réellement les enseignements aux enjeux ? La réponse se trouve-t-elle dans la fuite ? La « désertion » pour faire de nouvelles écoles (privées), « alternatives » ?

Rien n’est moins sûr. Non seulement nous restons profondément attachés à la notion d’école publique (qui doit accueillir tous les élèves, et gratuitement), mais nous pensons que rien ne sert de faire quelques îlots appliquant des pédagogies adaptées si l’immense majorité des individus demeurent dans des écoles publiques (ou privées d’ailleurs), totalement, pardonnez-nous l’expression, « à la ramasse ». C’est un peu comme si nous nous contentions de créer des villages écologiques alors que nous laisserions l’industrie pétrolière multiplier les « bombes climatiques »…
Cela étant dit, nous pouvons aussi faire les deux : créer de nouvelles écoles (en nous défiant cependant des dérives parfois sectaires qui peuvent y être nombreuses – comme les écoles Steiner et leur anthroposophie…) et combattre pour transformer l’école publique. Là encore, nous avons besoin de tout le monde, sans imposer des choix.
Régis Dauxois, le 2 décembre 2023 (modifié le 15 septembre 2024)