La bifurcation écologique…

Çà commence quand ?

La synthèse du dernier cycle d’évaluation du GIEC est sans ambiguïté, les émissions de gaz à effet de serre ne diminuent pas : « Les émissions mondiales de gaz à effet de serre ont continué d’augmenter au cours de la période 2010-2019, avec des contributions historiques et continues inégales résultant de l’utilisation non durable de l’énergie, de l’utilisation des terres et du changement d’affectation des terres, des modes de vie et des modes de consommation et de production dans les régions, entre et au sein des pays, et entre individus (confiance élevée). » (p 6 de la synthèse).

Et encore : « Les émissions nettes de GES ont augmenté depuis 2010 dans tous les principaux secteurs (confiance élevée) » (p 10). Au moment de la (lamentable) COP 27 en novembre 2022, le Global Carbon Project (GCP, réseau scientifique international) avait présenté ses conclusions, allant dans le même sens : les émissions de gaz à effet de serre sur le globe ne freinent pas. Selon lui, « il n’existe aucun signe » des réductions urgentes d’émissions de CO2 nécessaires pour mettre fin à la dégradation du climat. S’il y a une légère, très légère baisse lorsque l’on compare 2022 à 2019, elle est quasi insignifiante. Toujours d’après les estimations du GCP, les émissions totales de CO2 seraient de 40,6 milliards de tonnes en 2022 alors qu’elles étaient de 40,9 en 2019. Mais elles sont en hausse de 1% par rapport à 2021 alors qu’elles devraient baisser de 4 ou 5% par an (au moins de 6% pour la France !) pour viser à une neutralité carbone d’ici 2050.

La trajectoire est donc suicidaire et, sans sursaut, nous nous dirigeons droit vers l’enfer climatique, pour reprendre l’expression d’Antonio Guterres, le secrétaire Général de l’ONU.
Cependant, face à l’irresponsabilité criminelle des gouvernements, les initiatives se multiplient à vitesse exponentielle (c’est le principe « action / réaction » !). En recomposant des solidarités et des espaces de (relatives) « autonomies », elles forment les premiers soubassements qui préfigurent l’émergence d’un nouveau tissu social, économique et politique. Et seuls ces nouveaux assemblages pourront nous permettre de traverser les épreuves catastrophiques et de réellement bifurquer.

Actrices et acteurs de la transition / bifurcation, nous devrions toutes et tous nous poser ces questions essentielles : comment allons-nous pouvoir nous entraider efficacement ? Quels réseaux construire ? Comment mieux nous coordonner ? Mettre en commun nos expériences, nos savoirs, nos outils, nos moyens, nos énergies ? Certes, cela n’est pas simple lorsque l’on est déjà la « tête dans le guidon » en assurant le fonctionnement et le développement de nos propres collectifs. C’est pourquoi nous avons décidé, à Récits, de nous y coller !
Reste l’obsédante question : comment tout cela va-t-il tourner ? Il est bien entendu impossible de répondre à cette question, puisque, par définition, on ne peut connaitre l’Histoire qu’après coup. Par contre, nous savons ce que nous avons à faire, pour nous et pour nos gosses. Et ce n’est pas rien, c’est même un vaste programme ! Car il ne s’agit pas « seulement » d’une révolution qui serait politique et sociale.

C’est l’ensemble d’un mode de vie qui doit être profondément chamboulé, revu et repensé de A à Z.
Que ce soit sur les transports, l’habitat, le travail, l’alimentation, les objets que nous fabriquons, l’énergie, la place que nous occupons sur cette planète…
Ce n’est donc pas une dispute sur les « petits gestes individuels ». Nous savons bien que ces changements d’habitudes personnelles (de consommation, tri des déchets, rapport au numérique) ne représentent qu’à peine un quart, voire beaucoup moins, de la « solution ».
C’est d’une réorganisation globale dont nous avons besoin, en termes de redirection écologique des territoires. Et quand nous parlons de cette redirection, ce n’est pas seulement pour revoir un plan d’occupation des sols, un agencement de nos infrastructures et de nos bâtis. Ce n’est pas uniquement pour développer une agriculture sans pesticides, réaliser un nombre « x » de rénovations thermiques ou produire tant de TWh…

La réponse n’est pas une série de froides actions techniques. C’est plus que cela. Dans une logique systémique, c’est repenser l’inscription des communautés humaines dans leur « environnement » naturel ET refonder nos relations interculturelles (il y a du boulot !).

Dit autrement, c’est cesser de vouloir tordre ce qui constitue nos biotopes à notre volonté démesurée d’humains, en massacrant la biocénose (les êtres vivants qui composent ces écosystèmes). C’est prendre conscience que nous sommes des êtres
vivants parmi d’autres êtres vivants, qui ont autant le droit que nous d’être ici (n’en déplaise à celles et ceux qui revendiquent aujourd’hui des tirs « ciblés » sur les loups). C’est arrêter de penser le bonheur comme une accumulation d’objets, une « victoire »
dans la compétition, une « réussite personnelle » (?), mais le trouver dans un registre bien plus « contemplatif » et poétique (sans virer au mystique !), ainsi que dans le lien avec les autres, en concevant et en ressentant autrement nos relations interhumaines.
C’est donc sans doute une affaire de sensibilité, de posture philosophique, plus que de calculs d’ingénieurs. Même si ces calculs, et nous en avons fait beaucoup, sont incontournables pour tracer des prospectives techniquement réalisables.
Pour nos gamins, c’est revoir de suite le système dit « éducatif » dont le contenu ne répond en rien aux enjeux du changement de civilisation à opérer (et vite !). Les institutions scolaires n’élèvent pas nos enfants au sens étymologique, d’éducere, « tirer hors de », « conduire vers ». Elles continuent à les conditionner comme si tout allait continuer comme avant.
C’est leur offrir, via les réseaux que nous construisons patiemment, la possibilité de futurs ancrages et d’aires de résilience.
C’est tout ce que nous pouvons faire pour eux, mais nous allons le faire !

Régis Dauxois, novembre 2023

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