« Adaptez-vous » qu’ils disaient…
Oui, mais pas sans changer radicalement
Les politiques d’adaptation au changement global (réchauffement et dérèglement climatique, effondrement de la biodiversité, pollutions à des niveaux insupportables…) sont sans aucun doute inévitables, tant les impacts sont déjà bien visibles et s’aggravent d’année en année !

Seulement voilà… En raison notamment du fait que nous soyons très (très) loin d’un « diagnostic partagé », et à l’instar des actions d’atténuation (celles qui sont censées prendre le problème à la racine), les politiques envisagées pour ladite adaptation ne sont ni suffisantes ni cohérentes.
Le 8 février dernier, Bruno le Maire et Christophe Béchu réunissaient un parterre de représentants « des filières économiques les plus exposées au changement climatique » (sic) ainsi que des représentants d’organisations patronales et syndicales. Nos deux éminents visionnaires ont annoncé le déblocage de 2 milliards d’euros, en prêts verts garantis par l’Etat « afin de faciliter l’adaptation des entreprises au changement climatique » (re-sic). Nous pourrions ergoter sur le montant, mais ce qui paraît le plus obscur dans cette affaire est la destination et l’utilisation de ces prêts. D’ailleurs, les ministres eux-mêmes ne semblaient pas trop savoir de quoi ils parlaient exactement !
Installer des climatiseurs ? Construire des digues sur les parkings ? Soyons sérieux, nous pouvons et devons penser des mesures d’adaptation à l’échelle des territoires, de façon systémique. Raisonner au niveau de l’entreprise, du moins sur le volet adaptation, c’est du travail de gribouille.
Vu la confusion ambiante, reprenons par le menu. Pour comprendre la question du financement des mutations nécessaires, nous avons, entre autres, les chiffres avancés par France Stratégie. A savoir, et seulement pour respecter les engagements actuels (et insuffisants) de la France, il faudrait investir quelques 100 milliards d’euros supplémentaires chaque année dans les énergies vertes, l’isolation thermique des bâtiments, le déploiement des infrastructures, etc. Pour bien saisir l’ampleur du problème, il faut aussi et surtout évoquer le coût des impacts. Une étude de février 2023, conduite par Sinonvirgule et financée par la MAIF, la MACIF et la Caisse des Dépôts a pour titre évocateur : « Peut-on assurer un monde qui s’effondre ? »… Ce qui a le mérite de la clarté : en aucun cas « l’Anthropocène ne doit être compris comme une simple aggravation ou accélération de tendances déjà observées par le passé : nous sommes aujourd’hui en rupture avec le climat et les équilibres terrestres du passé » (ibid). Selon la Fondation pour l’innovation Politique, citée par l’étude, il n’y a rien de « linéaire » dans la progression du nombre de catastrophes : « dans les années 1970, on recensait près de 50 catastrophes par an ; dans les années 1990 et 2000, ce chiffre a été multiplié par trois. Plus récemment, dans les années 2010, ce sont près de 200 catastrophes qui ont été recensées chaque année, soit quatre fois plus que 40 ans plus tôt. Ensuite, le coût de ces catastrophes croît rapidement : dans les années 1970, ce coût s’élevait à 24 milliards de dollars en moyenne chaque année ; dans les années 1990, ce coût a été multiplié par 5 et, au cours de la dernière décennie, par 8,8, jusqu’à atteindre 211 milliards de dégâts économiques en moyenne par an. Autrement dit, entre les années 1970 et les années 2010, le nombre de catastrophes naturelles a été multiplié par quatre, et le coût moyen qui leur est associé par 2,226 ».
Et en France « le coût des événements climatiques est passé d’une moyenne d’un peu plus de 1 milliard d’euros par an au début des années 1980 à une moyenne proche de 3 milliards d’euros au cours des dix dernières années ».
Toujours sur ce sujet, le rapport 2021 de France Assureurs estimait que le montant des sinistres suite aux événements « naturels » pourrait augmenter de 93 % ces 30 prochaines années pour atteindre 143 milliards d’euros en cumulé sur la période 2020 – 2050 (4,7 milliards d’euros par an !). Cela représente un surcoût de 69 milliards d’euros comparé aux trente dernières années (1989-2019). Le changement climatique seul contribuerait pour 35 % à cette hausse (24 Md€ de ces 69 Md€).
Nous pouvons ensuite nous intéresser à des segments de l’économie en particulier. Lorsque l’on travaille sur le sort des routes, les perspectives ne sont guère plus rassurantes (du moins si certain.es espèrent encore pouvoir les préserver en l’état et que « tout change pour que rien ne change »). Les rénovations rendues nécessaires par les dégâts causés par le changement climatique entraîneraient un surcoût de 5%, soit 22 Mds€ d’ici 2050 pour un scénario à +2°C (Carbone 4, 2021). Aucune étude récente et chiffré ne semble avoir été réalisée pour un scénario à + 4 degrés (dont l’ampleur des conséquences ne serait pas simplement du double).

Pour l’agriculture, et d’ici à 2050, le CGAAER prévoyait des surcoûts de 1 milliards d’euros par an pour l’accès à l’eau, 1 autre milliard annuel pour les aléas climatiques.
Ce ne sont donc pas les 2 petits milliards d’euros de « prêt verts », pour « s’adapter » (à quoi, comment, selon quel schéma directeur ?) qui vont pouvoir changer quoi que ce soit.
La question n’est donc plus de savoir si ce système économique (reposant sur la pure logique du profit, la confiance des « investisseurs » et des marchés…et un terrifiant déni) va pouvoir « tenir ». La question est plutôt de savoir quand il va connaître un crash. En sachant qu’un crash économique entraîne forcément un crash social et politique avec des mouvements de colère, de types insurrectionnels, sans véritables projets alternatifs construits et favorisant donc l’accès au pouvoir de gouvernements plus qu’autoritaires. Est-ce du catastrophisme ? De l’alarmisme ? Nous ne le pensons pas. Il nous faut donc bien « nous préparer », collectivement et non pas en mode « survivaliste individualiste », en regardant la réalité en face : il n’existera aucune forme d’adaptation qui nous permettra de continuer à vivre de la manière dont nous le faisons aujourd’hui. A nous d’inventer une nouvelle société, écologique, solidaire et viable.
Régis Dauxois, mars 2024