En visite dans le Nord-Pas-de-Calais le 4 janvier, le ministre de la Transition écologique a tenu des propos qui n’étaient pas sans rappeler ceux du Président de la République au sujet de la « crise climatique », en affirmant que « personne n’imaginait début décembre (…) qu’on aurait à nouveau un épisode de ce type ».
Et bien si, c’était imaginable (pluviométrie, nature et état des sols, remontée des nappes, etc.). Pire, cela n’a rien de surprenant. La question serait plutôt : comment peut-on croire, en 2024, que telle ou telle « catastrophe météo » n’est qu’un épisode passager qui ne risque pas de se reproduire dans les semaines suivantes ? Comment peut-on encore nié ainsi toutes les études concordantes, les travaux scientifiques, les mises en garde de centaines d’experts en gestion des risques territoriaux ? N’ont-ils pas encore compris que plus l’océan se réchauffe, plus l’évaporation est importante et plus l’atmosphère se charge en humidité, ce qui se traduit in fine par des phénomènes de pluies diluviennes, brutales ? Est-ce si difficile à comprendre ? Voir ICI.

Il en va de même pour le risque assurantiel. Voici des années que des alertes fortes sont lancées : le système assurantiel ne tiendra pas ! Et aujourd’hui, nous devrions être surpris par le fait que les assurances lâchent les communes (voir ICI) ? Pour rappel, nous en sommes au 6ème rapport (cycle d’évaluation) du GIEC, et le dernier document ne laisse aucun doute sur l’intensification de ces impacts (pour celles et ceux qui en auraient encore…).
Au lieu de regarder les choses en face, la plupart des médias, des responsables politiques et économiques, demeurent dans le déni, ou plus précisément nous servent un discours « canada dry » de transition écologique « douce ». Nous avons droit à tout, ou presque. Quand ce n’est pas la « faute aux autres » (cf notre article « Et la Chine ? Et les USA ? »), c’est la technologie qui va nous sauver (la fumeuse « captation du carbone » ou pire, la géoingénierie solaire…).
Le « backlash écologique » est là, et bien là.
Ou autrement dit « le retour de bâton » : plus la situation se dégrade, plus une partie de la population se mobilise, mais plus une autre fait tout pour « résister » (dans le mauvais sens du mot) ; plus le déni se renforce en s’appuyant sur un nombre impressionnant de « contre discours », de justification de l’inaction, ou d’anti écologisme primaire. Et puis, il y a les discours plus « pervers », de greenwashing, d’affirmation d’une préoccupation écologique, mais avec des « solutions » qui ne sont que de (très) dangereuses illusions. La récente « conférence du presse » du Président Emmanuel Macron en est un triste exemple.
Une baisse des émissions due à des choix politiques judicieux, vraiment ?
E. Macron s’est félicité du fait que nous « serions revenus sur la trajectoire des accords de Paris ». Etrange, puisque, en juin 2023, le Haut Conseil pour le Climat notait qu’avec « 2,7 % de recul en 2022, la baisse des émissions nationales se poursuit, mais à un rythme insuffisant pour atteindre les objectifs ».
E. Macron s’appuie sur une note du CITEPA (décembre 2023). Mais il faut rétablir la vérité : si le CITEPA a effectivement évoqué une baisse de 4,6%, sur les 9 premiers mois de l’année, il ne s’agit que des émissions territoriales et non pas de l’empreinte carbone (qui inclut les consommations de produits importés).
Si l’on considère l’empreinte carbone, celle-ci est 1,5 fois plus élevée que les émissions territoriales. Elle est en baisse, malgré un fort rebond sur l’année 2021. Si l’on compare l’année 2021 (604 Mt éqCO2) par rapport à l’année 2019 (618 Mt éqCO), cela représente – 2,26 %.
Mais il faut se méfier de ces estimations. Le HCC estime que la méthodologie du SDES (Service des données et études statistiques) conduit à les sous-estimer. Ne sont pris en compte ni la déforestation importée, ni les gaz fluorés et les traînées de condensation des avions alors que leur contribution est sans équivoque sur le réchauffement. Si l’on reprend la méthodologie du SDES de 2020 avant que celle-ci ne soit « révisée » à partir de 2021 (voir ICI), il s’avère que l’empreinte carbone pourrait être en hausse continue ! Ensuite, quand bien même il y aurait une baisse effective, celle-ci s’expliquerait bien plus par des facteurs conjoncturels que par des mesures structurelles : un hiver doux, la crise énergétique qui a forcé les ménages à faire des économies d’énergie (- 2,4% en 2023, voir ICI), un parc nucléaire plus opérationnel (c’est un constat, cela ne veut pas dire que nous considérons le nucléaire comme une solution)…
Encore le coup de « La croissance verte »…
Et notre Président de poursuivre : « Alors même que nous avons recréé deux millions d’emplois, que nous avons ouvert 300 usines en net, que l’on a commencé à réindustrialiser le pays, on a été deux fois plus vite sur la baisse des émissions.

Comme quoi ceux qui nous expliquent qu’il faudrait fermer telle ou telle activité pour respecter la trajectoire climat, ce n’est pas vrai ». Voilà une belle tentative pour tordre le cou aux idées de sobriété et de « décroissance » (du PIB, pas de la qualité de vie). Sauf que cette idée d’un découplage entre la croissance et les émissions de gaz à effet de serre, est un postulat purement idéologique. D’abord parce que le problème ne se réduit pas aux émissions mais que préserver la possibilité d’un futur vivable signifie la réduction drastique de notre empreinte écologique (notre impact global sur le climat, la biodiversité, les ressources).
Ensuite, parce que qu’une observation d’un léger « découplage » dans une localité du monde ne signifie strictement rien sur un découplage effectif à l’échelle mondiale (comme pour la nuance à faire entre émissions territoriales et empreinte carbone d’un pays). Toutes les études actuelles concluent à des découplages insuffisants, non pérennes dans le temps, localisés et très relatifs (lire Ralentir ou périr de Thimothée Parrique).
Alors que nous terminons de boucler ce numéro, le backlash dont nous parlions vient se confirmer par la suspension du plan écophyto et des dérogations sur les jachères, pourtant indispensables pour régénérer de la biodiversité…
« En marche »… Droit dans le mur ?
Régis Dauxois, février 2024