Géoingénierie… Mortelle esquive ?

Lors de la 28ème COP (2023), la « géoingénierie » fut largement à l’honneur. Il faut dire que dès les 2 et 3 mai 2023, lors du « Dialogue de Petersberg sur le climat » à Berlin, le sultan Ahmed Al-Jaber, qui allait, six mois plus tard, présider la COP28 (30 novembre au 12 décembre 2023 à Dubaï), soulignait déjà « la nécessité de développer les technologies de captage du CO2 », affirmant que « les énergies renouvelables ne sont pas et ne peuvent pas être la seule réponse ». Les choses étaient bien parties…

Nous avions (pour l’instant ?) échappé à la mise en avant de la géoingénierie par gestion des rayonnements solaires, mais pour rester néanmoins au niveau d’une illusion toute aussi dangereuse. Si le péril de la GRS n’est pas écarté (nous y reviendrons sans doute dans un dossier plus complet), voyons, pour commencer, ce en quoi consiste cette « captation carbone ».

Pour schématiser, le captage du CO2 peut être fait soit directement à partir de l’air ambiant (c’est la « Direct air capture and storage », DACS), soit « à la source » (le Carbon capture and storage, CCS). Dans le premier cas, certains rêvent en quelque sorte d’aspirateurs géants, d’usines brassant de l’air pour en extraire le CO2. Dans le second cas, l’objectif est non pas d’éliminer le carbone déjà émis, mais de réduire les émissions. Le CO2 serait capturé en sortie des infrastructures industrielles (voir en sortie des échappements des camions).

Mais qu’en est-il de l’opérationnalité de ces « solutions » ?

Disons-le tout net : le captage par « nettoyage » de l’air ambiant ne pourra jamais fonctionner, tant il est énergivore. Dans une étude publiée en août 2020 dans Nature Climate Change, des chercheurs ont estimé que pour extraire (seulement) 3 milliards de tonnes de CO2 par an (le monde en émet quelques 40 milliards !), les systèmes de DACS nécessiteraient l’équivalent de 115 % de la consommation actuelle de gaz.


En 2017, l’entreprise suisse Climeworks, qui a construit la première « usine aspirateur » en Islande, a annoncé une capacité de captage de 4000 tonnes par an.
Si l’on considère que les émissions de CO2 en 2022 s’élevaient à 36,8 milliards de tonnes (chiffres sous-évalué), il faudrait donc pas moins de 92 000 « Orca » (c’est le nom de la fumeuse usine), pour capter ne serait-ce que 1% des émissions anthropiques ! Sans compter que cela ne solutionnerait aucunement la masse de CO2 anthropique qui s’est accumulée dans notre atmosphère depuis des décennies.
Quand bien même nous déciderions de prendre au sérieux les promesses de nos docteurs Folamour concernant leur projet de seconde usine, avec une capacité de stockage portée à 36 000 tonnes par an, il faudrait 205 000 usines pour capter seulement
20 % des émissions annuelles ! Projet délirant donc, mais qui a permis à l’entreprise de réaliser de juteux bénéfices. Le dernier tour de force de l’entreprise étant d’avoir « capté »… l’attention du gouvernement américain qui va jeter par les fenêtres pas moins de 1,2 milliards d’euros pour construire deux installations, l’une au Texas et l’autre en Louisiane.

Quant au captage à la source, les choses sont un peu plus complexes.

Les CCS présentent une rentabilité plus solide en captant, en général, entre 50 et 70 % des émissions d’une usine. Mais le coût est lourd : en consommation d’eau, pollution des sols et des rivières, consommation d’énergie…
Et puis il y a ensuite le problème du stockage, car ce n’est pas le tout d’avoir intercepté une partie du CO2 qui s’enfuyait. Il faut le compresser, le transporter et surtout l’enfouir.
Les lieux de stockage sont des puits de pétrole ou de gaz épuisés, ou d’autres réservoirs géologiques naturels supposés étanches (les aquifères salins profonds, les veines de charbon non exploitables), vers lesquels le CO2 est acheminé via des gazoducs. À ce stade, les risques sont multiples : fuite au travers de failles, « migration » des volumes stockés vers des formations géologiques voisines, contamination des eaux souterraines, risque de provoquer des mouvements sismiques…
Bref, nous l’aurons compris, nos avides de dividendes et apôtres du « il faut que tout change pour que rien ne change », sont prêts à tout pour faire encore perdurer leur « civilisation » thermo-industrielle, pour nous faire miroiter un avenir dans lequel nous pourrions esquiver toutes ces fâcheuses et contrariantes perspectives d’un « changement de mode de vie global » ou d’une « horrible sobriété ».

Cependant, il nous reste un point à examiner. Si la géoingénierie du captage s’inscrit actuellement et sans nul doute dans une massive et internationale stratégie de greenwashing, il n’en reste pas moins qu’elle pourrait nous servir pour les émissions restantes.


Expliquons-nous : en supposant que nous parvenions à réussir une transition vers un « net zéro », c’est-à-dire une situation où toutes nos émissions d’origine humaine seraient absorbées par des puits carbone (c’est la « neutralité carbone »), il subsisterait ce que le GIEC appelle des émissions résiduelles. Quelques exemples : si nous avons encore besoin d’énergies fossiles pour transporter des éoliennes sortant de l’usine, ou pour alimenter une centrale thermique assurant l’équilibrage d’un réseau électrique, ou encore pour des sites servant à recycler des déchets verts et émettant du méthane (la technologie en question peut s’y appliquer), nous ne pouvons tabler sur les puits carbone naturels (forêts, prairies) vu la saturation relative prévisible et la baisse de capacité de stockage à venir de ces puits. Nous n’aurons donc pas d’autre choix que d’utiliser, à bon escient, des technologies de captage si nous voulons assurer la production de biens utiles et nécessaires au plus grand nombre, y compris en parallèle de pratiques de sobriété. Dans cette optique, les volumes stockés seraient beaucoup moindres que ceux envisagés aujourd’hui, nous permettant ainsi de sécuriser au maximum les conditions de stockage sur ce faible volume. Il reste à développer des recherches sur le sujet, mais dans une logique de véritable bifurcation. À suivre…

Régis Dauxois, Avril 2024

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