« Résiliences territoriales »… Quelles politiques et quelles actions ?

Le mot de « résilience » est de plus en plus utilisé, de façon souvent approximative. A l’origine, le terme est employé par le philosophe F. Bacon. Puis c’est la physique qui vient en faire la capacité de résistance d’un corps ou d’un matériau à un choc ou à une déformation. Ensuite, la notion est utilisée en psychologie, médiatisée en France par Boris Cyrulnik. Elle renvoie alors à tous les processus qui consistent, pour un individu, à surmonter un traumatisme psychologique afin de se reconstruire. Par extension, pour une organisation (qu’elle soit une entreprise, un groupe d’individus ou une société) la résilience est donc la capacité à s’adapter aux perturbations internes ou externes. On appelle cela la résilience organisationnelle. Idem pour une société entière ou une ville.

Ainsi, la « résilience urbaine » cherche à trouver une construction pluridisciplinaire de la ville (utilisant l’architecture, le design, l’éco-conception, la construction durable, l’urbanisme, la planification sanitaire, la gestion énergétique, etc.) qui permette aux systèmes urbains d’être plus adaptables, plus résistants aux crises écologiques, climatiques ou physiques. Nous voyons pointer le problème… La « résilience » peut alors être le sésame de toutes les politiques d’adaptation qui viseront… à éviter de s’attaquer aux causes !
Le récent discours du ministre de la transition écologique sur le fait de se préparer à vivre dans une France à « + 4° C » sonne comme un aveu de renoncement. Cela étant dit, il est bien entendu nécessaire de se préparer aux chocs, de natures multiples, car, de ce point de vue il est bien trop tard pour les éviter. Mais « être résilients » à ces chocs violents ne suffira pas à nous ouvrir la voie d’un futur viable et vivable. Pour le dire autrement, s’il nous faut impérativement et rapidement bâtir des politiques de résilience sur nos territoires, il nous faut aussi clairement dépasser ce qui ne peut être un « objectif ».

Mais à quoi pourraient ressembler des politiques de résiliences écologique sur nos territoires ?

En premier lieu, c’est une déconstruction de la façon dont « nous » avions l’habitude d’envisager l’aménagement desdits territoires, pour penser redirection. La discipline de l’aménagement du territoire a une « sale histoire » du point de vue écologique. Pendant longtemps, et d’ailleurs encore aujourd’hui, elle signifie – dans la plupart des cas – un développement en faveur de la croissance à tout prix, la construction de nouvelles surfaces commerciales, de nouvelles routes, autoroutes, aéroports…

Et puis, le but était aussi de renforcer l’attrait économique d’une région aux yeux du reste du monde ! Comme le souligne Patrick Fournier (1), « En France particulièrement, mais plus largement en Europe, l’aménagement est fréquemment associé aux politiques publiques qui ont accompagné la reconstruction à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Or les objectifs des actions menées dans ce cadre étaient principalement tournés vers le développement économique considéré comme le fondement de tout développement humain dans un cadre productiviste ».

En second lieu, nous semblons peu à peu nous rendre compte (avec des décennies de retard en la matière !) qu’il va nous falloir procéder à de nouveaux arbitrages non seulement entre les surfaces mobilisée par les activités humaines (les aires urbaines, rurales, rurbaines, industrielles, commerciales, résidentielles ; les aires agricoles, touristiques ; les transports et leurs terminaux…) mais aussi entre toutes ces surfaces occupées par l’humain et le milieu naturel perçu comme extérieur (notre « environnement »).

Cependant, et bien au-delà d’un arbitrage technicien, la problématique d’une redirection écologique des territoires doit prendre en compte plusieurs aspects et objectifs de transformations sociétaires : l’aspect productif, les surfaces nécessaires pour assurer ce dont nous avons besoin, l’aspect social, en visant à réduire les inégalités à tous les niveaux, l’aspect politique, par l’émergence de modes de gouvernance impliquant clairement les citoyens dans le devenir de leurs lieux de vie, de travail et de loisirs, l’aspect culturel, car vivre autrement, mieux, en produisant moins, implique l’élaboration d’un imaginaire et d’un récit porteur d’espoir et même d’enthousiasme.
Et au final, tout cela ne se fera pas sans construire de multiples réseaux de solidarité, d’entraide et de coopération, à tous les étages.

C’est bien sur cet axe que nous travaillons à Récits, car cette multitude d’initiatives prises sur le terrain (la vraie vie !), à savoir fermes partagées, fablabs, café alternatifs, Amap et circuits courts, néo artisanat, associations culturelles, entreprises bas carbone, écoresponsables et solidaires, tiers lieux, Eco lieux et éco hameaux, associations citoyennes, … sont – ou pourraient être – les structures socio-économiques locales d’une nouvelle société en gestation, post-thermo-industrielle et post-capitaliste.

Le « hic », c’est qu’il manque encore beaucoup de liens, de ponts, des réseaux de réseaux, de synergies, pour commencer à constituer un véritable nouveau tissu sociétaire. C’est ce tissu qui pourra conférer un degré de résilience suffisant : en repensant le design global d’un territoire pour prévenir les inondations, pour reconstituer à la fois des zones humides, stopper l’artificialisation des sols et même réensauvager une partie des terres, modifier radicalement les voies et modes de transport, révolutionner notre « modèle agricole », implanter des solutions énergétiques renouvelables (et pilotées démocratiquement par les citoyens sur le modèle de ce que fait « Energie partagée »), etc.

La résilience, l’authentique, pas celle d’une adaptation à courte vue, est à ce prix.
Et comme chacun sait, ce qui est important, ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage !

Régis Dauxois, avril 2023


(1) https://books.openedition.org/pur/44413?lang=fr

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