Les limites de la comédie du greenwashing

Ou pourquoi les antagonismes s’exacerbent…

Dans une auto-interview publiée sur le site de la méga firme, Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, n’hésite pas à déclarer : « Total a pris des mesures fortes pour réduire l’impact de ses activités ». Sauf que l’entreprise continue d’investir massivement dans de véritables bombes climatiques comme les 400 puits de forages en Ouganda, prolongés par la réalisation d’un pipeline chauffé à 50 °C (sur plus de 1 400 km jusqu’en Tanzanie). En octobre 2020, trois associations (Wild Legal, Sea Shepherd France et Darwin Climax Coalitions) ont porté plainte pour dénoncer son greenwashing et une enquête judiciaire a été ouverte contre le groupe pour « pratiques commerciales trompeuses ».
Plus récemment, trois autres associations (dont Greenpeace) ont également porté plainte au civil pour le même motif. Il faut aussi rajouter que selon ses propres documents Total prévoit une empreinte carbone totale à peine réduite d’ici 2030 (par rapport à 2015).

Ceci dit, le greenwashing est bien loin de se limiter au « monstre économique » précité !
Comme le rappellent les auteurs de « Greenwashing, manuel pour dépolluer le débat public », prenons l’exemple de la lutte contre les « passoires thermiques ». Elle fait généralement l’unanimité comme action écologique. Pourtant, telle que mise en œuvre aujourd’hui, avec des matériaux industriels fortement émissifs ainsi qu’en raison des impératifs de rentabilité primant sur la qualité, elle permet surtout d’alimenter la croissance du BTP et menace clairement d’être contreproductive.
Nous pouvons encore citer un dispositif qui a littéralement institutionnalisé le greenwashing : le marché carbone. A la suite du protocole de Kyoto, les Etats industriels et les industries fossiles instituent des « quotas carbone », autrement dit des droits à polluer, et donnent ainsi naissance à un véritable marché spéculatif. Au final, seuls 2% des échanges de crédits carbone ont eu pour effet de réduire les émissions !

Mais si le greenwashing fonctionne, c’est qu’il correspond aussi à une « demande sociale ». Il reste plus pratique de s’abriter dans une sorte de « conjuration du désespoir », au sens d’une pensée magique censée éloigner les démons, que d’accepter le diagnostic. Ce déni est partout. Sur les plateaux télévisés où des activistes du climat se font moqué.es. Sur votre lieu de travail lorsque les collègues préfèrent parler de leur prochain voyage en avion plutôt que de regarder en face l’actualité catastrophique et discuter de ce qu’ils/elles pourraient faire. Quand on vous vend de « l’avion vert », ou quand vous voyez passer devant vous un SUV électrique…

Néanmoins, il y a des limites à tout !

« Le déni socialement organisé de la catastrophe est régulièrement fissuré par les percées médiatiques des diagnostics brutaux sur l’ampleur du désastre » (ibid). Le greenwashing qui signe la malhonnêteté, le cynisme et l’irresponsabilité des dirigeants et des « puissants » ne va pas pouvoir franchir l’épreuve du principe de réalité. Dit autrement, les mensonges ont beau être gros, cela se voit, et de plus en plus.
C’est pourquoi les opinions se polarisent, les divergences s’aiguisent. Face au « danger » que représentent les mouvements écologistes pour la « réalité alternative » des dominants, les pouvoirs en place (pas seulement en France mais partout dans le monde) pratiquent crescendo les intimidations et la répression brutale. Une partie n’échappent pas aux caméras des médias mainstream. Mais le champ de la répression est encore plus profond. On ne compte plus les tentatives de bâillonnement dont les
associations et collectifs sont la cible. Il en va ainsi de cette petite association de protection de l’eau et de l’environnement dans les Deux-Sèvres, l’APIEEE qui vient de se voir retirer des subventions pour avoir, selon la préfecture « participé à l’organisation de la manifestation de Sainte-Soline », (ce qui est faux) et avoir « montré son soutien » au mouvement contre les méga bassines (ce qui est vrai). Ce sont encore les menaces, à peine déguisées et proférées à son encontre, que dénonce l’euro députée Caroline Roose. Des menaces émanant de représentants du syndicat des pêcheurs européens qui défend les intérêts de la pêche industrielle…
Des faits comme cela, nous les voyons de multiplier de jour en jour.
Signaux faibles ou signaux forts, ils signifient que face à l’urgence, face aux catastrophes déjà bien visibles, les antagonismes d’intérêts ne peuvent plus être dissimulés aussi facilement que dans les années qui ont suivi la COP21 (les accords de Paris, en 2015).
C’est maintenant que les actions et que les décisions politiques adéquates doivent être prises, car s’il est déjà trop tard pour éviter des impacts majeurs, il n’est pas trop tard pour éviter des centaines de millions de morts et l’extinction. Oui, nous en sommes bien là. Par conséquent, soit ces décisions sont prises, soit… elles ne le sont pas ! Soit les classes aisées sont taxées et lourdement mises à contribution pour financer les efforts de transition et d’adaptation (ou mieux encore, purement et simplement dépossédées de leur « surplus de richesses » !), soit elles ne le sont pas. Et dans le second cas – qui est largement le plus probable ! – c’est forcément l’échec.

Nous rentrons dans une période de grands troubles, où ce que nous nommons le « mouvement transitionneur » (au sens très large), va devoir trouver les moyens de dynamiser les initiatives de terrain, en créant partout des « expérimentations » collectives, des « archipels », pour reprendre la formule d’Alain Damasio. Il nous faut aussi progresser très vite pour mieux accompagner et faciliter les transitions, les bifurcations. Car bien trop d’initiatives ne se concrétisent pas, faute d’avoir trouvé les appuis, les « associé.es », les conseils avisés nécessaires. Mais nous ne pourrons le faire « tranquillement », en « parallèle » et indépendamment de ce qu’il se passe dans la société et sur le terrain politique, comme si nous pouvions simplement faire « sécession ». Quand les terres sont massacrées, notre air empoisonné, les océans vidés de leurs écosystèmes, quand les investissements dans les énergies fossiles se poursuivent, quand on essaye de nous illusionner sur la voiture électrique pour toutes/tous ou sur « l’avion vert », c’est une guerre qui est menée, contre le Vivant, contre nous, contre nos descendant.es. C’est pourquoi nous avons un impératif besoin de renforcer et de développer un puissant mouvement de résistance, y compris si cela signifie être cible de la répression d’Etat.

La récente décision du gouvernement d’interdire les « Soulèvements de la Terre » peut être qualifiée de déclaration de guerre non seulement aux mouvements écologistes, mais au mouvement social dans son ensemble.
Face aux fous, aux irresponsables, aux corrompus, aux avides de dividendes, aux réactionnaires ; face à la dérive ultra-autoritaire, au néo-post-fascisme (qui n’est plus un risque mais une réalité bien présente), il nous faut être unis et solidaires.

Régis Dauxois, juillet 2023

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