Anthropocène : l’ère des zoonoses 

Les Etats-Unis viennent d’annoncer une enveloppe de plus de 300 millions de dollars pour lutter contre la grippe aviaire (H5N1). Il faut dire que l’on comptabilise déjà 66 cas humains au cours de l’année 2024. Il s’agit de soutenir les programmes de préparation et de surveillance nationaux, étatiques et locaux, ainsi que la recherche médicale contre le virus.

Même si le ministre américain de la santé veut se montrer rassurant (en affirmant que « le risque pour l’Homme est faible »), il n’en reste pas moins que le niveau de circulation du virus est plus que préoccupant. D’autant plus s’il vient à se mélanger avec celui de la grippe, ce qui déclencherait une nouvelle pandémie. Par ailleurs, les autorités sanitaires américaines avaient annoncé fin décembre que le virus de la grippe aviaire avait muté dans l’organisme d’un patient pour s’adapter aux voies respiratoires humaines. Autre motif d’inquiétude, l’augmentation des cas de grippe aviaire chez les félins, ce qui pourrait exposer leur propriétaire.  

Quelques repères historiques

C’est en 1996 qu’une souche hautement pathogène de H5N1 est détectée dans un élevage d’oies (province du Guangdong en Chine). En 1997, une épidémie éclate à Hong Kong. Elle est la première à provoquer des infections humaines (18 cas, 6 décès). Les autorités procèdent à l’abattage massif de tous les poulets de la région pour contenir le virus. Le virus refait surface en 2003. Jusqu’à 2005, il se propage rapidement dans plusieurs pays d’Asie (Vietnam, Thaïlande, Indonésie, Cambodge. En 2005, il atteint des régions d’Europe, de Russie et du Moyen-Orient, touchant à la fois les oiseaux sauvages et domestiques. En 2006, le virus est détecté en Afrique, avec des cas confirmés au Nigeria. La France enregistre son premier cas d’infection par le H5N1 chez un canard sauvage trouvé mort dans l’Ain le 18 février 2006.

Entre 2007 et 2010, le H5N1 continue de circuler principalement en Asie (Vietnam, Indonésie, Égypte) et en Afrique (Nigéria, Égypte). Les foyers dans les élevages restent fréquents, nécessitant des abattages massifs pour contenir la maladie. Des cas humains sont rapportés, mais de façon très sporadique. Ils sont essentiellement liés à des contacts directs avec des volailles infectées.

De 2010 à 2015,  le virus se propage en Europe et en Amérique du Nord par l’intermédiaire des oiseaux migrateurs. En 2014, une souche dérivée du H5N1 (H5Nx) provoque une épidémie majeure en Amérique du Nord, affectant des millions de volailles.

De 2016 à 2020,  de nouvelles souches, hautement pathogènes apparaissent (comme le H5N8), qui causent des épidémies importantes chez les oiseaux en Europe, en Asie et en Afrique. Les cas humains restent rares, mais les foyers touchent de plus en plus la faune sauvage.

En 2021, le H5N1 est détecté chez des renards roux sauvages aux Pays-Bas.

En 2023, des cas humains rares mais préoccupants sont signalés en Amérique du Sud, liés à des contacts avec des oiseaux infectés. La même année, le virus est identifié pour la première fois en Antarctique.

Un taux de mortalité très élevé

Entre 2003 et 2007, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recense 349 cas humains confirmés de H5N1, dont 216 mortels, soit un taux de létalité d’environ 62%. Selon une étude (« Influenza viruses and the evolution of avian influenza virus H5N1 »), publiée dans le Journal of the American Osteopathic Association, le taux de létalité du H5N1 est estimé à environ 50 %, ce qui est 20 fois supérieur à celui de la pandémie de 1918, dont le taux était de 2,5 %.

Les vaccins ?

Des vaccins inactivés anti-H5N1 destinés à l’homme ont été mis au point et homologués dans plusieurs pays mais ils ne sont pas encore largement distribués, même si les choses devraient vraisemblablement évoluer. En juin 2024,  l’UE annonçait avoir conclu un contrat lui permettant d’acheter, au nom des Etats membres jusqu’à 665 000 doses d’un vaccin, sur une période de quatre ans auprès du laboratoire britannique Seqirus (le seul autorisé pour l’instant), ce contrat étant assorti d’une option pour possiblement 40 millions de doses supplémentaires.

Mais si ces vaccins ont la capacité de stimuler une réponse immunitaire (ils sont immunogènes), leur efficacité réelle pour prévenir l’infection ou réduire la gravité de la maladie n’est pas encore bien établie.

Ces doses seront destinées aux «personnes les plus exposées» à la transmission potentielle de la grippe aviaire par les oiseaux ou les animaux, comme les travailleurs des élevages de volailles et les vétérinaires.

Aujourd’hui, le H5N1 peut-il devenir un virus contagieux entre humains ?

Certes, le virus H5N1 a déjà montré une capacité à infecter des mammifères (comme les visons, les renards et les phoques), ce qui suggère qu’il est capable d’adapter son tropisme (affinité pour certaines espèces).

Certaines mutations identifiées en laboratoire ou en nature pourraient faciliter la transmission interhumaine. Mais nous n’en sommes pas encore là, puisque la transmission humaine nécessite plusieurs facteurs au-delà des mutations isolées, comme la stabilité du virus dans l’environnement, la capacité à être excrété sous forme d’aérosols, et l’efficacité d’infection des voies respiratoires supérieures.

Plusieurs études sur le sujet ont été publiées dans le courant de l’année 2024.

En décembre dernier, l’étude « Estimates of epidemiological parameters for H5N1 influenza in humans: a systematic review and meta-analysis« compile des données de 32 recherches pour caractériser les paramètres épidémiologiques du H5N1 chez l’humain. Les résultats indiquent une transmissibilité faible (R0 < 0,2) mais une sévérité élevée comparée aux sous-types humains. L’incubation est plus longue (~4 jours contre ~2 jours) et l’intervalle sériel est également prolongé (~6 jours contre ~3 jours), influençant la dynamique de transmission.

Dans une étude intitulée « Single mutation in H5N1 influenza surface protein could enable easier transmission to humans », des chercheurs de Scripps Research ont identifié qu’une mutation unique dans la protéine de surface de l’hémagglutinine du H5N1 pourrait augmenter l’affinité du virus pour les récepteurs humains, facilitant potentiellement la transmission interhumaine.

Enfin, dans « Targets of influenza human T-cell response are mostly conserved in H5N1 » (publiée dans mBio), les chercheurs examine la réponse des lymphocytes T humains face au H5N1. Ils constatent ainsi que certaines parties du virus H5N1 (appelées épitopes) qui déclenchent une réponse immunitaire via les lymphocytes T humains sont similaires ou identiques à celles trouvées dans d’autres virus de la grippe qui infectent les humains. C’est important car cela signifie que cette  conservation des épitopes entre le H5N1 et les virus de la grippe humaine pourrait signifier que les populations humaines ne sont pas totalement naïves sur le plan immunitaire face au H5N1.

Un symptôme de l’effondrement de la biodiversité ?

Dans des écosystèmes riches en biodiversité, les agents pathogènes rencontrent une plus grande variété d’hôtes, dont certains ne sont pas favorables à leur réplication ou transmission. Ce mécanisme, appelé effet de dilution, limite la propagation des maladies. Mais lorsque la biodiversité diminue, les hôtes « réservoirs » favorables au pathogène (comme certaines espèces d’oiseaux sauvages) deviennent dominants, augmentant les risques de transmission.

L’effondrement des populations de prédateurs et de compétiteurs peut également favoriser la prolifération des espèces vectrices du virus (comme certains oiseaux migrateurs ou mammifères).

Le H5N1 est une zoonose et son expansion pourrait bien s’expliquer par les processus de Déforestation et d’urbanisation. En effet, la destruction des habitats naturels pousse les espèces sauvages à entrer en contact plus étroit avec les populations humaines et les élevages, augmentant les « opportunités ». De même, les zones humides, essentielles pour de nombreux oiseaux migrateurs, sont particulièrement menacées, perturbant les équilibres écosystémiques et favorisant la concentration des oiseaux dans des espaces restreints. Enfin, les élevages industriels, souvent situés à proximité des habitats naturels, créent des conditions idéales pour que le H5N1 évolue et se répande (forte densité d’animaux, faible diversité génétique, conditions de stress favorisant l’immunosuppression).

C’est déjà ce que réexpliquait Marie-Monique Robin dans « La fabrique des pandémies » (2022), suivi du documentaire du même titre : les activités humaines, en précipitant l’effondrement de la biodiversité, ont créé les conditions d’une  » épidémie de pandémies « . Les zoonoses, d’Ebola à la Covid-19, font partie des  » nouvelles maladies émergentes  » qui se multiplient. Comme le montre les entretiens menés avec plus de soixante chercheurs du monde entier, si rien n’est fait, d’autres pandémies, pires encore, suivront.

En conclusion, plutôt que la course vaine aux vaccins (car combien de doses vont-elles être nécessaires entre tous les vaccins à l’horizon de quelques années seulement ?) ou le confinement chronique de la population, le seul véritable antidote est la préservation et la régénération maximale de la biodiversité, la fin des grands élevages intensifs, le développement des circuits courts, le réensauvagement d’une grande partie de nos territoires…

Régis Dauxois, 8 janvier 2025

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