Solutions locales dans un chaos global…
Le développement des énergies renouvelables porté par des collectifs citoyens, à l’image d’initiatives comme « Énergie Partagée », incarne non seulement une aspiration à davantage de démocratie, mais s’inscrit également, selon nous, dans une vision plus large d’un projet de société post-anthropocène (même si cela n’est pas forcément conscientisé par les actrices et acteurs qui sont à la manœuvre !).
Disons-le tout de go : ce qui nous intéresse actuellement n’est plus tant la réflexion sur un futur et vaste mix énergétique à l’échelle nationale ou internationale, que le déploiement de solutions locales, autogérées par les habitants, dans une logique d’autonomie énergétique des territoires.

Nous n’avons plus le temps… de la « transition » !
La raison en est relativement et tristement simple. Nous en avons la profonde conviction : quoique l’on dise et quoique l’on fasse, rien ne sera fait à grande échelle pour véritablement éviter le chaos !
Alors que la prise de conscience devrait être générale et surtout se traduire par des mobilisations monstres et des actions collectives de grande envergure (nous ne parlons pas des gestes individuels d’importance très relative)… C’est l’inverse qui se produit.
Non seulement les (ir)responsables politiques prouvent chaque jour qu’il est vain d’espérer des actions significatives de leur part (et ce, sans compter les régressions qu’ils orchestrent), mais des millions de personnes sombrent dans le climatoscepticisme (en hausse de 7 points par rapport à 2023 et de 12 points depuis 2020 pour ce qui concerne ce pays !).
Cette vision serait-elle trop pessimiste ? Nous pensons qu’elle est plutôt réaliste ! Néanmoins, inutile de sombrer dans la dépression, car des perspectives existent (sans pour autant éviter les tragédies).
Si la « civilisation » (?) que nous connaissons actuellement va dans le mur avec le plus grand entrain (trumpistes et muskiens vociférant en tête de cortège), leur système sera bel et bien confronté aux limites physiques planétaires.

Les chocs débutent et ils vont s’aggraver de façon exponentielle. Entre un réchauffement de « +1,5 °C » et de « +3 °C », les problèmes ne se multiplient pas simplement par deux… et personne ne peut réellement quantifier cet écart, faute d’un précédent.
Cela signifie que les catastrophes autrefois qualifiées de « naturelles », mais désormais largement conditionnées par les activités humaines, vont désormais survenir avec une fréquence et une intensité telles qu’elles vont saper les bases des structures sociales, économiques et politiques existantes.
C’est justement la « nouveauté » de l’époque ! Et tous ces drames déclencheront des mouvements de colère extrêmement puissants des populations. En physique comme en politique, il ne faut jamais sous-estimer le principe « action-réaction ».

Reste le souci que ces réactions, à compter qu’elles ciblent les vrais responsables et ne contribuent pas à renforcer le complotisme, seront sans doute bien trop tardives. C’est pourquoi le monde de demain ne sera pas un monde « tranquillement réformé » mais un monde reconstruit, et autrement (dans la mesure du possible).
L’heure n’est donc plus à rêvasser d’une transition douce et progressive, de grandes politiques nationales et internationales pour « décarboner l’économie ». Nous n’en avons plus le temps.
Mais nous n’allons pas non plus baisser les bras ! Chaque action compte, et agir est sans doute la meilleure façon de transformer son anxiété en énergie pour, à la fois, nous préparer, non pas en mode individualiste tels les « survivalistes », mais collectivement, et, en parallèle, mener les luttes contre tous les projets écocidaires.
Revenons à l’énergie : produire local, pourquoi ?
Le développement des coopératives locales d’énergie, la mise en place de sources d’énergie renouvelables localisées (avec une mutualisation solidaire entre les territoires ne serait-ce que pour construire et entretenir les matériels) nous semble être la réponse la plus pertinente en termes d’adaptation et de résilience.
Précisons que l’autonomie, à l’échelle de petits groupes ou pire d’un individu n’a aucun sens. C’est à partir de groupement de plusieurs milliers ou dizaines de milliers de personnes qu’elle commence à être opérationnelle.
Politiquement, c’est aussi – et c’est capital ! – se donner les moyens d’échapper peu ou prou à l’emprise de l’Etat. Sur ce point là aussi, les choses devraient être comprises depuis longtemps : un « Etat fort » n’est pas une « protection », c’est tout l’inverse !
Au moment où nous voyons les régimes néo-libéraux, à bout de souffle, glisser de plus en plus dans le post-fascisme, nous devrions nous réveiller et nous mobiliser pour dépasser la « démocratie représentative » (un simulacre de démocratie depuis ses origines) et lutter pour l’avènement d’une démocratie de type autogestionnaire, citoyenne et de caractère libertaire.
Le nucléaire aux antipodes de la démocratie citoyenne
Sur ce point, nous pouvons encore évoquer le sujet du nucléaire : de notre point de vue, son « retour en grâce » constitue une très mauvaise nouvelle. Le seul aspect de la complexité de cette technologie, des approvisionnements et de la gestion des déchets, nécessite un Etat centralisé et une technostructure hypertrophiée. Toute l’histoire de la technologie du nucléaire s’accompagne d’un déni permanent de démocratie. Dans les mains d’un Etat post-fasciste, le nucléaire une arme redoutable par sa capacité à maintenir les populations sous sa dépendance… En ce sens, se focaliser sur les seuls risques d’accidents (même s’ils sont bien réels !), c’est se tromper de débat.
Cela étant dit, et quoi qu’il advienne de nos régimes « démocratique », nous avons tout intérêt à nous doter dans chaque localité des moyens essentiels de subsistance et donc d’énergie (en plus de fermes partagée, d’ateliers, de circuits courts de distribution, etc.).
Les éoliennes, le photovoltaïque, le solaire thermique, la biomasse solide, la méthanisation, la petite géothermie, le petit hydroélectrique ou même la production d’hydrogène vert (vecteur d’énergie) sont toutes des solutions qui peuvent être très facilement mises en place à l’échelle d’une commune, d’une intercommunalité, d’une (bio)région.
Retour sur l’objectif deux tonnes et le risque d’extinction du Vivant
Bien entendu, cette démarche correspond à un objectif majeur : celui de réduire à deux tonnes par an nos émissions de gaz à effet de serre (nous sommes aujourd’hui, en France, aux alentours des 10 tonnes, selon les modes de calculs).

Cependant, ce cap des « deux tonnes » est très loin d’être suffisant. Il faut encore rappeler que mettre un coup d’arrêt au processus d’extinction du Vivant ne se réduit pas à la problématique de la décarbonation, puisque c’est la globalité de notre empreinte écologique qui est en cause. Préserver le Vivant passe par la généralisation de modes de vie conformes à la réalité des limites planétaires, par la décroissance ou la « post-croissance ».
La question qui se pose est : faut-il réduire la production d’énergie, et si oui, dans quelles proportions ?
S’il est déjà complexe de déterminer avec précision la quantité d’énergie que nous pourrions produire et consommer pour ne pas dépasser les deux tonnes d’équivalents CO2, il est bien plus difficile de définir un tel « seuil » pour un mode de vie qui resterait compatible avec les limites planétaires. En effet, sur le papier, nous savons très bien calculer le dimensionnement d’un parc en renouvelable et son empreinte carbone. En théorie, nous pourrions même produire encore plus d’énergie uniquement avec des EnR.
Mais ce sont les niveaux de consommations qui en découlent (nombre de véhicules en circulation et kilomètres parcourus, volume de production des biens manufacturés, surface des logements et nombre de résidences secondaires, infrastructures, etc.) qui font croître l’empreinte écologique de manière suicidaire, par la pression mortelle sur le Vivant.

Surtout qu’il nous faut aussi tenir compte, côté climat, de plusieurs facteurs aggravants : les tricheries des Etats sur la comptabilisation de leurs émissions ou la sous-estimation des boucles de rétroaction positives (pour ne citer que ces deux exemples).
De même, les observations de l’état des écosystèmes et de la biodiversité font apparaitre une accélération de leurs effondrements plus gravissime que ne l’envisageaient les différents modèles prédictifs, avec les impacts qui en découlent : des phénomènes de désertification, des vagues de pandémies (zoonoses), un dépérissement fulgurant des forêts (comme avec la scolyte), l’apparition d’espèces exotiques invasives, les extinctions de populations en cascade (« cascades trophiques »), etc.
Il existe peu d’études qui calculent ce niveau théorique de quantité d’énergie correspondant à un mode de vie conforme à la fois à l’objectif d’une vraie neutralité carbone à l’horizon 2050, mais plus largement avec une empreinte écologique respectueuse des limites planétaires.
Nous pouvons citer le modèle de Kate Raworth, le doughnut model (modèle du donut). Ce concept vise à définir un équilibre entre les besoins humains essentiels et les limites planétaires. Une version énergétique du modèle identifie un niveau de consommation d’énergie par personne qui répond aux besoins de base (logement, alimentation, mobilité, santé) tout en respectant les capacités de la biosphère. Une étude « The social shortfall and ecological overshoot of nations, 2020 » (Fanning et al., 2020, Nature Sustainability) estime qu’un niveau compatible avec les limites planétaires serait d’environ 20-40 GJ/an par personne (soit 5 500-11 000 kWh/an/personne), bien inférieur à la consommation moyenne actuelle des pays riches (165,6 GJ, par habitant en 2019, dans les pays de l’OCDE, source).
Ce qui signifie donc que la réduction de notre consommation énergétique finale devrait être au moins d’un facteur 4, jusqu’à un facteur 8.
Si l’on prend uniquement la consommation en France (elle est de 150,5 GJ/habitant en 2019, ibid), la réduction devrait être au moins d’un facteur de 3.75 jusqu’à un facteur de 7.5.
Pareillement, le rapport « Decent Living Energy » (2020) par Narasimha Rao et al., publié dans Nature Energy, explore la quantité minimale d’énergie nécessaire « pour offrir un niveau de vie décent mondialement ». La conclusion est que cet objectif pourrait être atteint avec environ 15 GJ/an/personne.
Il faut également noter que si nous gagnons en efficacité énergétique, la consommation primaire (avant les pertes) ne serait pas à diminuer dans les mêmes proportions (les machines étant plus efficace et les pertes moindres).
Enfin, et quoi qu’il en soit, la logique du « principe de précaution » devrait nous conduire à prendre le chemin le plus ambitieux, quitte à rectifier ensuite la trajectoire, après avoir fait le bilan de cette politique.
Quelques réflexions supplémentaires pour une biorégion imaginaire…
Pour rendre plus concret cette radicale bifurcation, prenons l’exemple d’une possible bio région, constituée de quelques 50 000 habitants (comme nous l’avons dit, c’est à cette échelle que l’autonomie peut vraiment exister).
La consommation d’énergie finale y serait, au minimum, de 50 000 x 20 GJ/an, soit 1 million de GJ/an (soit 0.277 TWh ou 277 GWh). Dans la fourchette haute (soit 40 GJ/an) il s’agirait de produire au maximum 554 GWh.
Pour une hypothèse A (la plus élevée, avec 554 GWh / an), la quantité d’énergie à produire avant les pertes serait de 652 GWh (554/0.85). Nous avons pris un % très raisonnable de perte moyen de 15% soit 554 GWh/0.85.
Pour une hypothèse B (la plus « sobre », avec 277 GWh de consommation effective par les habitants), il faudrait une consommation primaire (avant les pertes) d’environ 326 GWh (277/0.85).
Dimensionnement d’un parc éolien local :
Raisonnons sur la base d’éoliennes de 3 MW. Chacune d’elle peut produire 6 à 7 GWh par an, avec un facteur de charge généralement compris entre 25 et 27%.
Si l’on prend un scénario prudentiel avec un facteur de charge de seulement 20 %, notre éolienne peut produire 5.256 MWh soit 5,256 GWh (8760heures X 3 MW x 0.2).
Dans notre hypothèse A : Pour produire la moitié de 652 GWh (326 GWh), il faut donc pouvoir installer 62 éoliennes sur ce territoire (326 /5.256).
Dans l’hypothèse B : pour produire la moitié de 326 GWh (163 GWh), seulement 31 éoliennes serait nécessaires (163/5.256).
Si l’on imagine que ce territoire à une SAU (surface agricole utile) dans la moyenne nationale de 204 km2, et en sachant que 100 éoliennes occupent environ 20 km2 (en comptant les espacements nécessaires), l’espace mobilisé serait de :
- 12.4 km2 selon l’hypothèse A (soit 6 % de la SAU)
- 6.2 km2 selon l’hypothèse B (soit 2.9% de la SAU)
Comme l’on sait par ailleurs que 70% de la SAU est dédié aujourd’hui au bétail et à son alimentation, on comprend que réduire notre alimentation carnée d’au moins 30 % (c’est généralement ce qui est préconisé), nous aurions donc aisément la moitié de notre mix local couvert par l’éolien.
Reste la question du surdimensionnement pour correspondre au temps de retour énergétique. Celui-ci se définit comme le temps nécessaire à une installation pour produire autant d’énergie qu’il en a fallu pour la fabriquer, l’installer et la maintenir.
On considère généralement que le temps de retour énergétique est de moins d’une année pour l’éolien. Le calcul est alors très simple : si la durée de vie d’un parc éolien est estimée à 20 ans et que le temps de retour énergétique est d’une année, il faut donc augmenter le nombre d’éoliennes de un vingtième (le parc utilisant l’équivalent d’une année de sa production totale pour « rembourser » l’énergie investie dans sa construction, son installation et sa maintenance ou, pour le dire autrement, pendant 1 an (sur les 20 ans), le parc produit uniquement pour « rembourser » son énergie initiale. Pour compenser cette année « perdue », il faudrait produire 1/20ᵉ de plus chaque année restante. Dans l’hypothèse A, il nous faudrait donc non pas 62 éoliennes mais 65. Dans l’hypothèse B, il nous faut 33 éoliennes au lieu de 31. Ce qui est, chacun en conviendra, d’un coût quasi négligeable.
Le solaire photovoltaïque
En seconde position, l’utilisation du solaire photovoltaïque viendrait compléter le mix. Nous nous baserons sur une hypothèse modeste de 175 KWh / an (0,000175 Gigawatt-heure) et par m2 de panneau.

Ce qui revient pour produire la moitié des mix :
- Pour l’hypothèse A (326 GWh) à une surface totale de 1,86 km² de panneaux solaires, soit 0.91 % de la SAU, (1.86/204)
- Pour l’hypothèse B (163 GWh), une surface totale de 0,93 km2, soit 0.45% de la SAU (0.93/204).
Sur le sujet des matériaux, rappelons que les dernières générations de panneaux, à pérovskite, permettent de se passer de silicium. Le problème du plomb contenu dans ces panneaux venant d’être résolu par une équipe de chercheur de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Elle a développé une méthode consistant à ajouter un sel de phosphate transparent aux cellules. Ce sel n’interfère pas avec le rendement de conversion de la lumière et empêche le plomb de s’infiltrer dans le sol en cas de défaillance du panneau solaire…
Pour la question du taux de retour énergétique et du surdimensionnement à prévoir, il va être sensiblement plus important que pour l’éolien. le temps de retour énergétique est d’une à quatre années pour un parc photovoltaïque. Par conséquent, toujours en restant le plus prudent possible et en s’alignant sur la fourchette haute, et en considérant que la durée de vie d’un parc photovoltaïque est estimée à au moins 20 ans, il faut augmenter le nombre de m2 de un cinquième. Dans l’hypothèse A, il faudra 2.23 km2 (+0.2 x1,86 km²) et dans l’hypothèse B, 1.12 km2 (+0.2 x 0,93 km2). Là encore, le surcoût n’est aucunement problématique.
Un bouquet de multiples technologies
Enfin, il s’agira de développer, en fonction des spécificités de chaque territoire, toutes les autres sources d’énergie renouvelable que nous citions en début d’article.
Utiliser la technique des puits canadiens pour la climatisation, les batchbox rocket stove pour les modes de chauffage à haut rendement (bois), le solaire thermique, les réseaux de chaleurs et les systèmes de récupération de la « chaleur fatale », du biogaz avec de la méthanisation (raisonnée), etc.
Concernant le stockage, nous avions déjà évoqué dans notre dossier sur l’éolien la solution des batteries à sable (stockage de chaleur), mais nous pourrions aussi largement utiliser les systèmes de stockage par inertie.
En effet, il existe plusieurs systèmes qui exploitent le principe d’inertie et l’énergie cinétique pour restituer un surplus d’énergie stocké. Grosso modo, ces systèmes reposent soit sur un mouvement de rotation, soit sur un mouvement linéaire (vertical) ou oscillatoire (pendulaire). Ces systèmes présentent plusieurs avantages : ils sont beaucoup plus légers qu’une STEP (un système hydroélectrique nécessitant d’importants travaux et des sites adaptés) et offrent une grande robustesse, avec une longue durée de vie, une maintenance simple et des coûts d’entretien réduits.
Les systèmes par volants vont être utilisés pour équilibrer les réseaux car ils vont permettre de restituer de l’énergie seulement sur des temps courts. Les systèmes gravitaires vont permettre quant à eux de stocker de l’énergie sur de longues durées. En quelques mots, ces dispositifs utilisent un surplus d’énergie pour soulever une masse (généralement lourde, comme un bloc de béton ou une charge métallique). Puis, l’énergie est stockée sous forme d’énergie potentielle gravitaire. Lorsque l’énergie est requise, la masse est relâchée de façon contrôlée. Sa descente entraîne des générateurs qui produisent de l’électricité.
Le stockage peut bien entendu inclure des parcs de batteries. Aujourd’hui, nous sommes en capacité de nous passer de lithium avec des « batteries carbone ». Il existe par exemple des batteries à ions sodium avec électrodes en carbone (remplacent le lithium par le sodium, un matériau beaucoup plus abondant et économique) . Elles ne sont pas encore très répandues, mais des entreprises ont déjà lancé des produits commerciaux, principalement pour des applications stationnaires (et justement pour du stockage d’énergie renouvelable).
Sans entrer davantage dans les aspects techniques, nous constatons clairement que de multiples solutions existent, mais qu’elles sont ignorées pour des raisons éminemment politiques et non techniques.
C’est donc l’ensemble de ces systèmes qu’il nous faut explorer bien plus précisément et nous y reviendrons dans de prochains billets. C’est là que se trouve notre avenir et celui des générations futures.
Régis Dauxois, 25 janvier 2025