Retour au menu

L’ESSENTIEL
Accompagner la décroissance, ce n’est pas, comme nous avons déjà eu l’occasion de le préciser, une simple « baisse de l’indicateur PIB« , c’est prendre un peu plus de hauteur !
Le débat commun sur ce que nous voulons produire (comment, pour qui, pour quoi ?) est un préalable (voir la fiche précédente).
La réorganisation globale de notre tissu économique passe par des rééquilibrage, des restructurations en profondeur, et un chamboulement des activités professionnelles pour des millions de personnes.
Car, oui, refonder nos économies pour les mettre en quelques sorte en « conformité » avec les limites planétaires, cela signifie faire des choix consistant non pas à seulement « faire autrement », mais à arrêter de faire.
Choisir, c’est renoncer, et nous devons entrer dans une époque du renoncement. Certains auteurs parlent aussi d’une « écologie du démantèlement ». Comme l’écrivent les auteurs de « Héritage et fermeture » (Editions divergences, 2021) : « Nous dépendons pour notre subsistance d’un « monde organisé », tramé par l’industrie et le management. Ce monde menace aujourd’hui de s’effondrer. Alors que les mouvements progressistes rêvent de monde commun, nous héritons contre notre gré de communs moins bucoliques, « négatifs », à l’image des fleuves et sols contaminés, des industries polluantes, des chaînes logistiques ou encore des technologies numériques. Que faire de ce lourd héritage dont dépendent à cout terme des milliards de personnes, alors qu’il les condamne à moyen terme ? Nous n’avons pas d’autres choix que d’apprendre, en urgence, à destaurer, fermer et réaffecter ce patrimoine. Et ce, sans liquider les enjeux de justice et de démocratie. Comme le front de modernisation et son anthropologie du projet, de l’ouverture et de l’innovation, il reste à inventer un art de la fermeture et du démantèlement : une (anti)écologie qui met « les mains dans le cambouis« .
Et mettre ainsi les « mains dans le cambouis », c’est parler de ce qui fâche !
Si nous pouvons imaginer pouvoir conserver un certain nombre de connexions internet pour garder le meilleur de l’internet (celui qui peut nous permettre de mieux nous coordonner, de réellement échanger les savoirs), il faudra bien mettre fin à « l’ébriété numérique ». Exit non seulement les « chatons » mais tous les réseaux sociaux qui ne servent à rien, les Facebook, X, instagram et consorts. Exit les voyages touristiques en avions pour festoyer à plusieurs milliers de kilomètres avec d’autres touristes ! Exit le déluge publicitaire, qui, lui non plus, ne sert strictement à rien (et surtout pas à informer des caractéristiques d’un produits). Exit la « fast fashion » qui consomment 100 milliards de m3 d’eau par an. Exit l’armée mexicaine des « communicants », « coachs », cadres commerciaux et « RH ». Exit l’industrie automobile centrée sur la voiture individuelle. Exit les chantiers inutiles, les constructions de résidences secondaires. En réalité, ce sont des milliers d’emplois actuels qui sont à supprimer !
Mais cela ne veut pas dire le « chômage de masse ». Cela veut dire une toute autre répartition des tâches à faire, une réduction importante du temps de travail (donc beaucoup de temps libre pour prendre soins de ses proches, pour créer, se balader, s’instruire, etc.). Cela veut aussi dire un rééquilibrage entre de grandes secteurs de l’économie et nous pensons tout particulièrement à l’agriculture qui doit être promptement réinvestie et revalorisée. D’autres secteurs verraient croître leurs effectifs (réparation, récupération, recyclage, éducation, santé….).
Enfin, l’ensemble de ces restructurations (bien hypothétiques il est vrai), ne pourraient s’effectuer que si une sécurité sociale professionnelle était créée (à l’instar de ce que revendique depuis fort longtemps la CGT) avec la création d’un nouveau statut de stagiaire de la formation professionnelle écologique (garantissant le revenu adéquat).
Décroissance et préjugés (Bon Pote, Janvier 2024)
« Voilà deux ans que j’ai commencé à travailler sur la décroissance et le moins que je puisse dire c’est que je ne connais pas un terme plus galvaudé que celui-ci. Chaque fois que j’évoque le sujet, les mêmes critiques refont surface
‘ Ah ouais on a bien vu à quoi ça ressemblait la décroissance en 2020’
‘ Tu veux être confiné toute l’année c’est ça ?’
‘ Super ton projet de société, tout le monde à la lampe à l’huile comme les Amish !’
Si vous pensiez que les choses avaient changé en 2021, j’ai une mauvaise nouvelle :
Si ce n’était qu’un cas isolé, nous pourrions passer outre. Le problème, c’est que des personnalités très influentes ont exactement le même discours, et sont entendues par des milliers (voire des millions) de personnes. D’Emmanuel Macron devant la Convention Citoyenne pour le Climat à Luc Ferry dans ses dizaines de tribunes dans le Figaro, les idées reçues et mensonges sur la décroissance sont partout.
Le plus simple est encore d’aller lire la littérature scientifique sur le sujet et de le résumer ici, afin de savoir ce qu’est la décroissance, et surtout ce qu’elle n’est pas.
Transition écologique :
croissance vs décroissance,
de quoi parle-t-on ? (Conseil Economique, Social et Environnemental, CESE, Novembre 2024)
Ce récent rapport est intéressant à plus d’un titre. Il pose clairement le débat et expose les arguments, pour en tirer des enseignements solidement étayés.
Extrait :
il apparaît que la controverse sur la compatibilité de la croissance du PIB avec les limites planétaires s’avère persistante et radicale bien que, paradoxalement, les arguments avancés par les avocats de cette compatibilité ne soient pas directement fondés sur le respect des limites planétaires, mais sur leur adhésion explicite ou implicite à la courbe environnementale de Kuznets (*) : la croissance du PIB et l’enrichissement de la société permettraient à la fois la mise en œuvre de politiques environnementales et une évolution du système productif vers des activités plus propres grâce à des marges de manœuvre financières de l’État plus importantes et sous l’effet de la demande de la population d’un environnement plus sain.
Les arguments avancés tiennent ensuite dans la réalisation de la transition écologique par des politiques appropriées (quotas d’émissions de CO2, taxation des activités polluantes, interdictions réglementaires d’activités et de substances, etc.), tout en postulant un découplage entre la croissance du PIB d’une part, les impacts environnementaux et la consommation des ressources naturelles d’autre part.
Enfin, il apparaît que cette compatibilité de la croissance du PIB avec les limites planétaires repose de fait sur la réalisation d’hypothèses. La première réside dans la mise en place d’une « croissance verte », qui protégerait les actifs naturels, favoriserait les innovations vertueuses (énergie décarbonée, efficacité énergétique, économie circulaire, etc.). La deuxième suppose que le capital technique peut à terme se substituer au capital naturel et que des technologies innovantes et encore peu expérimentées (capture et séquestration du carbone, refroidissement de la terre, etc.) vont pouvoir être mises en
œuvre. Plus économique, la troisième série d’hypothèses envisage l’affectation d’un prix à la nature pour sa meilleure prise en compte et une modification de la valeur des différentes activités économiques dans le PIB. Ces propositions s’inscrivent dans une durée, interrogeant le terme et le rythme de la transition S’opposent à ces affirmations sous conditions, le constat d’activités humaines qui s’intensifient et qui contribuent au dépassement des limites planétaires en même temps qu’elles alimentent la croissance économique.
Les trajectoires actuelles de demande et d’utilisation des ressources qui en résultent et qui se traduisent par un « jour du dépassement » qui survient de plus en plus tôt dans l’année, menacent la viabilité de l’environnement. Or, le dépassement des limites planétaires, comme l’effondrement des services écosystémiques, peuvent en retour stopper la croissance et rendre l’avenir économique incertain. Paradoxe : ne mesurant pas les stocks, le PIB ignore par construction les limites planétaires et les dégâts environnementaux de la croissance, de laquelle il ne mesure donc pas la soutenabilité.
L’argumentation des tenants de la compatibilité de la croissance avec les limites planétaires est contrée par une série d’observations mises en évidence par leurs contradicteurs : la courbe environnementale de Kuznets ne se vérifie que dans quelques cas, le découplage est infiniment trop limité et trop partiel pour produire un effet véritable, le recours à la finance et aux mécanismes de marché est illusoire face aux perspectives tracées par les scientifiques, les solutions technologiques sont insuffisamment développées et ne pourront pas être déployées à une échelle et dans des délais efficaces. (mis en gras par nous).
Plus fondamentalement encore, la monétarisation de la nature est déniée pour des raisons techniques (complexité), éthiques (la nature n’a pas de prix) et scientifiques (spécificité de la nature, à laquelle rien ne peut être substitué). Enfin, considérant que la « croissance verte » n’est pas et ne saurait être exempte de coût environnemental, proposition est faite de repenser l’économie à la lumière de la décroissance ou de la postcroissance.
(*) Courbe environnementale de Kuznets (source : ibid) : En 1955, l’économiste Simon Kuznets théorise l’existence d’une courbe en U inversé permettant de prévoir et de décrire la relation entre croissance économique (mesurée par le PIB), et inégalités de revenus. La « courbe de Kuznets » identifie ainsi une corrélation entre croissance économique et réduction des inégalités : si, dans un premier temps, la transition vers un modèle économique industriel tend à accroitre les inégalités de revenus, les revenus individuels tendent à augmenter et à se rapprocher une fois l’économie transformée.
Adaptée par les économistes Grossman et Krueger sous la forme d’une « courbe environnementale de Kuznets » (CEK), cette théorie est utilisée par une partie de la doctrine pour identifier un potentiel découplage entre croissance économique et impacts négatifs sur l’environnement. Le postulat est le suivant : la relation entre croissance économique et impacts environnementaux évolue en fonction de deux ou trois phases (selon les interprétations), et se traduit toujours par un découplage des impacts environnementaux et de la croissance économique (i.e., une « croissance verte »).
Ainsi théorisée, la CEK assure la continuité du modèle économique actuel de croissance et justifie les arguments technosolutionnistes. Cependant, la réalité ou la pertinence des projections réalisée par la CEK est largement remise en question par une partie de la doctrine économique récente, témoignage d’une absence de consensus dans la communauté scientifique sur l’existence d’un potentiel découplage.
Lire le rapport :
