Non, il n’est pas « trop tard » (et cela ne veux rien dire en soi…)

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L’ESSENTIEL

Le discours selon lequel cela ne sert à rien de lutter contre les changements climatiques est de plus en plus répandu sur les réseaux sociaux. Est-ce une nouvelle tactique pour décourager l’action des autorités et des citoyens? Un nouveau rapport suggère que oui.

En anglais, on appelle cette tendance le doomisme.

C’est cette idée selon laquelle nous sommes « tous cuits », que le monde est sur le point de disparaître et « qu’il n’y a rien à faire », peu importe les gestes qu’on posera pour éviter l’extinction ! La hausse des températures signifie que le monde tel qu’on le connaît va s’effondrer et qu’on ne pourra pas y échapper.

Ce courant, qu’on observe un peu partout en Occident, n’est peut-être pas étranger au fait que le doomisme est désormais au cœur de la rhétorique du déni climatique. C’est du moins le constat du récent et très intéressant rapport The New Climate Denial  publié en janvier dernier par le Centre de lutte contre la haine numérique (Center for Countering Digital Hate)qui a des antennes à Londres et à Washington.

DU DENI AU DOOMISME… SANS TRANSITION !?

(Article paru dans Récits de l’Anthropocène, mai 2023)

C’est une récente tendance bien observable sur les réseaux sociaux. Alors que le climato-scepticisme (rebaptisé généralement « climato- réalisme ») ne cesse de progresser, c’est maintenant le « doomisme » qui vient envahir les fils de discussions…

L’affirmation portée par cette mouvance a le seul mérite d’être sans ambiguïté et ultra-simpliste : en clair, « tout est foutu » ! Par conséquent, il ne servirait plus à rien de tenter quoi que ce soit pour empêcher l’extinction complète de l’Humanité.

Les personnes parlant de « transition », d’énergies renouvelables, de solutions pour nos territoires, d’économie décarbonée ou de redirection écologique, ne seraient que de dangereux porteurs d’illusions, voire pire, de sinistres escrocs ne cherchant qu’à tirer profit d’une fin totale et inéluctable. Bref, circulez, il n’y a plus rien à espérer ! Il faudrait donc faire son « deuil », en suivant la bien connue courbe de Kübler-Ross (qui, soit dit en passant, est un outil très pertinent en psychologie mais ne peut s’appliquer qu’à des personnes en fin de vie et non pas à une société…).

Faire son deuil… Etape ultime du renoncement. Sauf que, comme l’exprime parfaitement notre ami Aurélien Barrau, la question du « est-ce qu’il est trop tard ? », ne signifie strictement rien. « Trop tard », mais pour quoi ?

Assurément, il est trop tard pour éviter la multiplication des catastrophes climatiques, la progression des chaleurs mortelles, une montée conséquente du niveau des mers, la fissuration de terrains argileux, les conflits (violents) autour de la question de l’eau, ou encore l’accroissement des phénomènes de migrations (« climatiques »), etc. Tout cela a déjà commencé, nous le savons parfaitement. Mais croire que tout est joué d’avance revient à sous-estimer lourdement ou à ignorer la dynamique et le potentiel des mouvements sociaux.

Il existe une règle intangible du politique (et de la confrontation des classes sociales autour des enjeux de la gestion de la Cité) : le principe « action / réaction ». Il n’est qu’à constater l’actuelle et formidable accélération du nombre d’initiatives sur le terrain pour saisir que rien n’est figé et que les humains tracent encore, jusqu’à preuve du contraire, leur chemin en marchant.

Oui, beaucoup de choses vont disparaître et le monde de demain, nous pouvons le dire sans trop de doutes, sera méconnaissable. C’est hautement probable.

Cela étant dit, la vraie question est plutôt de connaître les marges qui nous restent et, surtout, de trouver les bonnes stratégies pour faire l’alternative. Car le diagnostic est connu. Les objectifs à atteindre et les solutions aussi (dans les changements individuels et collectifs de nos manières d’habiter, de nous nourrir, de nous déplacer, de cultiver..).

Laisser le pessimisme pour les jours meilleurs, c’est se dire que nous avons aussi tout à (re)construire, et, finalement, que c’est une belle occasion de changer de monde.

Nous autres urbains (et la plus grande partie des ruraux aussi !) nous aurons à retrouver le contact avec la terre, à réapprendre à cultiver, à nous exercer à l’artisanat et à une plus petite industrie, à redécouvrir la traction animale, à concevoir et à utiliser d’une toute autre façon nos savoirs informatiques (intelligemment cette fois-ci ?). Nous réinventerons nos centres urbains, nous réorganiserons complètement la gestion de l’eau et des cycles géochimiques. Nous réapprendrons à concevoir des habitats compatibles avec les limites planétaires, à aménager de vastes espaces dédiés au réensauvagement. Nous ferons l’apprentissage d’une gestion collective et égalitaire de nos parcs d’énergies renouvelables (à l’image de ce que fait déjà aujourd’hui « Energie partagée »). Nous aurons à inventer et à découvrir un autre mode, et surtout un autre rythme, de vie. Et nous regarderons nos anciens habitus avec effarement : comment avons-nous pu vivre ainsi ?

C’est pourquoi le doomisme est une (nouvelle) plaie. Ce sentiment fondamentalement pessimiste (et pourtant nous ne prônons pas un optimisme béat), est en train de constituer un énième discours visant à justifier l’inaction climatique. Toutefois, il ne faudrait pas réduire cette approche à un simple refus de l’action.

Le doomisme peut également être interprété autrement. A savoir comme le symptôme d’une défiance de plus en plus patente envers les classes dirigeantes (à juste titre).

Alors, quand les détestées et détestables figures de « l’élite » commencent (très modérément) à parler de transition écologique et énergétique, d’énergies renouvelables, de sobriété, non seulement plus personne ne croit en leur sincérité (ce qui est bien normal), mais leur propos jettent immédiatement le doute sur le sujet lui-même !

C’est, entre autres choses, l’ensemble des énergies renouvelables qui deviennent suspectes, ouvrant la voie à un Enr bashing impressionnant. Ce qui ravit les lobbys du pétrole et du nucléaire…

Au bout du compte, entre les appels à désespérer, les appels à croire en la « belle croissance verte », les manœuvres de greenwashing, la propagande des lobbys, les fausses annonces d’innovations technologiques miracles faites par des start-up surfant sur la vague, et la lamentable sous-information des médias mainstream (dans le style de « Don’t look up »)… il devient extrêmement difficile de s’y retrouver. D’où l’urgence de nous fédérer, non pas dans une tentative de nouvelle organisation centralisatrice (surtout pas !), mais au sein de ce mouvement de société, que nous appelons « transitionneur » et qui existe déjà dans les faits. Ce mouvement, pour une transition non seulement écologique mais aussi solidaire, il faut le faire s’étendre, l’enrichir de nos échanges, de nos réseaux d’informations (à mieux interconnecter), de nos réflexions sur les « solutions » à défendre.

Alors, « doomistes », renoncez… au défaitisme. Nous sommes là, et face à tous les obstacles et enjeux du moment, retrouvons-nous ensemble pour lutter et construire notre Autre Futur.

Régis Dauxois

3 commentaires sur « Non, il n’est pas « trop tard » (et cela ne veux rien dire en soi…) »

  1. C’est quand même paradoxal de développer tout un propos sur l’idée qu’il n’est pas trop tard pour ensuite le faire s’envoler en éclats en faisant une liste même pas exaustive de choses pour lesquelles il est déjà trop tard.

    Par ailleurs, cet article passe totalement à côté d’aspects pourtant cruciaux:

    -Sans changement climatique, l’environnement serait quand même en train de se dégrader du fait de facteurs qui n’auraient même pas besoin de la crise climatique pour exister, je pense notamment à al pollution de l’eau, à l’érosion de la biodiversité ou à l’épuisement des sols. à quoi cela nous avancera-t-il de « sauver » le climat si d’autres aspects de la crise écologique se chargent à sa place de tout faire s’effondrer ?

    -Le contexte politique, qui à mon sens suffit à balayer d’un revers de la main tout discours « anti-doomers ». Partout dans le monde, ce sont les populistes écocidaires qui gagnent en puissance pendant que les partis écolos ont déjà un pied dans la tombe. L’activisme climatique va devenir de plus en plus dangereux pour de moins en moins de victoires, et aucune chance que la vapeur ne s’inverse car quand des autoritaires prennent le pouvoir, ils ne le lâchent plus.

    Finalement, les doomers ne sont peut-être que les seules personnes un minimum lucides.

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    1. Cet article n’a pas la prétention de faire un tour d’horizon exhaustif des difficultés. Il s’oppose (c’est un choix), au fatalisme qui repose sur des impressions bien plus que sur des constats objectifs. Les retournements de situations ont émaillé l’histoire. Il n’est aucunement paradoxal de dire que pour certaines choses, c’est effectivement « trop tard » mais que le « trop tard » ne veut rien dire en soi. Car même si les dictatures gagnent du terrain, c’est toutes les sociétés qui sont confrontées à un « élément nouveau », à savoir l’ensemble des limites planétaires. Il ne faut pas sous estimer non plus le principe « action – réaction » et l’Histoire n’est jamais écrite d’avance. Cordialement Régis Dauxois

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      1. Ce qui a surtout émaillé de l’histoire dans le cas du sujet qui nous occupe, c’est plusieurs choses:

        1. La transformation d’une démocratie en dictature est irréversible la plupart du temps, il faut vraiment un contexte très particulier pour avoir une chance qu’elle tombe, par exemple une défaite militaire (exemple des nazis).
        2. L’humanité ne sait pas réagir aux crises, cela s’est à chaque fois terminé en catastrophe, choses que les crises récentes illustrent une fois encore. La confrontation aux limites planétaires dans un contexte géopolitique déjà tendu ne peut que donner lieu à de violentes guerres pour s’accaparer le contrôle du peu de ressources qui restent ainsi qu’une émigration massive vers les terres où il en reste encore et qui vont alimenter encore davantage nos pires instincts tribaux. Miser sur ce qui à mes yeux ressemble à un deus ex machina en guise de facteur d’espoir, c’est courir un gros risque de désillusions.
        3. L’histoire est écrite dans les grandes lignes. Les sociétés humaines sont confrontées à des problématiques aussi anciennes qu’elles. Il n’y a pas un problème récent qui n’évoque pas une situation similaire du passé, même lointain, ou même des mythes écrits durant l’antiquité. Par exemple, on peut attribuer au syndrome de Cassandre: la crise de 2008, la montée des populismes, la crise climatique et la crise du COVID, chacune d’elles ont pu voir le jour parce qu’on n’a pas écouté les avertissements des experts.

        C’est quelque chose de très humain, le besoin d’espérer, même quand les facteurs d’espoirs sont très abstraits ou reposent sur des illusions. De mon côté, j’ai subi trop de désillusions en série pour être encore capable d’espérer quoi que ce soit.

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